Association française pour l’enseignement du français

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  • 06
    Avr

    Pourvu qu'ils apprennent ? Rendez-vous Interlignes 2015

    20 mars 2015, Antony

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    Présidée par Françoise Girod, membre du CA de l’AFEF, l’association Interlignes[1] réunit des professeurs de français, histoire et géographie en lycée professionnel de l’académie de Versailles.

    Accueilli à l’Espe d’Antony ce vendredi 20 mars, « le rendez-vous d’interlignes 2015 » invitait les enseignants à s’interroger : Pourvu qu’ils apprennent ? , en écho à une publication[2] intéressante de 1998 sur les réactions de stagiaires d’IUFM de l’académie de Créteil face à l’hétérogénéité.

    Françoise Girod rappelle les buts qu’Interlignes s’est fixés : organiser des rencontres, promouvoir le partage des savoirs et des pratiques, accompagner les enseignants en maintenant à la fois le souci de la réflexion et celui de la convivialité. Elle relie le choix du sujet de cette rencontre à une préoccupation croissante chez les enseignants : réconcilier les élèves de lycée professionnel avec l’école est nécessaire, mais cela ne suffit pas. Qu’en est-il des apprentissages ?

    *

    Conférence

    Dominique Bucheton développe la question suivante : En quoi les gestes professionnels[3] observés chez les enseignants sont-ils de nature à permettre l’apprentissage … ou l’empêcher ?

     Elle se réfère aux travaux de différentes équipes, rappelant la nécessaire collaboration entre recherche, terrain et militantisme. Elle s’appuie pour cet exposé sur un film tourné dans un collège de l’Académie de Versailles situé en ZEP. Sans même assister à  l’intégralité de la séance, consacrée à la production d’écrits liés à l’étude de Boule de suif, on y voit comment une jeune enseignante a tiré profit du travail en commun pour mettre ses élèves en situation d’écriture[4].

    Lors de cette séance, les élèves doivent écrire en groupe des dialogues, à partir d’une consigne qui diffère d’un groupe à l’autre.  L’enseignante met en œuvre toute une palette de gestes professionnels : pilotage des tâches (gestion du temps, circulation…) ; instauration d’une atmosphère propice au travail (maintien chez les élèves de l’écoute, du désir de parler, utilisation pour cela des variations de la voix et de la gestuelle…), tissage de liens entre la tâche à réaliser et les savoirs qui lui donnent du sens (retour au texte d’appui  lu auparavant, à la notion de point de vue…), étayage (ajustement constant pour faire comprendre, dire, faire). 

    Tous ces gestes peuvent être présents en une seule interjection (l’enseignant débutant parle trop, l’enseignant expert se tait, montre, se déplace, utilise la voix, le corps). Certains gestes sont très inégalement exploités selon les contextes, par exemple le tissage l’est beaucoup plus dans l’enseignement professionnel que dans l’enseignement académique. Or l’insuffisance du tissage est une cause reconnue du décrochage.

    L’ensemble de ces gestes construisent diverses postures qui dominent plus ou moins selon les enseignants : enseignement, lâcher prise, contrôle, sur-étayage/contre-étayage, accompagnement, magicien.  L’enseignant efficient est celui qui sait circuler sur l’ensemble de ces postures.

    Réciproquement se construisent différentes postures d’élève : « scolaire » (insécurité, pas d’autorisation à penser…), ludique, première (identification forte à la tâche), dogmatique, réflexive, refus. Ainsi une posture d’accompagnement dominante chez l’enseignant  permet de constater (avec le temps) un développement de la posture réflexive chez les élèves.

    Il faut rendre à l’hétérogénéité son caractère positif : travail en ateliers hétérogènes, travail collaboratif sur des projets longs, valorisation d’écrits singuliers[5], valorisation des cultures et des langages différents.

    *

    Table ronde

    1.     La classe inversée, par Laurence Mengelle, enseignante au LP P. Belmondo d’Arpajon et formatrice dans l’académie de Versailles.

    Cette « pédagogie de l’activité » vient des USA. Le constat du manque de concentration des élèves, lié au manque de motivation, contraignait à une évolution des pratiques : il fallait survivre !

    C’est une nouvelle organisation de la séance : 1) on aborde l’apprentissage par un temps de découverte et d’appropriation des connaissances (support vidéo ou papier), à la maison pour les 6e-5e, en classe pour les élèves plus âgés (fin de collège et LEP). 2) les élèves sont mis en activité par des  questions produites par l’enseignant, pour apprendre à structurer, rédiger.

    On change d’outils (travail collaboratif en ilots, jeux, résolution de problème, guidance grâce à la circulation de l’enseignant). Le rôle de l’enseignant se transforme (architecte de la séance, plus de disponibilité lors de la mise en œuvre). Les effets sont très perceptibles : les élèves travaillent, ne voient pas le temps passer, et l’enseignant n’a presque plus de discipline à faire !
     

    2.     L’entretien d’explicitation,  par Marion Fekete, enseignante au LPO G. Eiffel de Rueil-Malmaison, formatrice en Lettres-histoire dans l’académie de Versailles.

    Selon la définition de Pierre Vermersch[6], psychologue, en 1990, il s’agit d’une « aide à la description du vécu subjectif de l’action dans une situation spécifiée. »

    Les  buts : recueillir sans a priori une information sur le fonctionnement intellectuel de l’élève ; aider à la prise de conscience ; former à l’écoute et à la prise en compte de ces phénomènes.

    Les conditions : un contrat de communication qui implique écoute bienveillante, congruence, accueil inconditionnel, empathie (au sens où l’adulte prend en compte réellement ce que l’élève lui dit).

    Méthode : on peut se référer au texte de P. Vermeersch (voir note 6).

    Quelques principes : l’interrogation porte toujours sur le « Comment ? », jamais le « Pourquoi ? ».  On utilise beaucoup la reformulation (en miroir) pour relancer l’expression de l’élève.

    Deux illustrations tirées du travail de Sandra Nogry (Master EERBEP, Espe de Gennevilliers) sont fournies : la transcription d’un entretien avec un élève de 3e SEGPA sur son blocage devant l’écriture, et celle d’un entretien avec un élève de 5e SEGPA déclarant « Chais pas lire ! ».

    Ces deux exemples concernent chacun un élève pris à part momentanément pendant un cours, mais on peut aussi utiliser la démarche en classe entière : donner la parole à deux ou trois élèves « en réussite » permet de fournir aux autres des pistes, par exemple sur les diverses façons de s’y prendre pour mémoriser un cours.
     

    3.     Le tissage, à l’école maternelle, par Stéphanie Jassey, enseignante en petite section et directrice de l’école maternelle Marcel Cachin de Villejuif.

    C’est à la suite d’un master de recherche (Université de Paris 8) consacré au « tissage » que Stéphanie Jassey propose à équipe de l’école de se centrer sur ce geste professionnel. En effet, quand on demande à des petits ce qu’ils ont appris lors d’une journée à l’école, ils disent le plus souvent qu’ils ont joué : ils n’ont pas conscience d’avoir effectué un apprentissage. Cet état de fait peut évoluer si l’enseignant inclut cette préoccupation dans sa préparation de séance et modifie en conséquence ses gestes professionnels.

    Cela conduit à l’explicitation : Pourquoi fait-on cela ? À quoi cela va-t-il servir ? Par exemple on explique que l’examen de la première de couverture d’un album permet de mieux comprendre l’histoire. Les élèves, de cette façon, prennent conscience de ce qu’ils apprennent.

    Cette explicitation permet aussi à des parents, dans une école en ZEP, que l’école maternelle n’est pas une simple garderie.
     

    4.     Enseigner à des élèves décrocheurs, par Régis Signarbieux, enseignant d’histoire-géographie au micro lycée de Paris (lycée Lazare Ponticelli)

    Le micro lycée se donne pour mission de re-scolariser 50 élèves, en 1ère et terminale SES et L. Ce sont des élèves volontaires, qui ont quitté l’école depuis 6 mois à un an. Ils désirent obtenir le bac, mais se sont aperçus de la difficulté qu’ils avaient à travailler seuls.

    Le service d’un enseignant est très différent du service habituel d’un enseignant de lycée : sur 25h de présence hebdomadaire dans l’établissement, Régis Signarbieux n’en consacre que trois à l’enseignement de l’histoire-géographie. Il se consacre à d’autres tâches :

    -        travail individuel en tant que référent avec les 8 ou 9 élèves dont il est responsable (Où est-ce qu’il réussit ? Quelles difficultés rencontre-t-il ? Qu’est-ce qui l’a empêché éventuellement de venir au lycée et/ou de se mettre au travail ?)

    -        animation d’un atelier journalisme (avec une collègue de SES)

    -        culture et méthode (6 enseignants en parallèle)

    -        études le soir jusqu’à 18h30, où l’enseignant apporte son assistance dans n’importe quelle discipline : « Je suis à côté d’eux, pour des disciplines où je ne suis pas un expert. »

    -         réunions hebdomadaires de l’équipe éducative.

    Des petites salles permettent le travail individuel ou en petit groupe. C’est l’enseignant qui se déplace. Le respect du travail de l’élève (« Faut pas qu’ça s’arrête, j’suis partie, là ! ») passe avant le respect des horaires prévus pour les cours. Les élèves bénéficient par ailleurs de la permanence d’une psychologue, une demi-journée par semaine.

    Le principe du travail est de mettre l’élève en situation de réussite, il doit se sentir capable. Cela passe par des activités de production, pour que chacun avance à son rythme. C’est plus difficile en Histoire-géographie qu’en Lettres (écrits normés).  L’élève est interpelé : « Si tu ne produis pas, je ne peux pas t’aider ». Par contre il n’y a pas de jugement sur la production (pas d’évaluation chiffrée, pas de classement, on utilise d’autres modalités de retour).

    Au micro lycée, on accueille les élèves le matin autour d’un café, d’une brioche. On considère a priori que l’élève est en demande (explicite ou implicite). Si l’enseignant référent lui pose problème, il en change. On prend du temps. Tous les enseignants s’occupent du suivi des élèves, il n’y a pas de CPE.

    *

    Dominique Bucheton constate que l’accent mis sur l’activité des élèves constitue le point commun de ces pratiques. Elle conclut en disant qu’à travers ces témoignages, on voit naitre un nouveau métier, laissant  place aux élèves comme personnes singulières, qu’il faut écouter, pour comprendre comment ils apprennent, et à qui il faut laisser du temps…

     

    Compte-rendu de Joëlle Thébault

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