Association française pour l’enseignement du français

Revue Le Français Aujourd'hui

  • 12
    Jan

    Penser et combattre les inégalités, n° 183 du Français Aujourd'hui

    Décembre 2013, coordonné par Pierre Bruno, Bénédicte Etienne & Viviane Youx

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le numéro sur le site Armand Colin Revues

     

    Présentation   

    Version en format word

    Penser et combattre les inégalités. Pour un « faire société » plus égalitaire, de Pierre BRUNO, Bénédicte ETIENNE et Viviane YOUX

    Si la question des inégalités à l’école constitue l’un des fils rouges qui traversent plus ou moins tous les numéros du Français aujourd’hui, à travers notamment la prise en compte des questions de la difficulté, ou de l’accessibilité,dans l’analyse des situations d’enseignement-apprentissage du français, elle sera appréhendée ici comme objet principal du présent volume et d’un autreà venir. À l’heure où certains veulent opposer la question des « places » et celle des « chances », la réduction des inégalités et la lutte contre les discriminations, ce numéro refuse cet antagonisme factice et destructeur pour s’inscrire dans la continuité de celui consacré au sexisme (« Genre, sexisme et féminisme », n° 163, 2008)[1]. Toutefois, si ce dernier se situait dans le cadre de la lente reconnaissance de discriminations longtemps sous-estimées, la prise en compte des inégalités se place dans un contexte plus complexe marqué par deux variables majeures. La première est celle de l’évolution même des inégalités caractérisée par une fracture au sein des classes dites moyennes et par un poids croissant des inégalités territoriales – dont on mesure mal encore l’inévitable impact sur les conditions d’enseignement de notre discipline. La deuxième est celle de la représentation dominante de ces inégalités plus souvent définies en termes de diversité culturelle qu’en termes d’injustices économiques, et dont le discours sur l’égalité des chances tend à montrer le caractère inéluctable. Cette contradiction traverse un système scolaire toujours inégalitaire, aux ambitions révisées et où l’échec de la politique de démocratisation tend à remettre en cause cette démocratisation elle-même tout comme l’allongement de la durée de la scolarisation. En termes de politique éducative, les modes de réponse de l’école semblent désormais,et de manière durable,se situer du côté du traitement individualisé de la difficulté (ou du talent qu’il faudrait, par un processus d’exfiltration, préserver d’un territoire jugé nuisible) et de sa « pathologisation »(voir la multiplication taxinomique des troubles langagiers, des dysfonctionnements cognitifs et la prégnance de la logique de besoin). Ainsi, l’essentialisation de supposés troubles ou talents des élèves entraine une appréhension « désociologisée » de questions sociales, renvoyée qui plus est à un en-dehors de l’école.

    Or, s’il s’agit de se donner les moyens de penser les inégalités pour mieux les combattre, la question est à envisager de manière à la fois sociale et dynamique. Sociale, par une prise en compte des milieux sociaux des élèves et des différences importées dans l’espace de la classe, dans les manières de faire avec les attentes de l’école. Dynamique, par une prise en compte des processus de co-construction des inégalités dans laquelle l’école est partie prenante. Favorisant les favorisés, elle n’est en effet pas une scène inerte, caisse de résonnance neutre de phénomènes qui lui seraient extérieurs et qu’elle ne ferait que répercuter ou refléter à l’identique.

    À cet égard, le dossier qui suit se propose de considérer, à la lumière des réflexions menées par l’AFEF depuis ses origines, comment la question des inégalités et de leurs représentations influe sur les enseignements et comment ces enseignements peuvent participer à la co-construction des inégalités scolaires, ce que le Manifeste de Charbonnières posait déjà, dès 1969, de manière dialectique :

    L’école ne saurait, à elle seule, changer le monde et la vie. Il est établi que les handicaps, les blocages dont souffrent les élèves sont, pour l’essentiel, d’origine socio-économique et socioculturelle. Notre action pédagogique pour la liberté, l’authenticité, l’épanouissement des hommes ne saurait donc être dissociée du contexte économique, social et politique où elle s’inscrit.

    L’école peut cependant, tout en aidant les élèves dans l’immédiat, contribuer aux prises de conscience nécessaires. L’école ne doit ni s’illusionner sur son pouvoir, ni se replier sur une formation qui préparerait exclusivement à la vie professionnelle.

    La question est importante car ‑les sociologues l’ont montré ‑les inégalités scolaires restent rarement perçues comme telles (contrairement aux inégalités économiques, par exemple) et peuvent, si l’on n’y prête garde, contribuer à intérioriser et à légitimer d’autres formes d’injustice. C’est pourquoi cette question ne pouvait être traitée dans un seul volume de notre revue. Ce premier numéro de « Penser et combattre les inégalités », s’attache à la manière dont l’école « fait société » avec les inégalités, c’est-à-dire comment son action et ses effets se situent au carrefour d’un social dont elle est caisse de résonnance, mais qu’elle « fabrique » tout à la fois. En s’attelant à explorer la question des inégalités scolaires sous forme d’allers et retours entre plusieurs échelons, entre apports de la recherche et intérieurs d’une salle de classe, il s’agit donc de s’interroger ainsi : qu’est-ce que l’école fait des inégalités qui lui préexistent, et comment le fait-elle ? En quoi, par ses modes de faire, peut-elle participer, le plus souvent à son insu, au maintien, voire au développement des inégalités scolaires ?

    Pour ouvrir le numéro, l’article de Jean-Yves Rochex permet d’appréhender la question des inégalités dans sa complexité et sa pluralité. Dans un double mouvement, il apporte des éléments qui aident à mieux comprendre ce que l’on peut entendre par « inégalité scolaire » et rend visibles, pour les questionner, les présupposés, tant politiques que scientifiques, qui sous-tendent le choix de tel ou tel cadre de pensée à l’œuvre dans la production de discours doxiques ou de données de recherche. Depuis des lieux d’exercice et des cadres de pensée différents, cette réflexion se poursuit grâce aux entretiens menés avec Louis Maurin, François Dubet et Laurent Mucchielli qui s’interrogent chacun sur la manière – ou plutôt les manières– de définir les inégalités, c’est-à-dire de les mesurer, de les hiérarchiser et de les interpréter.

    Et si l’étude de ces inégalités dans l’enseignement primaire et secondaire a déjà donné lieu à une bibliographie importante, nous porterons aussi avec Christophe Joigneaux et Gérard Aschieri un premier regard sur la maternelle et l’enseignement supérieur. Ainsi, par une analyse diachronique des dispositifs et des supports qui ont cours à l’école maternelle depuis trente ans, Christophe Joigneaux montre comment la question des inégalités se pose dès ces premiers temps de la scolarité ;la complexité accrue des opérations cognitives prescrites par les programmes et demandées aux élèves n’étant pas toujours visible ni connue par ceux qui les conduisent, enseignants ou acteurs institutionnels. À l’autre bout du système scolaire, Gérard Aschieri montre que, si le développement de l’accès aux études supérieures est venu atténuer les très fortes inégalités sociales qui existaient autrefois, celles-ci persistent dans l’accès aux formations et se sont même accentuées de façon insidieuse. Les articles de Marie-France Bishop et de Viviane Youx appréhendent ainsi la question des inégalités en relation avec la discipline « français », dont l’évolution des configurations porte la marque des forces et préoccupations politiques qui la traversent et la façonnent. Marie-France Bishop, par une analyse historique et didactique des relations entre objets enseignés et prise en compte des déterminations sociales, nous apporte des connaissances précieuses et nous aide à « être Persans », à nous décentrer des urgences et des questionnements actuels pour mieux les réfléchir et les revivifier. Viviane Youx montre comment l’AFEF a mis en avant, dans son parcours, des positions plus ou moins affirmées quant à la question des inégalités sociales et scolaires,et pourquoi ce sujet est redevenu central dans la politique de l’association. La dernière partie du numéro, « Les langages de l’école et leurs entours » (hommage explicite à l’ouvrage de Frédéric François[2]) se ressaisit, à travers deux articles, partant du fil conducteur du numéro pour l’envisager sous l’angle des pratiques langagières. Prolongeant lapensée de F. François, il importe de considérer que l’élève n’est pas un locuteur neutre ou une page blanche, pure entité générique orchestrant des opérations cognitives et langagières en dehors de tout contexte. Il est un sujet parlant, il vient à l’école avec une histoire et des manières de faire avec la langue qui, rapportées à la problématique du présent numéro, tiennent pour partie à son milieu social d’origine ;ce que l’école ne peut méconnaitre. Ainsi Emmanuelle Guerin, à travers une analyse de la genèse et une déconstruction de la notion de « handicap linguistique », questionne ce que l’école fait (ou ne fait pas) de langues et usages de la langue que des élèves peuvent pratiquer dans le milieu familial, ainsi que les représentations que ces élèves se font de ces pratiques autres. Cécile Perret et Vincent Massart-Lalucse situent,quant à eux,sur le versant des usages et pratiques différenciés de l’écrit chez des élèves de lycée professionnel, selon que ceux-ciécrivent dans des réseaux sociaux ou dans le cadre des activités prescrites par l’école. Les auteurs font alors apparaitre que ces élèves mobilisent, dans ces activités privées et numériques, un investissement et des ressources que l’école pourrait peut-être gagner à reconnaitre et à exploiter.

    Il convient pour conclure de préciser que ce numéro a été pensé et conçu comme la première étape d’un travail dans lequel l’échelon d’analyse, général, a d’abord été l’École. Cette première approche, qui appelle un approfondissement et une prise en compte de contextes plus spécifiques, se prolongera en juin 2014 où paraitra un second dossier (FA n° 185) qui portera, lui, sur les inégalités propres à notre discipline (dans l’enseignement-apprentissage de la langue, de la littérature…) comme sur la question des réformes menées et des revendications à porter.

    Pierre BRUNO, Bénédicte ETIENNE et Viviane YOUX


    [1]. Voir aussi notamment le n° 111, « Le collège : un passage difficile », le n° 120, « Classes difficiles : le pari du savoir » et enfin le n° 174, « Penser à l’écrit ».

    [2]. Le Discours et ses entours. Essai sur l’interprétation, Paris, L’Harmattan, 1999.

     

    Sommaire

    Version en format word

    FA 183 décembre 2013 « Penser et combattre les inégalités »

    Présentation     

    Pierre BRUNO, Bénédicte ETIENNE et Viviane YOUX, Penser et combattre les inégalités. Pour un « faire société » plus égalitaire

    Appréhender les inégalités à l’école

    Jean-Yves ROCHEX, Des inégalités scolaires, des moyens de les mesurer et d’en étudier les processus de production

    Louis MAURIN, François DUBET et Laurent MUCCHIELLI, Les inégalités sociales en France. Entretiens

    Christophe JOIGNEAUX, Littératie, forme et inégalités scolaires : le cas de la « scolarisation » de l'école maternelle

    Gérard ASCHIERI, Les inégalités dans l'enseignement supérieur

    Inégalités et refondation de la discipline

    Marie-France BISHOP, Les inégalités scolaires aux sources de la réflexion didactique (1960-1985)

    Viviane YOUX, Lutter contre les inégalités, toute une histoire. De la genèse de l’AFEF à son actualité

    Les langages de l’école et leurs entours

    Emmanuelle GUERIN, La validité de la notion de « handicap linguistique » en question

    Cécile PERRET et Vincent MASSART-LALUC, Prendre en compte les pratiques personnelles d’écriture numérique des élèves en lycée professionnel

    CHRONIQUE

    « Littérature de jeunesse »

    Lydie LAROQUE, La première guerre mondiale dans la littérature de jeunesse contemporaine

     

    HOMMAGE À LAURENT

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