Association française pour l’enseignement du français

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  • 04
    Sep

    Retour des rencontres d'été du CRAP-Cahiers-Pédagogiques

    de Dominique Seghetchian

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    Retour des rencontres d'été du CRAP-Cahiers-Pédagogiques

     

    Un temps fort de ces rencontres angevines auxquelles j’ai participé avec plaisir et intérêt a été, le 20 aout, la conférence de Michel Develay. Selon lui, pour "une école juste et efficace", il convient de répondre à trois questions.


    1- Comment assurer que l'école ait un sens ?

    Comment faire en sorte que TOUS les élèves, quelles que soient leurs origines sociales et culturelles ou leurs histoires de vie, COMPRENNENT "à quoi ça sert", "à quoi ça leur sert". Le sens n'est jamais inhérent à un texte (un texte littéraire parle de problématiques humaines bien après ou bien loin du contexte qui l’a vu naitre) ni à une institution. Chacun donne sens, non de façon arbitraire, mais à partir des outils dont il a été précédemment doté, à l'école mais aussi dans son environnement personnel.

    Au plan pédagogique, aider les élèves à donner du sens est leur proposer des moments de mise à distance pour créer ce rapport à soi (comment ça me parle), aux autres (que me suggère ce que les autres en disent) et au monde (est-ce que d'autres personnes encore peuvent penser différemment de nous ?). Ce temps individuel de réflexivité nécessite des prolongements en questionnements ou en réponses.

     Il me semble que cette exigence a nourri la réflexion des ateliers auxquels j'ai participé lors de ces rencontres, en particulier celui sur les tâches complexes où nous sommes fréquemment et longuement revenus sur la définition de la métacognition, la variété de ses formes et contenus, l'importance des temps à lui réserver.


    2- Comment les élèves se lient-ils au Savoir et aux savoirs qui l'actualisent selon chaque discipline ?

    Cette question recouvre ce que, depuis les travaux de Charlot, on appelle le rapport des élèves au savoir mais aussi la façon dont ce rapport au savoir rencontre une identité professionnelle des enseignants qui repose sur le rapport aux savoirs fondateurs de l'épistémologie de la discipline qu'ils ont élue, car même les enseignants polyvalents ont été formés par le prisme de leur discipline universitaire d'origine.

    On peut apporter à cette question une réponse sociologique : le rapport au savoir se définit alors largement en dehors de l'école. C'est ce qu'ont mis en évidence les travaux de Bourdieu et Passeron (Les Héritiers, 1964) et de leurs successeurs (Charlot, Bautier, Rochex, Bonnéry...). C'est ce que confirment les évaluations internationales et nationales comme la dernière note de la DEPP (note n°25 d'aout 2015) qui montre que, dans son fonctionnement actuel, le collège "unique" ne parvient pas à corriger les inégalités socialement construites. Pour avoir envie de réussir, dit Michel Develay, il faut savoir pouvoir être autre chose. Ajoutons qu’il faut s'y sentir autorisé (d'où l'importance du travail avec les parents des milieux populaires pour que leurs enfants ne soient pas confrontés à des conflits de fidélité et d'identité).

    Mais sociologie n'est pas fatalité ! La construction de rapports scientifiques / littéraires etc. à soi, aux autres et au monde est aussi un des enjeux des temps métacognitifs déjà évoqués, temps de mise à distance des savoirs mis en jeu, des stratégies individuelles et/ou collectives, des obstacles / points d'appui rencontrés.


    Ce qui se joue à l'école, c'est le rapport à soi, aux autres et au monde MEDIATISÉ par le savoir. C'est là qu'on accède à l'idée de culture. L'épistémologie construit ce rapport distancié fondé sur les questions qu'une discipline pose au monde et qui sont différentes selon les disciplines. C'est un révélateur du caractère crucial de la formation des enseignants : ceux-ci n'ont pas seulement à s'approprier des savoirs universitaires, il leur faut encore les savoirs et savoir-faire indispensables à mobiliser les élèves, il leur faut enfin la maitrise épistémologique indispensable pour mettre à jour dans le programme annuel les 3 idées importantes qui seront au centre d'une pédagogie de projets (disciplinaires ou interdisciplinaires -en EPI par exemple). On comprend la complexité et l'exigence du travail des professeurs polyvalents. Renvoyant au livre de Sylviane Gasquet, Lycée, peut mieux faire (1990), Michel Develay dira dans le débat qu'une grande difficulté est de savoir quel temps on accorde à des enseignements frontaux et leur place car cela dégage du temps pour l'investigation, la structuration.

    La temporalité est en effet une question-clé dans les apprentissages et le rapport au(x) savoir(s). Dans l'atelier sur les situations complexes, j'ai été confrontée à une situation d'astronomie que mon groupe a menée à bien ; j'ai pris ma part de la réflexion et des expérimentations. J'ai réactivé de vieilles connaissances (temps de rotation etc.), j'en ai découvert d'autres (la face éclairée de la Lune est celle tournée vers le Soleil...). J'ai aussi entr'aperçu des liens entre ces connaissances mais je ne me sens pas capable de les reformuler (et que je les oublierai donc) parce que, dans l’action, des rapprochements fortuits (ou dus aux connaissances de collègues) étaient immédiatement validés, accompagnés, formalisés sans mobilisation de ma part. Sans doute étais-je tellement éloignée du rapport astrophysicien à l'Univers, que j'aurais eu besoin d'une phase de tutorat. J'avais été mobilisée dans la situation et j'aurais sans doute pu restituer ponctuellement un savoir formalisé avant de l'oublier. J'étais d'ailleurs ressortie de là avec une représentation complètement erronée des mouvements lunaires que j'ai exprimée dans un moment de loisir et que l'animatrice vigilante a pris la peine de corriger.

    Ma mésaventure estivale me semble révélatrice du fait qu'il faudra veiller à ce que l'institution par la réforme du collège d'heures dédiées à l'aide personnalisée (qui seront sans doute confiées à l'année à certains pour combler les emplois du temps, ou parce qu’ils seront volontaires...) ne se traduise pas par l'absence de cette aide au sein de chaque discipline : je vois mal comment, si moi-même je suis en charge de cette aide, je pourrais accompagner des élèves ayant les mêmes rapports que moi à la physique et, plus largement, aux sciences et techniques !


    3- Comment la Culture s'inscrit-elle dans le socle ? Quelle signification donner au mot culture ?

    Michel Develay rappelle que coexistent deux approches de la culture. La première est une approche patrimoniale qui fait de la Culture la somme des savoirs enseignés ; l'autre, la conception anthropologique, fait de la Culture à la fois la "substantifique moelle" des savoirs (qui relève de l'épistémologie) et la rencontre avec les universaux présents en creux au sein des disciplines. Il s’agit de questions de sens et d'essence qui relèvent de l'ontologie, c'est-à-dire de l'étude de l'être, la culture est alors la structure des savoirs enseignés. La question du plaisir, liée à celle du désir, n'est pas étrangère à la construction d'une culture dans l'interaction entre action/pensée/émotions mais l'école est dominée par le poids de la pensée, elle fait une petite place à l'action, trop peu aux émotions. Or il ne peut y avoir de culture sans émotions ou il s’agit d’une culture plaquée, une sorte de vernis universitaire.

    Enseigner cette culture c'est s'interroger sur les questions jamais débusquées dans les disciplines et qui en sont l'âme, questionnements d'ordre philosophique, interrogations vives.

    C'est parce les adjectifs "juste" et "efficace" sont liés par ces trois questions -du sens de l'école, du rapport au(x) Savoir(s) et de la culture- que leur association est pertinente pour qualifier l'école que nous voulons.

     Beaucoup en effet considèrent que l'école est juste dès lors qu'elle met chaque individu devant les mêmes situations et le confronte pour la même durée aux mêmes savoirs et savoir-faire. Ainsi un des arguments fréquemment opposés aux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) instaurés par la réforme du collège est qu'ils sont pris sur les horaires des disciplines concernées et que tous les élèves de France n'auront pas les mêmes horaires d'enseignement disciplinaire. Cette conception formaliste de la justice choisit de s'aveugler sur le fait que les enseignements disciplinaires font l'objet à l'école d'un formatage qui doit au moins autant à l'injustice sociale qu'à l'épistémologie et qu'enseigner autrement des points clés des programmes disciplinaires nous offre une opportunité de donner sens à l'école, d'accrocher les élèves à ces savoirs pour leur donner accès à une culture partagée : les EPI sont non seulement dans le cadre des horaires disciplinaires, mais aussi sur les programmes disciplinaires, dans des problématiques visant à leur donner sens.


    Et si "juste" est le premier des deux termes, c'est qu'il énonce d'emblée le critère de l'efficacité qui répond à notre éthique. En effet, l'efficacité est loin d'être une notion neutre. Si le critère de l'efficacité est la reproduction des "élites" et la fourniture d'une main-d'œuvre corvéable à merci sur le marché du travail, l'école actuelle fonctionne très bien et, effectivement, il faudrait ne rien changer à ce qui marche!

     

                                                                                                                                  Dominique Seghetchian

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