Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 06
    Mai

    Une question d’actualité : la formation des enseignants

    Note de lecture de Marie-France Bishop

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    Une question d’actualité : la formation des enseignants

     

    Marie-France Bishop

    Université de Cergy Pontoise / IUFM/ CRTF

     

    • Altet, M. Bru, M. Blanchard-Laville, C. (2012). Observer les pratiques enseignantes. Paris : l’Harmattan.
    • Charlier, E. Biémar, S. (2012). Accompagner un agir professionnel. Bruxelles : De Boeck.
    • Desjardins, J. Altet, M. Etienne, R. Paquay, L. (2012). La formation des enseignants en quête de cohérence. Bruxelles : De Boeck.
    • Paquay, L. Altet, M. Charlier, E. Perrenoud, P. (rééd. 2012).Former des enseignants professionnels. Bruxelles : De Boeck.
    • Tardif, M. Borges, C. Malo, A. (2012). Le virage réflexif en éducation. Bruxelles : De Boeck.

     

    Alors que les futures Espé sont en train de voir le jour, suscitant de nombreuses inquiétudes quant à leur réelle capacité à former des enseignants, plusieurs ouvrages, consacrés à la formation des enseignants ont été édités ou réédités. Ils apportent un éclairage salutaire dans le débat qui s’instaure, où les enjeux politiques et locaux semblent avoir plus d’importance que les contenus et la cohérence d’une véritable formation, où celle-ci marque le pas, enterrée sous des rivalités de pouvoir et de rentabilité. Les cinq publications parues en 2012 viennent à point pour rappeler les questions essentielles : à quoi, pourquoi et comment veut-on former les enseignants ? Où en sommes-nous dans ce domaine qui s’est développé au cours des vingt dernières années ? 

    Ces cinq ouvrages, produits par des équipes de chercheurs entretenant des liens de forte proximité, sont pour l’ensemble des bilans qui permettent de revisiter les conceptions importantes du domaine.

     

    1-    Redéfinir la professionnalité des enseignants

    En 1996, dans l’ouvrage Former des enseignants professionnels, Léopold Paquay et Marguerite Altet définissaient une nouvelle « professionnalité » des enseignants, soulignant l’évolution des conceptions dominantes sur le métier. Dans la réédition de 2012, cet aspect est réaffirmé avec force. La notion de professionnalité se décline sous cinq aspects empruntés à Bourdoncle (2000) : l’organisation de l’activité, l’existence d’un groupe de professionnels, la structuration d’un ensemble de savoirs spécifiques, l’acquisition et le partage de ces savoirs par le groupe et enfin la formation. Ces points qui étaient déjà présents dans la formation des instituteurs au sein des écoles normales, se restructurent autour de nouvelles conceptions de la formation et de nouveaux savoirs professionnels.  

    Quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle professionnalité ?

    Il est possible, selon Altet, de distinguer quatre modèles historiques de la professionnalité enseignante : le magister, détenteur naturel du savoir ; le technicien qui apprend le métier à partir de savoirs pratiques ; l’ingénieur qui s’appuie sur des modèles scientifiques pour repenser son enseignement ; et, le plus récent : le professionnel ou praticien réflexif qui articule son savoir-faire entre pratique-théorie, alimentant l’une avec l’autre. Ce dernier modèle est introduit par les travaux de D.A. Schön, à la suite de la publication en 1983 de son ouvrage Le praticien réflexif. Cette nouvelle conception de la professionnalité se répand très rapidement à travers le monde. En Europe, au début des années 1990, les modèles de la formation, en Allemagne et en France s’en imprègnent dans tous les domaines professionnels.

    Comme le rappelle Maurice Tardif en introduction de l’ouvrage Le virage réflexif en éducation, trois points centraux apparaissent dans le texte de Schön. Le premier est la critique d’une conception applicationniste de la formation consistant à définir les techniques à mettre en œuvre. Au contraire, Schön soutient que c’est par et dans l’action que se constituent le savoir et l’expérience professionnels, qui seuls garantissent l’apprentissage des savoirs de métiers. Ce premier point modifie profondément les conceptions de la formation : on ne s’appuie plus sur la reproduction des modèles, mais sur l’analyse de l’expérience vécue. Le second élément concerne la place de l’analyse de l’action. Dans la nouvelle conception, les connaissances sur le métier s’élaborent dans l’activité des professionnels. C’est l’analyse de l’action, forme de pensée en actes centrée sur les problèmes rencontrés, qui fournit les savoirs professionnels, ce qui nécessite une alliance permanente entre chercheurs et praticiens pour avancer dans la connaissance du métier. Le troisième point est l’importance accordée à l’intelligence professionnelle des praticiens puisque toute pratique manifeste une réflexion dans l’action et une réflexion sur l’action.

    Le changement de paradigme est de taille : ce n’est plus le savoir qui est au centre de la formation, mais l’individu qui va, grâce à son activité et à l’analyse de celle-ci, acquérir des savoir-faire propres au métier. Ces modifications ont de multiples incidences, notamment sur les plans de formation des enseignants, et l’on va demander aux étudiants des IUFM de produire des porte-folios qui rendent compte de la construction et de l’analyse d’une première expérience professionnelle ou leur proposer des ateliers d’analyse des pratiques professionnelles. Les caractères principaux de cette nouvelle professionnalité sont la réflexivité, l’analyse de l’activité et les dispositifs de formation.

     

    2-    L’analyse de l’agir enseignant

    L’une des conséquences majeures de l’approche réflexive de la professionnalité enseignante est la place centrale accordée à l’observation et à l’analyse des pratiques. Le travail enseignant qui, jusqu’aux années 1980, était appréhendé dans son avant, c'est-à-dire au niveau de la préparation et dans son après, c'est-à-dire au niveau des résultats est devenu l’objet de toute l’attention des praticiens, des chercheurs et des formateurs. Partant du principe que l’action est le véritable lieu de l’apprentissage du métier, différentes approches tentent d’en faire l’analyse. Le principe emprunté à Schön repose sur l’idée que la réflexion professionnelle se déroule en cours d’action et  surtout lors de l’analyse de cette action. Les pratiques de formation vont consister à s’appuyer sur l’analyse de l’activité pour accompagner le formé à prendre conscience de ce qu’il connait et de ce qui est disponible pour lui. Le but étant d’améliorer la pratique, grâce à la prise de conscience et à l’analyse des réponses apportées aux différentes situations. Dans leur ouvrage collectif, Observer les pratiques enseignantes, Marguerite Altet, Marc Bru et Claudine Blanchard-Laville présentent les travaux du réseau OPEN (Observation des pratiques enseignantes).

    Il s’agit d’un panorama assez vaste de différents exemples d’analyse de la pratique des maitres. Celle-ci « n’est pas seulement l’ensemble des actes observables, actions et interactions liées aux multiples tâches de l’activité professionnelle mais cela comporte les procédés de mise en œuvre de l’activité dans une situation donnée par une personne en interaction avec d’autres avec les réactions, les interactions, les choix, les prises de décision […] » (p.13). L’observation est aussi une explication des processus en jeu, ce qui nécessite des grilles de critères explicites que les différents chercheurs proposent en fonction de leur domaine scientifique d’appartenance. Cette approche implique un changement de position entre chercheurs et professionnels. Ceux-ci deviennent des sujets de la recherche, car eux seuls sont capables de définir les savoirs incorporés dans la pratique que l’analyse et le dialogue peuvent faire émerger.

    Depuis quelques années, les plans de formation, en France, ont accordé une certaine place aux analyses de pratiques et de nombreuses approches se fondent sur l’observation des actions et des gestes des enseignants. Des outils sont mis à la disposition des formateurs[1]. Et, grâce aux travaux des chercheurs en psychologie du travail, différents procédés d’analyse de l’action professionnelle sont couramment utilisés. (Clot, 1999).

     

    3-    La formation par accompagnement

    Le changement de regard sur le métier et sur les pratiques a eu pour conséquence de transformer profondément les dispositifs de formation. Celle-ci ne se veut plus prescriptive, normative ou technique, au contraire, elle tente de prendre en compte les différentes individualités, les styles, pour conduire vers une amélioration des capacités professionnelles. Ce principe de l’accompagnement est présenté dans l’ouvrage collectif dirigé par Evelyne Charlier et Sandrine Biémar : Accompagner un agir professionnel.  Le processus d’accompagnement, comme le définit Anne Jorro dans l’introduction est toujours singulier puisqu’il dépend de la prise en compte du formé comme sujet autonome et du contrat qui s’établit entre les partenaires. Ce contrat n’est pas uniquement interindividuel, il est également institutionnel puisque l’accompagnement s’inscrit dans un projet de formation défini en amont. De plus, ce contrat évolue souvent au cours de l’accompagnement, en fonction des enjeux de chacun, des évolutions de la situation. Très souvent les dispositifs d’accompagnement sont centrés sur des analyses  de pratiques ou sur des modalités permettant au formé d’évoquer et d’analyser sa pratique. Le rôle de l’accompagnateur est également d’apporter des éléments méthodologiques et pédagogiques selon la demande qui peut être faite. La plupart des contributions mettent en avant le phénomène de co-élaboration des savoirs qui résulte de ces modalités souples d’accompagnement. Il s’agit de savoirs pour le développement professionnel, de savoirs à partager avec la communauté professionnelle, de savoirs de recherche, mais aussi de savoirs pour soi et sur soi. L’accompagnement est un dispositif qui instaure de nouveaux rapports entre individus dans les situations de formation et qui repose sur une dimension relationnelle. Elle a pour centre la position réflexive des formés et des formateurs qui se doivent d’être attentifs à leur activité : « L’accompagnateur analyse les conditions qu’il met en place pour aider l’accompagné à cheminer. L’accompagné ou l’équipe accompagnée progresse à partir d’une réflexivité sur soi, sur les situations de travail et son positionnement au sein de celle-ci. La posture de réflexivité est centrale tant pour l’accompagnateur que pour l’accompagné. » (p.12).

    Toutefois, certaines positions institutionnelles viennent perturber ce dispositif. Ainsi, dans le système de formation français, les formateurs qui accompagnent les néo-recrutés sur le terrain ont souvent un rôle d’évaluateur en fin de parcours, puisqu’ils sont chargés d’établir des rapports sur les compétences acquises qui sont ensuite remis à la hiérarchie, ce qui perturbe le dispositif et la relation de confiance qui devrait s’établir. Ce qui revient à constater que malgré l’apparente cohérence de la conception de la formation des enseignants défendue actuellement dans nombre de pays européens, les conditions de réalisation peuvent varier selon les programmes institutionnels.

     

    4-    Quels modèles de formation ?

    L’ouvrage collectif coordonné par Julie Desjardins, Marguerite Altet, Richard Etienne et Léopold Paquay, La formation des enseignants en quête de cohérence, propose une réflexion sur la notion de « cohérence » de la formation, envisagée comme un système articulé à partir de trois composantes. La première se situe au niveau de l’institution, il s’agit des programmes et plans de formations qui définissent les compétences de formation. La seconde est locale, elle concerne les équipes de formateurs et les propositions faites par les différents établissements concernés. La troisième est de l’ordre des individus, c’est l’ensemble des représentations que chaque acteur (formé et formateur) a pu construire sur la formation et qu’il met en œuvre dans l’application et la réception des actions de formation.

    La notion de cohérence est complexe, elle ne dépend pas de la seule volonté des décideurs, mais s’articule différemment dans les différents contextes où elle se réalise, pour être finalement reconstruite par les stagiaires. Comme le remarque Altet : « C’est pourquoi nous faisons l’hypothèse qu’il y a une différence entre la cohérence voulue et construite par les concepteurs et la mise en cohérence des actions des différentes catégories de savoirs professionnels construits par les acteurs qui, elle, relève à la fois d’un certain type de dispositifs de formation proposés et d’une articulation construite – et pas seulement supposée- par les différents formateurs et les stagiaires. » (p.156). La cohérence de la formation se construit dans la relation complexe entre ces trois niveaux et met en jeu un nombre important de paramètres. Elle a pu apparaitre souvent comme complexe et peu lisible, ce qui a été sans doute l’un des reproches adressé aux IUFM.

    L’occasion qui est actuellement offerte de repenser la totalité du système de formation pourrait se fonder sur ces différentes entrées. Il s’agirait d’affirmer la notion de professionnalité des enseignants, de s’accorder sur la place fondamentale des démarches réflexives et de tenter de mettre en place des accompagnements clairement définis. Enfin, la lisibilité, la cohérence de ce système gagnerait à ne pas être morcelée en autant de dispositifs que de sites universitaires de formation, mais plutôt à être centralisée et largement coordonnée par les Espé. Enfin, cette formation devrait être pensée au niveau de la formation des formateurs eux-mêmes, ce maillon apparaissant actuellement comme le moins clairement défini. En effet, aucun plan, aucun référentiel de formation des formateurs n’a été conçu au niveau national en France. Chaque académie, chaque université peut proposer des actions locales, plus ou moins diplômantes, de formation des formateurs, alors que ceux-ci sont l’élément clé de la réussite de toute formation des enseignants. La formation des enseignants ne peut être envisagée sans que soit abordée la question de la formation des formateurs d’enseignants et de leurs compétences.

     

    Bibliographie de référence :

     

    BOURDONCLE, R. (1990). De l’instituteur à l’expert. Recherche et formation, n° 8, « Aspects de la formation des enseignants au moment de la mise en place des IUFM »,pp. 57-72.

    BOURDONCLE, R. (2000). Professionnalisation, formes et dispositifs. Recherche et formation, n°35, « Formes et dispositifs de la formation ». pp. 117-132.

    CLOT Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris, PUF.

    SCHÖN, D.A. (1983). Le praticien réflexif. (éd. Française : 1994), Paris : éditions logiques.

     



    [1] L’Institut français de l’éducation (Ifé) a mis en place un site dédié à l’analyse des pratiques des débutants : Néopass@ction, conçu, organisé et présenté par Luc Ria. 

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