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Notes de lecture

  • 27
    Aou

    Qui a peur des mathématiques ?, de Anne Siety

    Note de lecture de Dominique Seghetchian

    Description : Qui a peur des mathématiques ?SIETY AnneQui a peur des mathématiques ? © éditions Denoël 2012 ; 2013 pour la coll. Le Livre de Poche, n°33081 – 298 pages – ISBN 978-2-253-16695-5

     

    Note de lecture de Dominique Seghetchian

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    Qui a peur des mathématiques ? Moi, sans hésitation. Par elles, j’ai appris très tôt comment un esprit peut être aussi fermé que la plus costaude des huîtres sauvages ; par elles, je me suis retrouvée en larmes, à cinquante ans passés, dans un groupe de militants des Cahiers Pédagogiques tout ce qu’il y a de plus bienveillant, dépitée – alors que quelques secondes auparavant je croyais m’être correctement sortie d’une « situation-problème » - de découvrir que le « bon » raisonnement, le raisonnement « élégant », conforme à la pensée mathématique, restait hermétique pour moi. Mais il est notoire que ce qui effraie, comme le grand méchant loup, fascine… Alors, pour progresser dans un travail d’équipe sur les compétences linguistiques, je me suis laissé aller à des lectures de vacances inhabituelles et je n’ai pas été déçue.

    Le livre est d’une lecture aisée, souvent même passionnante. Les citations littéraires, nombreuses et variées (Hugo, Prévert, Baudelaire, Fred Vargas, Winckler…) ne sont pas de simples ornements : inaugurant chaque chapitre et même chaque sous-partie, elles permettent une expression plus sensible des problématiques. Les questions qu’il pose en un préambule et quatre parties sont essentielles pour tout pédagogue, quelle que soit sa discipline, dès lors qu’il ne se résigne pas à l’échec scolaire.

    L’auteure, psychopédagogue spécialisée en mathématique, pose d’abord la question du « travail, remède ou illusion ? » Partant du constat que parents et enseignants, confrontés aux difficultés scolaires, répondent en incitant à travailler plus, elle démontre, exemples à l’appui que « Pour nombre d’élèves, ce n’est pas le manque de travail qui génère le blocage : le blocage réside, précisément, dans une impossibilité massive, incoercible, de se mettre au travail. » (p. 46). Contrairement à ce qu’affirme Anne SIETY, pour qui « Le terme de blocage […] semble exclusivement consacré aux difficultés en mathématiques » (p. 52), la même analyse pourrait être faite de certaines impossibilités terriblement culpabilisantes et douloureuses, d’entrer en littératie –en lecture[1] et/ou en écriture. Cette impossibilité à se mettre au travail est la « première porte fermée des mathématiques », dont la seconde est au contraire un hyper-activisme, un engluement dans un « faire » (des exercices) fondé sur une représentation de l’apprentissage comme fruit de la répétition et de la mémorisation de techniques, de théorèmes maison, de recettes qui sont autant d’obstacles à l’entrée dans une discipline, autant d’écrans à la compréhension : « Ces élèves sont presque tous réticents à accepter une approche fondée sur la compréhension et le raisonnement […] Presque tous se montrent en réalité, très sceptiques quant à l’existence d’un autre mode de travail que le leur, au point de refuser plus ou moins ouvertement de l’envisager. » (p. 98) Pour Anne SIETY, ces élèves se réfèrent tous à un modèle sportif du travail comme entrainement. Certes. force est de constater qu’on trouve aussi de tels comportements chez les élèves suivis par Stéphane BONNERY[2]. Il y a lieu de penser que de tels comportements peuvent bien sûr être liés à une histoire individuelle, particulièrement lorsqu’ils n’affectent qu’une seule matière, mais l’hypothèse de la prégnance d’un tel rapport au savoir dans les classes populaires mérite d’être examinée et, à partir des pistes d’Anne SIETY concernant les mathématiques, les équipes pédagogiques peuvent explorer des voies permettant d’accompagner ces élèves sur le chemin de la compréhension.

    Les situations rapportées sont l’occasion d’une interrogation en profondeur du langage mathématique pour expliciter « L’inquiétante étrangeté des mathématiques » -comme le dit le titre de la seconde partie. Très beau travail sur le « français langue de scolarisation » (FLS) qui interroge la polysémie lexicale et montre comment les mathématiques sont une discipline elliptique. La réflexion que la psychopédagogue développe sur des formules mathématiques mériterait d’être prolongée par d’autres, dans d’autres disciplines, par exemple sur les phénomènes anaphoriques, ou sur les implicites.

    Tout aussi transférable est la réflexion qui, dans la troisième partie intitulée « la question du temps volé », approfondit la critique d’un « didactiquement correct » qui accélère le temps des apprentissages, entrainant la  « [d]isparition […] de tout lien logique entre deux temps d’un raisonnement, [et] donne l’impression que le passage d’une étape à l’autre relève de la plus pure magie » (p. 160), qui fait de toute étape d’un enseignement un « pré-requis » vite considéré comme nécessairement « pré-acquis ». « “De tête” : le calcul est “mental”, les étapes du raisonnement sont “sautées”, les étapes, snobées sont parfois qualifiées de “triviales”… (p. 177) Et l’auteure de développer l’intérêt de « Penser à l’écrit »[3] : « Écrire, c’est prendre un peu de distance, déposer ses idées, l’une après l’autre, pour en bénéficier sans s’encombrer l’esprit, et continuer à élaborer. Écrire le détail d’un raisonnement mathématique permet de l’élaborer avec rigueur, sans s’y perdre, et en se donnant la possibilité de le relire sans avoir à chaque fois tout à reconstruire. […] » (p. 178). La question du temps nécessaire aux apprentissages – et que l’institution a tendance à nier dans l’élaboration des programmes et prescriptions – est aussi centrale dans les préoccupations de l’AFEF, avec le même objectif : ne pas se contenter de notions absorbées au prix d’efforts très importants et pénibles, mais que les élèves n’assimilent pas. « Ce mode d’apprentissage permet, à force de mémoire, de réussir quelques exercices sommaires. Mais, sans réelle compréhension, ces connaissances plaquées ne permettent pas d’entrer réellement dans les mathématiques [ou la langue, l’histoire, la chimie…] » (p. 215).

    On peut reprocher à Qui a peur des mathématiques ? une centration tellement exclusive sur cette discipline qu’Anne SIETY en vient à présenter comme réservés aux mathématiques des problèmes qui, Serge BOIMARE[4] l’a démontré, concernent plus largement les apprentissages. Toutefois cela permet de ramener à leur juste place, sans les nier, les lectures psychologisantes et individualisantes des difficultés scolaires, pour mettre à jour ce qui se joue dans les choix didactiques et pédagogiques, institutionnels et disciplinaires.

    Une seconde limite tient aux caractéristiques sociologiques du public qui fréquente son cabinet. En grossissant le trait, mais parce que cette information revient souvent comme une sorte de caution morale, on constate qu’il s’agit d’élèves de prestigieux lycées parisiens qui, même en grave délicatesse avec les mathématiques sont en filière S, plutôt que de banlieusards, précocement orientés en lycée professionnel. Ce fait limite en particulier la portée de la quatrième partie, « Le temps retrouvé des mathématiques ». Face aux difficultés de leurs enfants, les familles populaires se résignent plus vite et l’institution  « les oriente » sans attendre plusieurs années de rééducation psychopédagogique. Surtout, la large place suggérée pour les apprentissages informels est sans doute plus efficace lorsque l’environnement social et familial de l’enfant est en connivence avec les attentes scolaires.



    [1] Anne SIETY cite à plusieurs reprises Chagrin d’école, de Daniel Pennac, on pourrait, en ce qui concerne la lecture, citer Comme un roman, dont le premier « droit imprescriptible du lecteur » est celui de ne pas lire…

    [2] BONNÉRY Stéphane – Comprendre l’échec scolaire  – Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques – éditions La Dispute 2007 (une note de lecture se trouve dans la Lettre de l’AFEF de juillet 2014)

    [3] Titre et problématique du n°174 de la revue Le Français aujourd’hui, coordonné par Bénédicte Etienne et Annie Portelette.

    [4] BOIMARE Serge, L’enfant et la peur d’apprendre ©Dunod, 1999 et Ces enfants empêchés de penser ©Dunod, 2008.

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