Association française pour l’enseignement du français

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  • 23
    Avr

    Peut-on réformer l'école ?

    Compte-rendu du Colloque de l'AFAE 4-6 avril 2014

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    Lire le programme du XXXVIème colloque de l'AFAE

    Compte-rendu de Viviane Youx

    Ouverture : Pierre-Yves Duwoye, Recteur de l'Académie de Versailles

    Le Recteur revient sur le titre "Peut-on réformer l'école ?" pour lui préférer, au risque de se lamenter sur l’impossibilité de la réforme, le verbe changer : quelles que soient les politiques, le même objectif subsiste, décliné sous des formes différentes qui ne disent certes pas la même chose, égalité des chances ou lutte contre les inégalités, mais l'objectif commun à toutes les politiques de l'école est que tous les élèves réussissent. Comment assurer le changement que cela implique ? En expliquant aux parents pourquoi l'école doit changer, et pourquoi la diversité est une chance ; en pensant une conduite du changement qui permette de faire face aux résistances des professeurs lassés que cela change sans cesse. En comprenant aussi que le conservatisme de l'administration évite des errements ; et que le rôle des syndicats est seulement de défendre les intérêts catégoriels. Quant au Ministre, il est comptable de l'intérêt général. Comment réformer ? Un enjeu important est de faire évoluer le mode de régulation du système :

    -       donner des marges aux établissements (horaires, adaptation aux contextes, aux élèves) ; ces marges qui donnent un peu de liberté permettent plus d'équité ;

    -       faire confiance aux équipes de terrain ;

    -       utiliser la logique de contrat en s'appuyant sur l'initiative et la réactivité des équipes de terrain.

     

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    Les conférences d’ouverture

    Du changement dans l'École : vision de l'historien – Antoine Prost

    Est-ce qu'il y a du changement sans réforme ? Des changements se sont faits de manière imperceptible, par exemple le passage de Monsieur-Mademoiselle au prénom et du vouvoiement au tutoiement, ou encore l'implantation du résumé de texte dans les classes de français. Mais, d'une manière générale, ceux qui voulaient changer sans faire de réforme n'ont pas réussi, par exemple les Cahiers pédagogiques n'ont pas fait tache d'huile.

    Une réforme, c'est un changement voulu par les Autorités responsables : tout changement voulu est une réforme, même si elle n'est pas positive ; pour qu'il soit une réforme, il faut qu'il soit voulu.

     

    Quelles sont les sources des réformes ?

    Des réformateurs, des mouvements pédagogiques, des chefs d'établissement pédagogues, mais les individuels sont rarement à l'origine de réformes s'ils restent seuls ; ils ne réussissent que s'ils sont relayés par un groupe (ex. des maths modernes) ; un gros recul s'est produit dans l'Éducation Nationale quand elle a supprimé l'interface de l'INRP (Institut National de la Recherche Pédagogique) qui jouait un rôle essentiel.

    L'Administration centrale, par exemple la réforme du collège, de 1959 à 1963 a été entreprise par l'administration.

    Les commissions jouent aussi un rôle, soit avant, soit après. Le spectre de ces commissions est large : discrètes/à grand spectacle ; ponctuelles/générales ; d'élaboration/de négociation ; à froid/à chaud. Tout dépend du Ministre qui crée la commission, soit il a envie d'en faire quelque chose, soit il fait du buzz

     

    Quelles ont été les grandes réalisations ?

    Les réalisations comportent une pluralité d'outils. Toutefois, la tradition républicaine veut que le Ministre gère l'éducation par des décrets et non par des lois. L’article 34 de la Constitution stipule que l’éducation relève du pouvoir exécutif.

    Or, depuis 1975, date de la célèbre loi dite Haby, des lois ont été votées qui n'étaient pas vraiment nécessaires. Ce qui est du domaine de la loi est ce qui est sanctionnable, par exemple en 1989, la transformation des Écoles Normales en IUFM, ou la suppression par la loi Fillon du Conseil National des Programmes.

    Souvent, des lois prises trop vite, pour donner du grain à moudre au journal de 20h, sont contreproductives, par exemple la loi Taubira sur l'abolition de l'esclavage (qui aboutit à ce paradoxe qu’on peut nier l'esclavage avant le XIVe siècle et à l'intérieur de l'Afrique). Une loi a un effet paralysant sur le domaine du ministre. En effet, la loi a trois conséquences négatives :

    -       L’encombrement du processus législatif

    -       La dramatisation de la réforme par le débat public

    -       Un effet paralysant sur la capacité d’initiative du ministre.

    Chaque fois qu'on légifère, on est amené à légiférer à nouveau pour modifier. Par exemple, pour le bac, le décret s'impose, sinon on ne peut plus changer les sections ; les circulaires rendent la tâche plus facile.

     

    Quelles sont les conditions du succès ou de l'échec ?

    Le succès d’une réforme est pris ici au sens de ce qui a été effectivement mis en œuvre ; l’échec au sens de ce qui n’a pas été tenté ou abouti.

    On a tort de considérer les syndicats comme obstacles au changement, leur rôle est la défense du personnel. La tradition française du syndicalisme est d'être partenaire-adversaire ; ce n'est pas le métier des syndicats de réformer l'école, quand ils s'abstiennent, c'est qu'ils sont d'accord. Les syndicats n'ont jamais empêché une réforme, par exemple la loi Debré a rencontré une forte opposition des syndicats ; la seule réforme totalement déshabillée par le SNES, c'est la réforme proposée par lacommission Thélot, mais les syndicats n'auraient pas réussi si les ministres avaient été forts. C'est la faiblesse de l'exécutif plus que la force des syndicats, notamment l'instabilité ministérielle, qui fait imploser l'EN.

    Une autre cause d'échec est le déficit de communication interne et externe. Le ministre n'a pas le moyen de faire savoir ce qu'il veut faire. Aucune réforme ne fonctionne sans mobilisation de l'Administration. Pour faire les décrets d'application, il faut du temps ; mais à l'inverse faire trainer est significatif d'un manque de volonté, par exemple le Socle, voté en 2005, a eu son décret d'application en 2006, mais l'arrêté pour la mise en place du livret personnel de compétences en 2010, les Ministères n'en voulaient pas. Un autre exemple, celui des rythmes scolaires : dans l'Ariège, la semaine de 4 jours ½ est appliquée à 80%, dans d'autres c'est à 20%. "Aucune réforme ne réussit sans une administration résolue". Quelle administration pour quelle réforme ?

    Enfin, l’instabilité ministérielle n’arrange rien.

     

    Quelques exemples de réussite et d’échec des réformes

    Côté réussite : la loi Debré sur l’enseignement privé ;la réforme des collèges et lycées ; le bac dans les années 60 ; le lycée professionnel avec le bac professionnel ; la mise en place des IUFM. Caractéristiques : ce sont des réformes de structures

    Versant échec : la notation par lettres, les activités d'éveil, la pédagogie de soutien, la loi Fillon sur le socle commun. Ces réformes qui modifient les enseignements touchent à la pédagogie

    L'Administration a prise sur les structures, pas sur la pédagogie. Les réformes pédagogiques ne réussissent pas parce qu'elles touchent à l'identité professionnelle des professeurs et à la liberté qu'ils estiment avoir.

    Il faut une Administration de mission et non de gestion. Savary l'a fait avec les MAFPEN, qui ont mobilisé les acteurs de terrain dans la formation. À l'inverse, les projets d'établissement ont échoué, il n'y a pas de structure de dialogue suffisante entre le Ministère et les Établissements.

     

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    Changer l'École : objectifs, résistances, stratégies – Claude Thélot

    Claude Thélot, qui réfute pour ce qui le concerne le terme de praticien, fait remarquer que, dans les deux conférences liminaires, "réformer l'école" a été transformé en "changer", signe que le changement est plus facile que la réforme.

    Il revient sur la Commission Thélot dont une des causes d'échec est dans le changement de ministre : c’est Luc Ferry qui l’avait instaurée, or ensuite François Fillon ne voulait pas être Ministre de l'éducation. « Tout de suite on a compris qu'il n'allait rien faire de ce qu'on avait prévu ».

    Le changement répond à une structuration "au fil de l'eau" plutôt qu'à une réforme du "grand soir".

    Faut-il que l'école change ? La seule raison qui peut le justifier, c'est si elle n'atteint pas ses objectifs : faire réussir tous les élèves, nous n'y arrivons pas, on s'éloigne de cet objectif. Un point central pour réformer, c'est que l'autonomie ne s'invente pas ; il faut former les gens à être autonomes, responsables. Au cœur de la question  se trouve la façon dont on s'y prend pour s'approcher de la cible, pas sur le fond de la réforme, mais sur les modalités de conduite du changement dans le système. Comment peut-on aujourd'hui conduire ce changement vers les objectifs ? La méthode repose sur l’articulation étroite entre un cadre national, l’autonomie des structures et des acteurs, l’évaluation. Pour cela 5 conditions capitales méritent d’être réunies.

    1.    Favoriser des capacités d'expérimentation. On n'y arrivera que si on libère l'expérimentation pédagogique des enseignants et des directions d'établissements. On expérimente peu, ou pas assez. Il est de plus en plus dur d'éduquer un-e jeune homme-fille, il est nécessaire delibérer les énergies des acteurs, et favoriser, y compris de façon risquée, l'expérimentation dans les établissements, dès l'école primaire et le collège.

    2.   Conduire une grande politique d'évaluation des expérimentations : évaluation des acteurs, des établissements, des professeurs, des chefs d'établissement, par l'implantation d'une modalité concrète dans  un contexte de diversité des élèves. Mais faire confiance aux acteurs qui produisent réellement l'acte éducatif. La régulation produite par cette évaluation insufflera une dynamique.

    3.   On ne change pas sans, et encore moins contre les acteurs de base, les personnes. Il faut s'associer les acteurs de base, mobiliser la minorité « agissante », certaines minorités, les acteurs dynamiques. Et ne pas confondre les acteurs de la réussite éducative avec ceux qui sont censés les représenter. Le Ministre est obligé d'agir contre les représentants. La difficulté d'éduquer la jeunesse ne peut être dépassée qu’en redonnant vie au dynamisme d'un certain nombre de minorités. Ce qui suppose, pour redynamiser les actes éducatifs, de distancier les minorités capables d'agir des organisations censées les représenter. La difficulté d'éduquertoute la jeunesse impose d'inventer des façons de faire pour leur faire acquérir le socle et au-delà du socle.

    4.  Ne pas s'enfermer dans des dialogues bilatéraux, avoir des dialogues avec les organisations syndicales, mais ne pas s'y enfermer, et compléter ce dialogue par des prises d'information dans le système éducatif et dans l'opinion, chercher des éléments qui ne fassent pas le monopole, réfléchir à une façon d'organiser le changement, l'enrichir par d'autres voies. Pour faire face à la dégradation des résultats, cela nécessite d'être capable de faire réussir le système au service de tous. La capacité à prélever de l'information et susciter des initiatives impose de déborder le cadre syndical car le succès de notre système éducatif décroit. Au sein même des organisations syndicales, il faut faire attention à organiser la discussion. Les questions pédagogiques sont souvent l'affaire de minorités, de personnes dynamiques : c'est plus vrai que jamais. L'appel à des initiatives est urgent pour libérer des initiatives individuelles et des actions collectives qui complètent les actions syndicales standard. Il s'agit de défendre les droits des minorités, à la fois les 20% d'élèves en échec et les minorités d'acteurs innovateurs. Traiter l'inégalité, c'est s'occuper des 20%. La principale question de l'inégalité, c'est ce qui sépare les 20% des 80%.

    5. On ne change pas à moyens constants. Mais on donne des moyens avec des liens indissolubles avec des changements travaillés. On donne des moyens sous conditions, par exemple pas d'ouverture de X postes sans conditions : lier les moyens aux changements, par des mesures structurelles (changement du métier d'enseignant) et par la réversibilité des moyens. Une diversification équitable et une maitrise des moyens vont de pair avec l'évaluation. Il faut lier les moyens à des manières différentes de travailler et aux résultats.

     

    Conclusion. Un ministre doit se donner une cible, en accordant toute la place à tous les partenaires, mais pas plus que leur place. Le ministre doit être l'avocat des élèves, il est le seul à l'être, et il doit faire changer l'école au profit des élèves. Le ministre est l'avocat des élèves et non des personnels, qu'il doit aider à être autonomes en les accompagnant. Mais sans prétendre que cette politique d'accompagnement s'identifie avec la politique à l'égard de la jeunesse.

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    Réponse à quelques questions après ces deux conférences d'ouverture

    -       CT. C'était une idée de la 3ème République que le regard soit borné par des représentants. Sortir de ce bornage, c'est donner la parole aux minorités agissantes.

    -       AP. Les évaluations des IUFM, qui étaient remarquables, n'ont servi à rien, elles n'ont pas été utilisées.

    -       CT. Il faut organiser les capacités des acteurs à développer des initiatives, et repenser au moins pendant dix ans notre priorité éducative dans le sens de la "réduction" des 20%.

    -       Question sur la difficulté dans le système français de la prise de risques, de la peur de l'échec, de l'autonomie. CT : pour ne pas déboucher sur le désordre, il faut encadrer la circulation de l'innovation, mais la faire connaitre, la faire circuler, en ayant une véritable politique de l'encadrement éducatif, l'autonomie est le contraire du laisser-aller. La liberté pédagogique n'a de sens que si elle est nourrie, l'incantation à expérimenter et innover ne sert à rien si l'expérimentation n'est pas accompagnée. CT prend l'image de la couture, d'un canevas sur lequel on peut broder, mais pas tout réinventer chaque matin.

    -       AP donne un exemple de petites mesures qui auraient des effets maximaux, à la prérentrée : un calendrier des "interrogations", "compositions" de l'année, donné aux parents. Qu'est-ce qu'on peut faire pour resserrer les liens du traditionnel pour éviter qu'il se détériore ?

     

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    Les regards extérieurs

    Les évolutions de l’Université en France et en Europe – Christine Musselin

    Dans tous les pays d’Europe, en France y compris malgré parfois le retard pris, les établissements universitaires sont devenus plus autonomes, en même temps que leurs exécutifs se sont davantage professionnalisés.

    Les universités se construisent en organisations et en adoptent les grandes caractéristiques : hiérarchie, rationalité, identité.

    Or, de tradition, l’enseignement supérieur est marqué par une faible interdépendance fonctionnelle de ses agents, ce que les anglo-saxons nomment le « loose coupling ».

    Cette coopération réduite entre les différents acteurs s’explique par le fait que l’enseignement est une technologie molle : l’utilité de ce qui est enseigné aux élèves n’apparait guère comme évidente ; l’enseignement dispensé est difficile à décrire, et tout autant difficile à produire.

     

    Or, les structures formelles sont paradoxales : si elles ont un poids assez faible, elles résistent fortement dès qu’on cherche à les changer. Par exemple, si la direction d’une université veut fusionner deux laboratoires, aussitôt la contre-offensive s’organise.

    Ainsi, la direction est toujours suspecte, jugée de toute façon illégitime par les enseignants à propos des contenus de l’enseignement : disciplines, méthodes pédagogiques, domaines du savoir. Sur ce terrain, la hiérarchie s’exerce peu ou pas du tout.

     

    En définitive, la loi LRU a eu moins d’effet sur les évolutions de l’université que la création des agences :

    -       L’une d’allocation des ressources (ANR), qui prend en compte la performance et les projets de l’établissement supérieur ;

    -       L’autre d’évaluation (AERES), qui engendre toutefois une assez forte normativité et peut provoquer des effets pervers (le cas est cité d’une université qui a recruté des experts pour effectuer une « évaluation blanche » en prévision de l’évaluation programmée par l’agence).

     

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    Réformer ou (se) transformer ? – Hervé Lefèvre, PDG Kea & Partners

    N. B. Cette communication s'appuyait sur un diaporama qui doit être envoyé aux participants, ce qui facilitera la lecture et la compréhension.

    Quelle est la question ? Réformer vs (se) transformer. Dans les entreprises on parle plus de transformer, ce qui implique une évolution des comportements, une prise en compte des valeurs. Dans une situation de crise, il faut s'appuyer sur les hommes. Réformer une organisation, c'est faire en sorte qu'elle se développe par elle-même, en passant de l'injonction au développement de l'autonomie. L'autonomie des personnes est une réponse à l'environnement volatile, incertain, complexe et ambigu, elle libère la créativité nécessaire à l'innovation.

    L’organisation, dont le profil est lié à son histoire, s’apparente à la nutrition : maitriser le dehors par le dedans, et réciproquement.

    Quelques images et citations sont proposées :

    Passer de la Baleine au banc de poissons.

    « Il y a loin du connectif au collectif » (Régis Debray)

    « Vous voyez des choses et vous demandez pourquoi. Je rêve de choses qui n’existent pas et je me demande pourquoi pas » (George Bernard Shaw).

    « En donnant aux hommes des tâches à accomplir, on en fait des tâcherons. En leur donnant des fonctions on en fait des fonctionnaires. En leur donnant des missions, on en fait des missionnaires » (Michel Serres).

     

    Hervé Lefèvre propose un tableau de 4 modes de fonctionnement d'une organisation :

                                    Intérieur                                    Extérieur

     

    Tribal

    Définit les relations entre les hommes

    Etoile autour du chef

    Culture : forte et respectée

     

    Holistique

    Auto-organisation

    en réseaux

    Communautés de pratiques

    Culture : objet de management

     

    Mécanique

    Ordre

    Organisation pyramidale

     

    Culture : ignorée

     

    Transactionnel

    Structurer les ressources

    Organisation matricielle

    Processus et systèmes

    Culture : minimisée car perçue comme une contrainte

     

    Chaud

           

     

     

     

     

             

     

     Froid

     

                                           

                                           

     

    Si la collaboration apparait comme naturelle, elle a toujours tendance à se défaire.

    Il n'y a pas de transformation réelle sans changement de comportements, à la fois initiée-pilotée, et installée au plus près du terrain. Pour cela plusieurs conditions :

    1. Développer une vision inspirée, partagée, déclinée. Établir un sentiment d'urgence. Définir la vision (raisons, objectifs, valeurs), la partager abondamment et la décliner à tous les niveaux.

    2. Libérer la zone rouge (zone rouge = contraintes, ordre / zone bleue = initiative, autonomie) ; dégager les marges d'autonomie, faire travailler la zone bleue, installer la confiance, responsabiliser les acteurs, mesurer les résultats.

    3. Utiliser le temps comme ressource, avec une perspective à long terme. La transformation commence dès le 1er jet, ensuite gérer le rythme, économiser l'énergie, expérimenter, préparer le terrain d'une transformation silencieuse.

    4. Installer un dispositif de transformation, créer une coalition de leadeurs, bâtir un programme de transformation, éliminer les obstacles (mais pas tous), changer les systèmes et structures, construire des équipes-supports, communiquer.

    5.   Mobiliser les ressources, repérer les acteurs, redistribuer les rôles, déployer un modèle de leadership, installer la coopération, mesurer pour comprendre et agir, évaluer l'action.

    Consolider les progrès.

     

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    Travailler ensemble dans l'établissement – Anne Barrère, sociologue de l'éducation

    L'objet des réformes est souvent le travail en équipe. La collaboration correspond à une évolution générale du monde du travail pour sortir d'un monde taylorien, bureaucratique. On ne rencontre pas d'opposition forte au travail en équipe, mais dans la réalité c'est autre chose. Car le cercle prétendument vertueux : «  travail en équipes = bons résultats » ne se vérifie pas toujours.

    Le travail en équipe, pour les chefs d'établissement, c'est faire travailler en équipe les enseignants, ce qui apparait au cœur d'un enrichissement du métier et du management pédagogique. Mais, les chefs d'établissement pratiquent-ils ce qu'ils recommandent ? Et, la norme du "bon enseignant" finit par se passer de justification, elle s'accompagne de croyances pour l'action, sans justifications de cette modalité de travail.

    Pour les enseignants, le travail en équipe apparait comme une 4ème tâche, du travail en plus avec une intensification des réunions, la peur d'une réunionnite chronophage. Ils travaillent sur les projets auxquels ils adhèrent, mais questionnent sur les justifications et les légitimations.

     

    Des pistes :

    -       rémunérer le travail en équipe (heures supplémentaires ou conditions de travail) ;

    -       intéresser les enseignants : déléguer une partie du travail organisationnel, donner à réfléchir, ce qui est un moyen de maitriser leur instrument de travail ;

    -       articuler avec le cœur de métier : la classe ; face aux collectifs adolescents on n'a pas d'autre choix que de mettre des collectifs adultes ; les passions des enseignants sont des ressources pour le travail en équipe ;

    -       reconnaitre ce que font les enseignants, les enseignants sont ouverts à des collectifs.

     

    Des points d'accord : le monde du travail est hybride, la bureaucratie apparait comme une protection contre l'instabilité, face à des travaux plus impliquants et plus chronophages. Le discours de l'organisation recouvre le réel du travail. La résistance au changement est souvent le retour du réel du travail.

     

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    Conférence de clôture

    Comment peut-on être Réformateur ? Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes, ancien recteur

    Alain Boissinot justifie son titre à la manière de Montesquieu, à ne pas prendre au pied de la lettre…

    "Il faut sauver les apparences" : AB replace cette expression dans les travaux des astronomes sur la révolution des planètes. Pendant des siècles, des astronomes ont mis des rustines sur une hypothèse fausse plutôt que de la changer. L'éducation repose aussi sur des raisonnements géocentriques qui ne tiennent plus.

    Un premier exemple : la formation des maitres.

    A l'été 2012, alors qu'un consensus assez large convenait de confier la formation des maitres à l'Université (comme les médecins, les avocats…), et que l'on s'accordait sur le fait que des masters étaient capables de préparer les maitres, le projet a achoppé sur la place du concours :

    -       à l'entrée du master (mais alors il fallait payer trop longtempsles futurs enseignants),

    -       à la fin du master (mais alors on les payait trop tard) ;

    -       la troisième voie qui a été retenue, en cours de master, est la plus absurde.

    Il faudra bien se résoudre un jour à faire sauter le concours, si l'on considère que le master donne une qualification ; le concours se justifie quand on a pléthore de candidats ! Et alors, on pourra consacrer l'énergie et l'argent à faire de la formation. Mais pour changer de paradigme, c’est une révolution copernicienne qu’il faut faire.

    Un deuxième exemple : le régime indemnitaire

    La situation actuelle s’apparente à un véritable « monstre administratif » où tous les cas de figure sont soigneusement définis par l’administration centrale. Des solutions simples pourraient exister : des enveloppes seraient mises à la disposition des établissements qui les utiliseraient comme des indemnités "couteau suisse". Mais le Ministère ne réussit pas à se sortir de la logique inverse, tatillonne, de saucissonnage des cas de figure pour les indemnités. Deux logiques se télescopent, l'ancienne et la nouvelle.

     

    Les freins qui empêchent d'aller de l'avant

    Nous sommes à une époque qui ne croit plus au progrès, à l'avenir. On va trop vite à dire que le progrès n'avait plus de sens, le bien et le mal continuent à avoir un sens. Dans le même temps, l’extérieur fait peur, ce qui provoque le repli sur soi.

    Une certaine sclérose syndicale n’est pas non plus étrangère à la difficulté de réformer. Le paradigme dominant est conservateur, depuis Brigitte Bardot "Il faut sauver les bébés phoques", on veut tout sauver, les lettres, la recherche, la Princesse de Clèves (dont un Président de la République ne peut même pas dire qu'il en trouve la lecture ennuyeuse). Ce paradigme conservateur est préoccupant car il n'aide pas à penser, il est honteux car il renvoie à une utopie inatteignable à laquelle est subordonné tout changement.

    Notre pays apparait comme le championdu manichéisme idéologique. Par exemple, sur la question du curriculum vs programme, le curriculum est un cadre d'ensemble qui va du global au local, et qui fait des disciplines des outils didactiques au service d'un projet d'enseignement. Le débat n'est pas d'opposer constructivisme et transmission, la question est de savoir ce qu'on transmet et comment on transmet. Et de voir comment deux préoccupations éducatives peuvent dialoguer. On voit de même refleurir lasupposée antinomie instruction / éducation. L’une ne va pas sans l'autre, il n'existe pas de savoirs coupés du monde réel, nous ne sommes pas dans une logique communautariste, il s'agit d'articuler, d'échanger.

    Au fond, le frein majeur est la panne du  politique, avec l'idée que l'alternance politique suffirait à être le moteur de la réforme. On s'est trompé à certaines époques sur le regard qu'on avait sur les positions politiques. Les clivages au sein de chaque clan sont souvent plus forts que les oppositions entre différents camps.

     

    Que faire malgré tout ? Comment surmonter ces difficultés ?

    -       Ne pas confondre réforme et ajustements techniques. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas des ajustements, mais un changement de paradigmes. Le vrai sujet est que l'on a besoin de basculer dans de nouvelles logiques.

    -       Renoncer résolument à une conception classique de la réforme : le passage d'un système stable à un autre système stable. Il s'agit aujourd'hui de trouver un moyen de transformation permanent, comme un organisme vivant. Montaigne parle de "nuance", d'une "vision baroque du monde" que nous devons trouver une manière non-dramatique de vivre ; et arriver à une logique qui permette une évolution continue des programmes pour éviter les excommunications à répétition. Les programmes d'enseignement doivent être conçus pour un temps long.

    -       Comment favoriser cette évolution en douceur ? Accepter le décentrement, et faire confiance à deux autres niveaux : l'international (par le regard qu'il nous renvoie sur nos résultats) et la déconcentration (niveau académique, Université, établissements) pour plus d'autonomie.

    -       Apprendre à travailler sur nos représentations des choses. Faire une généalogie de nos croyances, de nos représentations. Installer l'école de la bienveillance : pourquoi l'opinion croit-elle que c'est normal d'échouer ? Une question religieuse subsiste, avec la culture du jansénisme installée par le Pascal du Lagarde et Michard : le fragment des trois ordres pose plusieurs étages de l'organisation du monde ; entre les trois ordres (charité, esprit, corps) aucune communication n'est possible, et la question de la grâce pose l'incommensurabilité entre les ordres du corps, de l'esprit et de la charité. D'autres penseurs, même au sein du catholicisme, ont adopté d'autres systèmes, ainsi François de Sales, à partir de l'échelle de Jacob, postule qu'il n'y a pas de réprouvés, il y a une place pour tout le  monde. Cette conception salésienne, opposée au jansénisme, laisse plus de place à la réussite et à la bienveillance.

     

    Conclusion. Nous sommes entre deux époques. On peut le vivre sur le mode de la désespérance. On  peut aussi le vivre sur le mode de l'action, à l'instar des Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar.

     

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