Association française pour l’enseignement du français

A lire, à voir

  • 14
    Sep

    Écrire l’exil, vingt ans après - Velibor Čolić

    Littérature francophone « réfugiée » au Congrès de la FIPF, par Viviane Youx

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    Jésus et Tito, Velibor Čolić
    Éditions Gaïa, Mai 2010 - ISBN 978-2-84720-166-6 - 192 pages - 17 € -  Existe aussi en format numérique       

    Manuel d’exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons, Velibor Čolić
    Éditions Gallimard, Collection Blanche, Mai 2016 - ISBN : 9782070186716 – 208 pages - Existe aussi en format numérique    

     

    Pour donner place à la littérature francophone lors du 14ème Congrès International de la FIPF (Liège, juillet 2016), Bernard Magnier[1] avait avait fait le choix de donner la parole à des écrivains s’étant exilé de leur pays et écrivant en français. Certains sont arrivés en France plus ou moins volontairement, telle Marzena Sowa qui dans sa série de bandes dessinées Marzi, porte un regard critique sur la Pologne de son enfance, prise entre communisme et catholicisme. D’autres ont fui leur pays et les dangers que leur faisait courir son régime politique, telle l’Argentine Laura Alcoba (Le Bleu des abeilles, Ainsi vient la langue, site AFEF avril 2014) ou la Chinoise Wei-Wei, obligée d’apprendre le français dans le but de servir d’interprète en Afrique (ce qu’elle ne fera jamais, et partira pour l’Angleterre dès que possible). Ou le Bosniaque Velibor Čolić, enrôlé dans la guerre de l’ex-Yougoslavie qui choisit de déserter pour échapper à l’horreur et fut ainsi propulsé il y a plus de vingt ans dans la catégorie des réfugiés.

    Vingt ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Velibor Čolić pour faire de sa situation de réfugié un matériau littéraire. Ce qui le différencie des auteures citées ci-dessus, c’est que, s’il écrit en français comme elles, il n’a pas commencé sa carrière d’écrivain en France. « I am a writer », répète-t-il au personnel chargé, à son arrivée à Rennes, d’évaluer sa situation et de lui proposer une formation. Mais être écrivain ne le dispense ni des foyers d’accueil, ni de devoir apprendre le français au ralenti, sans égards pour son niveau linguistique et ses capacités d’apprentissage. Deux romans récents, à tendance autobiographique, retracent deux étapes d’une vie, la première qui l’expulse de son pays d’origine, la deuxième qui le voit affronter les difficultés d’insertion dans son nouveau pays et sa langue.

    Avec Jésus et Tito, Velibor Čolić, qui n’a cessé d’écrire depuis son arrivée en France, inaugure une écriture plus personnelle. Quand vous entamez ce roman, vous ne le lâchez plus ; par son écriture fluide, des chapitres courts, le narrateur nous entraine de la cour d’école de son enfance, déjà empreinte des duretés et harcèlements caractéristiques de cet « âge d’or », aux rangs de l’armée où il apprend à encaisser, se contenir, se taire, jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. Mais, présenter ainsi Jésus et Tito risquerait de le faire passer pour un thriller ou un documentaire guerrier. Ce roman d’apprentissage écrit et vu à hauteur d’enfant, puis de jeune homme, ne cherche ni à faire peur ni à moraliser, les anecdotes tristes ou gaies dont il fourmille disent simplement la vie comme elle se déroule ; seulement, certaines vies sont assorties d’horreurs qui imposent de « Recommencer à grandir », comme titre le dernier chapitre.

    Le titre du deuxième tome de cette série « autobiographique » publié en mai 2016, Manuel d’exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons, pourrait faire croire qu’il sort d’une collection de développement personnel ou de vie quotidienne. À partir de son ouverture sur l’arrivée du narrateur à Rennes avec trois mots de français en poche : « Jean, Paul et Sartre », le Manuel nous livre un parcours de réfugié, depuis les formalités administratives, les foyers, les cours de français, jusqu’aux errances, les nuits à la belle étoile, l’alcool. Mais le lecteur est sauvé de la dépression, là encore, par des anecdotes drôles à l’empreinte durable, capables d’humaniser les situations les plus pénibles. Et le parcours du narrateur, de Paris à Strasbourg, puis dans l’Europe centrale aux paysages et coutumes proches de celles de son enfance, nous livre de belles rencontres, autant de leçons pour réussir son exil.   L’écriture plus travaillée, plus complexe que dans Jésus et Tito, nous entraine jusqu’au vide final, le compte à rebours jusqu’au zéro, où le narrateur se promet d’ouvrir les yeux sur le changement de siècle, il ne les ouvre pas, « Trop de valises, trop de froid, trop d’exil pour un seul homme. »

    Si ce Manuel d’exil ne donne probablement pas aux réfugiés qui en auraient besoin les clés pour réussir leur exil, il constitue incontestablement un support précieux pour mettre de la distance – les vingt ans nécessaires pour faire de la littérature avec cette expérience – et engager avec nos élèves une réflexion sur la puissance des mots et de l’écriture pour tenter de dire et de comprendre ce que peut vivre un réfugié.

     

    Viviane Youx

     

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