« platon et descartes passent le bac, carnet de bord d’une prof de philo »
Hélène Péquignat, Les défis de l’éducation Le Pommier, Belin mars 2016
ISBN 9782-7465-1087-6, 15 €
Note de lecture de Viviane YOUX À lire en format PDF
« Oui, l’enseignement de la philosophie peut être en prise avec l’évolution du monde et sa compréhension ! Et oui, quand on met à leur disposition des dispositifs motivants, les ados cogitent ! Un enseignement plein de vie qui redonne à la philosophie quelques traces de ses origines, celles qui faisaient affirmer à Sénèque : « La philosophie n’enseigne pas à dire, mais à faire. »
Ce sous-titre, astucieux doublage du titre en première de couverture qui caractérise la collection « Les défis de l’éducation Le Pommier ! », constitue un propos liminaire séduisant, aussi réjouissant que le contenu de ce petit ouvrage. Ses cent-cinquante pages nous entrainent dans le parcours d’une année de cours de philosophie en terminale, parcours plutôt décoiffant comme le montrent les têtes de chapitres. Le début émouvant, « Une affaire de mobylette », sert de point d’appui à une approche concrète de la philosophie ; « penser engage le corps », et pour que les élèves perçoivent cet engagement, Hélène Péquignat les place constamment dans une position surprenante, voire inconfortable, pour les amener à se questionner. Les « aides pédagogiques » foisonnent, des bouts de ficelle à l’oreiller et au papier hygiénique, de la Mètis de Renart à la fable de « David contre Goliath », la philosophie retrouve une de ses finalités : bousculer les idées préconçues, s’interroger et chercher des apports conceptuels permettant d’élaborer sa pensée. Placés par un exercice imposé au cœur du travail de groupe, les élèves découvrent par eux-mêmes les difficultés et richesses du travail collaboratif, leur expérience personnelle les mettant en difficulté avec eux-mêmes autant qu’avec le groupe. Et le travail se fait, avec une circulation entre les auteurs et les époques, pour élaborer à la fois un exposé de groupe et une copie personnelle. Le « Copier, c’est collé ! » nous entraine dans un voyage en Utopie qui se termine par un travail écrit à partir du Candide de Voltaire, « Il faut cultiver notre jardin ». Hélas, le voyage interdisciplinaire à Venise ne permet pas d’échapper aux selfies, « Narcisse au pays des gondoles » ébranle quelque peu l’auteure qui ne cherche pas, pour autant, à quitter le Titanic pédagogique, même si elle sait bien que son sujet « Réseaux addicts ». Fermez le portable. Débranchez la box… » a peu de chances d’aboutir à un changement concret.
Travail fort peu académique, certes. Et l’inspecteur pédagogique apprécie peu le charivari qu’il découvre lors de sa visite, la professeure n’ayant rien voulu changer à son programme de séance prévu ; les travaux de groupe sont bruyants, les aides pédagogiques étonnantes, il est peu sensible aux arguments déployés. Quand le mythe de la caverne s’incarne dans une expérience qui fait « penser dans son corps », comme les malvoyants, la « balade perceptive » permet-elle d’élaborer le concept « de l’ombre à la lumière » ? Chaque fin d’année, l’enseignante ausculte les résultats de ses élèves à l’épreuve du baccalauréat, ni meilleurs ni moins bons que la moyenne de son secteur.
Une remarque frappe cependant à la lecture, c’est la faiblesse du travail sur l’écrit, ou du moins de ce qu’en dit l’auteur ; certes les élèves sont amenés à lire les philosophes pour nourrir leur réflexion, mais comment sont-ils aidés pour accéder à des lectures souvent ardues ? Certes les élèves sont amenés à écrire régulièrement ; mais là encore, comment sont-ils accompagnés dans une écriture rigoureuse et contraignante ? Rappeler ces exigences, ce n’est pas se ranger du côté du commentaire académique qu’elle critique, mais du côté de la nécessité de faire de l’écrit un véritable objet d’apprentissage, loin des évidences qui parcourent cet ouvrage. Les « acrobaties linguistiques » utilisées pour déjouer la tyrannie du discours suffisent-elle pour que ces élèves construisent leur propre parole ?