Association française pour l’enseignement du français

Revue Le Français Aujourd'hui

  • 07
    Juil

    SUJET LECTEUR, SUJET SCRIPTEUR, quels enjeux pour la didactique ?

    LE FRANÇAIS AUJOURD'HUI N° 157 ' JUIN 2007

    Présentation
    Par Marie-France Bishop & Annie Rouxel

    La place importante accordée au sujet dans les discours didactiques nous conduit à en interroger les enjeux. Effet de mode lié à la diffusion des théories de la réception, ou phénomène issu de « l'air du temps » ? Au-delà de son emploi très contextualisé dans les préoccupations de notre époque, on peut se demander si cette référence est un élément clé dans l'évolution de la didactique du français.

    Il est certain que parmi les valeurs dans lesquelles se reconnait la société d'aujourd'hui ' tout du moins telles qu'elles apparaissent dans certains discours (Cf. F. Dubet, FA n° 147, « Le Biographique ») figurent au premier plan le sujet et le respect de sa singularité ' avec parfois les dérives individualistes déjà évoquées. S'il y a bien quelque chose de « l'air du temps » dans l'emploi de ces notions, tout l'intérêt de la didactique est de penser cette question dans le cadre scolaire et d'envisager, dans la tension entre le sujet et le groupe classe, comment permettre à l'élève de s'épanouir en tant que sujet dans l'espace social.

    L'objectif de ce numéro est donc de faire le point sur les deux notions qui, en didactique du français, se réfèrent directement à la notion de sujet : les notions de sujet-scripteur et de sujet-lecteur, expressions fréquemment rencontrées dans les discours actuels ainsi que dans les pages de notre revue .

    On peut tout d'abord remarquer que la notion de sujet ' et d'individualité ' est perçue différemment dans le domaine de l'écriture et dans celui de la lecture. Il existe même une dissymétrie dans leur emploi en milieu scolaire. Plusieurs raisons peuvent être avancées. La première est liée à l'objet lui-même : tandis que l'activité lectrice se dérobe pour une grande part à l'observation, l'activité et la position du scripteur s'étudient plus aisément à partir des traces écrites. Des études plus nombreuses dans le champ de la didactique semblent le confirmer. Une autre raison tient sans doute à l'histoire de l'enseignement du français elle-même. Si on prend pour exemple l'école élémentaire on découvre que la subjectivité du lecteur n'est prise en considération, de manière explicite, qu'à partir des textes de 2002, alors que des pratiques telles que le texte libre de C. Freinet accordaient déjà une place importante à l'individualité du scripteur. La notion de sujet lecteur apparait comme une notion plus récente dans la culture de l'école que celle de sujet scripteur.

    Concernant la notion de sujet lecteur, on pense généralement que ce sont les théories de la réception, en littérature, qui ont conduit à considérer l'élève comme un « lecteur » ou un apprenti lecteur. Cependant, tout en faisant porter l'attention sur le lecteur, elles ont également contribué à une certaine modélisation de l'acte de lire. Idéalement, le jeune lecteur doit apprendre à répondre aux injonctions du texte et à se rapprocher du lecteur Modèle. Ce qui est visé, dans la tension entre le lecteur et le texte, c'est l'équilibre harmonieux entre les « droits du texte » et les « droits du lecteur ». Cependant, comme le constate A. Compagnon dans Le Démon de la théorie, bien souvent « la lecture est mise hors jeu » et le lecteur empirique ' le lecteur en tant que sujet ' est « en liberté surveillée ». Dès lors, se pose avec force la question, déjà mise en avant à Rennes en 2004 , de l'espace laissé à l'investissement cognitif, éthique, fantasmatique du sujet dans la lecture. Ces réflexions qui touchent à la didactique du français se posent également dans d'autres contextes linguistiques. C'est pour cela qu'il nous a semblé intéressant de savoir si la question du sujet était posée dans les mêmes termes hors de France. Aussi, avons-nous demandé à Christiane Donahue de l'université de Maine-Farmington aux États-Unis et à Alina Pamfil de l'université de Cluj en Roumanie, de nous éclairer sur la place accordée au sujet (lecteur et scripteur) dans le système éducatif de leur pays. Intéressante confrontation à l'altérité.

    C. Donahue nous donne accès à son champ de recherche : elle s'intéresse aux modalités d'écriture des étudiants et interroge tout particulièrement le sens de l'énonciation à la première personne, en usage aux États-Unis dans les écrits réflexifs quelque forme qu'ils prennent ' narrative, essai analytique, glose. On découvre non sans surprise comment la subjectivité du scripteur est sollicitée, encouragée, contenue' Cela donne à réfléchir sur les habitudes d'écriture impersonnelle qui sont la norme dans les universités françaises à tel point qu'elles paraissent naturelles.

    A. Pamfil qui partage notre désir de sortir du formalisme en favorisant une approche sensible des textes rend compte de l'orientation donnée par les directives européennes concernant l'enseignement de la langue maternelle. Il s'agit avant tout de développer chez les élèves la compétence de communication, reléguant la littérature au statut de composante de cette compétence. Cependant, l'intérêt pour la littérature, le souci de former les élèves lecteurs ne sont pas totalement absents et ont conduit à l'élaboration d'un modèle rassemblant l'ensemble des savoirs et savoir-faire visés par l'enseignement de la lecture littéraire. Ce modèle abstrait peut paraitre très éloigné, voire à l'opposé de nos démarches fondées sur l'observation des lecteurs empiriques. Pourtant, si l'on observe de près les questionnements proposés aux élèves pour favoriser la réflexivité nécessaire aux démarches interprétatives, on découvre que l'on essaie simultanément d'instituer leur subjectivité en interrogeant par exemple le contexte de réception (Qui es-tu en tant que lecteur ?). L'interprétation est aussi envisagée dans le cadre d'un débat intersubjectif. À l'horizon de ce modèle, ce sont bien les élèves en tant que sujets qui sont visés.

    Pour aborder les questions posées, la première partie de ce numéro du Français Aujourd'hui est dédiée au cadrage conceptuel : il s'agit de définir les termes et leurs différents emplois selon les contextes scolaires. Dans ce but, Marie-Madeleine Bertucci interroge les notions de sujet et de subjectivité. En partant du sens cartésien qui confère au sujet un caractère universel, elle propose de s'intéresser au déplacement qui se produit avec le concept d'individu. Cette acception plus moderne introduit l'idée d'une intériorisation et accompagne l'élaboration du principe de subjectivité. Et c'est finalement par l'emploi que P. Ric'ur propose du concept d'individu que se fait le rapprochement avec la didactique : le scripteur et le lecteur agissent, mais sont également construits par l'acte qu'ils accomplissent en tant que sujets.

    Marie-France Bishop propose, quant à elle, un parcours des textes officiels de français de l'école élémentaire pour y découvrir la manière dont l'élève a été appréhendé comme sujet de l'écriture depuis 1882. À travers ce parcours historique, on perçoit le lien qui existe entre les finalités de l'éducation scolaire et la place accordée à l'individualité de l'élève. Le sujet scripteur de notre époque y apparait comme issu des réflexions didactiques qui émergent dans le champ de la discipline, à la fin des années 1970. Il est le produit de l'introduction des sciences humaines dans l'enseignement : la psychologie, la linguistique et la sociologie, lesquelles ont conduit à repenser l'élève comme sujet et acteur dans l'acte d'écriture.

    Mais les deux notions de sujet scripteur et sujet lecteur ne sont pas entendues de manière unanime, et donnent lieu à des débats dont rend compte la seconde partie de la revue. Tout d'abord, Isabelle Delcambre relève différents problèmes que pose la notion de sujet scripteur. Il lui semble que l'absence de référence aux situations d'écriture et aux différents contextes en font une notion très générale qui ne prend pas en compte les données propres à chaque production d'écrit. C'est pour cela que la notion de sujet didactique est préférée à celle de sujet scripteur en ce qu'elle tient compte des particularités de la situation d'enseignement en même temps que de l'objet à produire.

    C'est cette même notion de sujet didactique que développe Bertrand Daunay à propos de la lecture. Le constat de départ pose qu'il est restrictif de ne prendre en compte l'élève que dans sa relation au savoir. C'est ainsi que certaines approches formalistes de la lecture se soucient davantage du texte que du lecteur. La prise en compte dans l'acte de lecture, non pas seulement du sujet lecteur, mais également du sujet didactique, réintroduit la notion d'apprentissage, et permet de penser la relation à la littérature comme pouvant être enseignée et apprise.

    C'est d'un autre débat que rend compte Christiane Donahue. Celui-ci aborde la question de l'expression personnelle dans l'écriture universitaire. Deux écoles et deux manières de penser les écrits post-baccalauréat se sont affrontées depuis les années 1970. Pour certains, il est nécessaire de donner au sujet de l'apprentissage toute sa place dans son écrit, et pour ce faire, on recommande aux étudiants d'écrire à la première personne. Pour d'autres, au contraire, l'écrit est une manière d'entrer dans une communauté fondée autour d'une même discipline, et dans ce cas, c'est la discipline qui est centrale dans l'écriture, non pas le sujet scripteur. Au c'ur de ce débat, se trouve la question de la place accordée à la subjectivité de l'apprenant et des moyens de son expression.

    Si la notion de sujet est au c'ur des débats didactiques sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, qu'en est-il de la réalité des pratiques ? Comment cette notion est-elle investie ' ou peut-elle l'être ' dans les classes ? C'est à ces questions que répondent les articles regroupés dans la troisième partie de la revue. Tout d'abord, Annie Rouxel propose une réflexion sur les pratiques de lecture au lycée. Constatant le peu d'espace laissé à l'expression de la subjectivité lors des lectures analytiques, et l'ouverture offerte par les lectures cursives, elle plaide en faveur d'une prise en compte des lectures subjectives comme lieu d'ancrage des démarches interprétatives. Ce point de vue s'inscrit dans les recherches contemporaines sur la lecture littéraire, recherches qui s'intéressent aux expériences singulières de lecture et « au texte du lecteur » (au texte reconfiguré par le lecteur) pour en faire le point d'appui de l'activité réflexive et des apprentissages. C'est encore d'expérience singulière et de « texte singulier » que parle Catherine Tauveron en abordant la question du sujet scripteur à l'école primaire. Afin de donner sens à l'activité d'écriture tout en visant la qualité des textes produits, il s'agit d'aider l'élève à assumer une posture d'auteur et donc à construire une « relation esthétique » qui l'engage pleinement. C. Tauveron donne un aperçu des conseils que peut prodiguer un enseignant pour impliquer ses élèves dans une démarche d'écriture littéraire.

    C'est avec le même souci d'enrichir l'expérience singulière de l'élève qu'est menée l'activité métacognitive décrite par Bernard Jay. Loin d'être anecdotique, cette étude de cas ' l'analyse du discours d'Agathe, élève de cycle 3, sur sa propre production ' met en lumière l'activité du sujet scripteur aux différents niveaux du processus de production du texte : invention, structuration, écriture. Plus encore, il éclaire les modalités de la « configuration littéraire » choisie par le sujet scripteur conscient de son intention artistique. Cette intentionnalité fortement revendiquée fait écho au statut d'auteur par lequel C. Tauveron définit le sujet scripteur en didactique de l'écriture littéraire.

    L'article d'Alina Pamfil qui clôt ce numéro se situe moins au niveau des pratiques qu'à celui des principes sur lesquels peuvent se construire des compétences de lecture. C'est que la priorité en Roumanie réside d'abord aujourd'hui dans l'affirmation de la nécessité de la lecture littéraire. Comme nous l'avons vu, cette mise en forme de la compétence littéraire requiert, de façon souvent implicite, la reconnaissance du sujet lecteur. L'ensemble des questions posées par la double problématique du sujet lecteur et du sujet scripteur n'a pu être abordé dans ce numéro qui rend davantage compte d'une réflexion en cours, dans le champ de la didactique du français, que de réponses totalement achevées. La réflexion est encore lacunaire, il s'agit d'une première approche qui devra être approfondie. En effet, qu'en est-il du sujet lecteur dans le primaire ? Bernard Jay nous a proposé quelques outils pour l'observer, mais dans quelle histoire scolaire s'inscrit-il ? Vers quelles analyses didactiques nous conduit-il ? De même, le sujet scripteur a été peu abordé au niveau du secondaire. Quelles sont ses postures ? Quelle est sa place et quels en sont les enjeux scolaires ?

    Nous constatons ainsi que les investigations dans ce domaine sont encore partielles et notre revue, qui y porte un grand intérêt, ne peut que donner un rendez-vous ultérieur aux lecteurs intéressés, pour en suivre l'avancée.

    Retrouvez l'ensemble du numéro du Français Aujourd'hui n° 157 (accès libre aux articles pour les abonnés particuliers, ou à partir d'une institution abonnée) Armand Colin Revues
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1 Commentaire

  • El yaagoubi

    28 Oct 2008 à 16:24

    je trouve votre site intéressant.

    J'aurais grand plaisir à collaborer avec vous pour des projets d'une didactique sans frontières.

    Cordialement,

    ahmed,enseignant en didactique du fle

    Cfi,Taza haut 35000

    Maroc

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