Association française pour l’enseignement du français

Revue Le Français Aujourd'hui

  • 14
    Juil

    ORIENTATION, FORMATION ET INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES PRESENTANT DES TROUBLES DES FONCTIONS COGNITIVES, A. PHILIP

    Article complémentaire au FA n° 177

     

    ORIENTATION, FORMATION ET INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES PRESENTANT DES TROUBLES DES FONCTIONS COGNITIVES 

    André PHILIP

    Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapéset les enseignements adaptés (INSHEA), Suresnes

    Cercle d’études et de recherches sur la formation professionnelle (Cerfop), Paris

     

     

    Préambule

    Dès la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, il est question d’orientation, de formation et d’insertion de ces personnes, qu’il s’agisse d’adolescents ou d’adultes. Trente ans plus tard dans la loi du 11 février 2005, nous retrouvons les mêmes enjeux et les mêmes problèmes. La difficulté demeure de discerner, à travers la permanence de ces notions, les différences d’approche d’une époque à l’autre au lieu des seules continuités repérables. D’autant que, dès cette première loi, « l’accès du mineur et de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie »[1] sont prônés. En deçà des préconisations, il nous faut aussi prendre en compte les interprétations et les mises en œuvre contrastées des différents acteurs dans le cadre d’abord d’une politique d’intégration et, plus récemment, d’une politique d’inclusion, en évitant de sous-estimer la prégnance des représentations et des pratiques antérieures d’intégration lors même de la promotion des démarches inclusives, susceptibles ainsi d’être altérées. Mais à travers ces lectures et ces pratiques, dans leur diversité, ce sont les rapports entre les processus d’orientation, de formation et d’insertion professionnelle des jeunes à besoins particuliers qui se voient interrogés. Il n’est pas certain qu’ils s’inscrivent dans un ordre de succession, de façon linéaire, comme de prime abord nous inclinerions à les considérer (Philip 2010). Nous ne considérons ici que la classe d’âge concernée par une formation professionnelle, au-delà de l’obligation scolaire. Précisons que nous n’avons en vue que les adolescents présentant des troubles des fonctions cognitives[2], les plus nombreux dans le champ du handicap et le plus souvent orientés vers des formations de type professionnel. Il nous faut pourtant reconnaitre d’emblée que ces troubles ont une extension importante, recouvrent une diversité de manifestations et renvoient à des étiologies différentes. Mais, à tort ou à raison, ils sont censés correspondre à des besoins spécifiques, susceptibles d’être partagés et pris en compte dans des dispositifs tels que les Unité localisée d’inclusion scolaire (ULIS).

    La nouvelle donne instaurée par la loi de 2005

    D’une loi à l’autre, l’appréciation des différences est nécessaire pour ne pas procéder à une interprétation réductrice de la nouvelle loi concernant les personnes handicapées - en particulier en ce qui concerne les enfants et adolescents. Première remarque, il s’agit d’une scolarisation et pas seulement d’une éducation. « L’obligation éducative » énoncée en 1975 dans l’article 5 a souvent constitué une façon de ne pas réellement assurer cette scolarisation. De nos jours, cette dernière est envisagée en milieu ordinaire. Si cette possibilité était déjà indiquée en 1975, elle était confrontée aux modalités de l’éducation spéciale en vigueur dans et hors de l’Education nationale[3]. La scolarisation des élèves handicapés en milieu scolaire ordinaire relève désormais d’un droit et plus seulement d’une possibilité limitée par des interprétations restrictives. Cette scolarisation est elle-même la condition d’un accès à une formation professionnelle, surtout si cette dernière a une visée qualifiante et, au-delà, de la possibilité d’une insertion sociale avec sa dimension professionnelle. Malgré toutes les critiques dont ils sont l’objet, le socle commun et le livret de compétences appréhendent cette scolarisation dans son ensemble et sa continuité et fournissent un moyen d’en apprécier même imparfaitement les effets. Si la scolarisation de ces jeunes a progressé depuis la loi de 2005 sans pour autant tous les concerner, en revanche leur formation professionnelle marque encore un retard, comme le souligne P. Velut (2007). Le souci légitime d’une insertion fait souvent méconnaitre l’importance de cette formation par rapport à un accès à une activité professionnelle, quel que soit le contexte où elle s’exerce, ordinaire, adapté ou protégé.

    En ce qui concerne la formation professionnelle elle-même, la loi de 1975 proposait déjà « une première formation professionnelle des enfants et adolescents handicapés »[4], y compris sous la forme de l’alternance par l’apprentissage. La loi actuelle, quant à elle, prescrit pour la première fois, au-delà de la scolarité obligatoire, un « enseignement professionnel »[5]. En 2005, « le service public de l’éducation » est beaucoup plus impliqué dans cette formation professionnelle qu’il ne l’était dans la précédente loi de 1975. Néanmoins, les différentes rubriques de ce chapitre 1er du Titre IV ne précisent guère les visées et les caractéristiques de cette formation, alors qu’elles sont bien plus explicites pour les enseignements scolaire et supérieur. Paradoxalement, c’est lorsqu’il est question de l’insertion professionnelle que des précisions sont fournies[6]. En fait, c’est cette perspective qui engage à en définir quelques caractéristiques. À noter que, pour la première fois, la recherche d’une qualification professionnelle à travers la formation est énoncée dans la loi. L’analyse des besoins des personnes devrait respecter la possibilité d’un libre choix et tenir compte de la proximité des lieux de formation pour garantir l’ensemble des services qui leur sont ouverts. L’utilisation de l’ensemble des dispositifs est prônée par la mise en synergie des structures de formation ordinaire et des organismes spécialement conçus pour la compensation des conséquences du handicap, afin de satisfaire ces besoins de formation. En ce sens, pour intégrer leurs contraintes particulières, mention est faite d’ « un accueil à temps partiel ou discontinu » et d’« une durée adaptée de la formation »[7]. Enfin, cette formation se doit d’être reconnue : « des modalités de validation de la formation professionnelle sont prévues dans des conditions fixées par décret »[8]. Soulignons encore l’affirmation de la nécessité de définir et de mettre en œuvre des « politiques concertées d’accès à la formation et la qualification professionnelle des personnes handicapées »[9], impliquant tous les partenaires. Ce qui signifie qu’il n’en était pas ainsi. Beaucoup reste encore à faire six ans après la promulgation de la loi, même si un certain nombre de régions agissent en ce sens. Dans le cadre formulé par la loi du 11 février 2005, la formation comme l’insertion professionnelle ne relèvent plus seulement de problématiques individuelles. Fait plus nouveau, les principes et mesures énoncés « visent à créer les conditions collectives d’exercice du droit au travail des personnes handicapées »[10]. Mais ce droit là ne peut s’exercer que si le droit à la formation professionnelle devient effectif pour ces personnes, comme la charte des droits fondamentaux des citoyens de l’Union européenne le leur reconnait depuis l’année 2000.

    Problématique de l’orientation professionnelle

    Cette orientation, quand il s’agit d’élèves avec troubles des fonctions cognitives (TFC), pose un ensemble de problèmes. Certains d’entre eux sont partagés avec ceux liés à leur classe d’âge, d’autres sont plus spécifiques. La volonté de passer d’une orientation subie à une orientation active impliquant l’élève et sa famille est exprimée dès la précédente loi du système éducatif de 1989. Celle-ci s’est traduite par la prescription d’une éducation à l’orientation à réaliser sur trois axes à partir de la cinquième, puis par celle des actuels parcours de découverte des métiers et des formations. Néanmoins, ils sont inégalement pratiqués d’un collège à l’autre, même s’ils sont censés relever d’une politique d’établissement, d’un projet et d’une programmation. L’existence d’un cycle d’orientation en troisième a parfois donné lieu à une interprétation réductrice de cette éducation. Quoi qu’il en soit localement, une approche inclusive impliquerait d’offrir aux élèves en situation de handicap les mêmes possibilités de préparation à une orientation au décours d’une scolarité obligatoire. Mais il ne faut pas ignorer que l’accompagnement du processus d’orientation n’est pas évident avec cette classe d’âge. Pour bien des adolescents, même sans troubles cognitifs, l’avenir apparait abstrait, sans grande réalité. Certains ne sont guère enclins à se projeter…

    Dans le fonctionnement de bon nombre d’ULIS, même si ce parcours de découverte devrait se pratiquer dès le collège, l’orientation dans sa finalité professionnelle est différée à l’entrée en lycée professionnel. La première année dans les ULIS de ces établissements est souvent entièrement consacrée à découvrir ou tester des intérêts pour des activités professionnelles. Ce différé pose un certain nombre de questions. Est-il lié à la situation de handicap ou à des pratiques restrictives dans l’anticipation d’une orientation à visée professionnelle ? L’orientation doit-elle nécessairement se faire à l’entrée en lycée professionnel ou peut-elle se préparer dès le collège, dans le cadre de cet établissement et de son dispositif, associés à des Sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ? Cette orientation se fait-elle par rapport à l’offre de formations d’un établissement ou par rapport aux possibilités d’un réseau[11], sur un bassin d’emploi ou un district ? Implique-t-elle les seuls lycées professionnels ou s’ouvre-elle aux Centres de formation d’apprentis (CFA) publics ou privés ? Les Établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA) et Lycées d’enseignement adapté (LEA) sont-ils pris en compte dans la carte des formations proposées ou en sont-ils exclus ?

    Si l’offre de formation s’inscrit dans un réseau d’établissements ou de structures, elle suppose, pour être crédible, de traiter conjointement des problèmes de transport et d’hébergement. Mais, si nous prenons au sérieux le principe du libre choix des personnes handicapées, ou tout simplement leur possibilité d’être partie prenante dans leur orientation, cette possibilité prend plus de sens dans le cadre d’un réseau que par rapport à l’offre limitée d’une structure de formation. Encore faut-il qu’au cours de leur scolarité, l’accès à une autonomie relative des élèves handicapés soit favorisé. Si le modèle de la prise en charge y est trop prégnant, l’accès à une formation professionnelle se trouvera compromis. Par exemple, est-il possible d’envisager cette formation, qui suppose toujours des doses variables d’alternance, si ces adolescents continuent à arriver en taxi au lycée professionnel comme à l’école ou au collège, ou si leur autonomie relative dans l’usage des transports n’a pas été auparavant cultivée ?

    Dans la mesure où l’orientation est conçue comme un processus récurrent, elle ne se limite pas à la seule orientation vers une formation initiale. Si elle est pensée selon les recommandations européennes et la loi française actuelle comme une orientation tout au long de la vie[12], l’enjeu d’une éducation à l’orientation au cours de cette première expérience vécue lors d’un parcours de découverte apparait avec beaucoup plus de relief. Pour analyser et clarifier les choix possibles, l’acquisition de connaissances et capacités transposables et utilisables dans d’autres situations devient une des finalités. Mais une telle approche est-elle praticable sans accompagnement des personnes handicapées en amont des décisions d’orientation qu’elles auront à prendre ? À noter que la circulaire récente sur les ULIS innove et prévoit au sein du Projet personnalisé de scolarisation (PPS) un volet dédié à l’orientation, dénommé « Projet personnalisé d’orientation » (PPO)[13], projet censé bénéficier de tous les dispositifs et des mesures de droit commun. Dans le cadre d’une ULIS en collège, il s’agira de « vérifier la pertinence du projet professionnel »[14] pour les élèves dont le PPS prévoit l’accès à une formation professionnelle au-delà de la scolarité obligatoire. Plus que dans les circulaires antérieures, le texte de 2010 insiste sur cette démarche de projet dans le processus d’orientation de l’élève handicapé comme au cours de sa formation proprement dite et, au-delà, de son insertion.

    Approches d’une formation professionnelle en milieu ordinaire

    Tout comme la scolarisation, cette formation est appréhendée et effectuée de diverses façons. Elle a aussi des effets multiples. Il convient donc de la concevoir dans sa complexité et sa diversité. Si la confrontation avec le milieu ordinaire peut stimuler le désir d’apprendre et représenter un facteur de maturation psychologique et sociale pour les adolescents handicapés, il ne faut pas méconnaitre qu’elle implique une prise de risques comme toute mise à l’épreuve. L’entrée en formation professionnelle peut constituer pour eux une promotion et la reconnaissance d’une capacité à se dépasser. Elle implique pour qu’il en soit ainsi de s’appuyer sur leurs potentiels repérés et d’aménager les modalités de leur formation, « et non pas de détecter d’abord les déficiences de ceux-ci pour considérer a priori la nature du parcours supposé le mieux adapté à la déficience » (Velut, Ibid. : 134).

    Cette entrée en formation donne lieu à des interprétations et à des réalisations assez contrastées. En dehors d’un accès considéré comme une fin en soi, les visées peuvent se distribuer au moins en trois grandes options : la recherche d’une qualification, la construction de compétences sans l’ambition d’un diplôme et la préparation d’une employabilité la plus immédiate avec le souci dominant d’une insertion. Pour certains en effet, c’est l’entrée dans un processus d’insertion qui détermine l’investissement d’une formation et suscite sa demande. Ces visées peuvent être implicites ou explicites. Si la personnalisation des parcours est effective, ces options peuvent être autant d’alternatives selon les adolescents accueillis, choisies au cours même de leur formation. En commençant l’apprentissage d’une spécialité et d’une activité, nous ne pouvons en effet avoir de certitude sur son issue. Néanmoins, la circulaire sur les ULIS envisage « l’accès à une formation professionnelle qualifiante »[15] pour les élèves dont le PPS a prévu une telle formation. Les contenus de cette formation sont à proportion de ces visées, depuis la prise en compte des programmes et référentiels des diplômes professionnels, en tout ou en partie, jusqu’au choix de références autres, considérées comme mieux à même de contribuer à une insertion de ces jeunes.

    Les modalités des formations professionnelles des élèves handicapés témoignent des choix effectués. Elles impliquent une alternance entre apprentissage en établissement et en milieu professionnel. L’alternance sous statut scolaire est encadrée réglementairement. Mais la prise en compte des contraintes inhérentes à la situation de handicap peut conduire à y déroger plus ou moins, voire à se rapprocher d’une alternance sous statut d’apprenti. En outre les ULIS, comme les UPI antérieures, supposent une autre forme d’alternance, entre les participations aux activités de classe et d’atelier et les temps de regroupement sous l’égide du coordonnateur et avec l’auxiliaire de vie scolaire (AVSco). Là aussi, des pratiques très différentes s’observent, de la prédominance des regroupements quand les dispositifs sont interprétés comme des classes spécialisées en milieu ordinaire, comme des divisions spécifiques, jusqu’aux inclusions complètes des élèves dans les classes et ateliers des formations professionnelles d’accueil, comme au lycée professionnel Gaston Darboux de Nîmes, avec toutes les possibilités intermédiaires entre ces deux extrêmes (Fischer, Fromentin, Gandin et Niel 2009).

    Plus encore qu’une politique d’intégration, la mise en œuvre d’une politique d’inclusion implique une culture des adaptations (Philip 2009). Mais, dans la détermination des aides à l’élève comme des aménagements des situations, les choix des enseignants, quels qu’ils soient, nous paraissent s’effectuer sous tension, en considération des deux principes d’égalité de traitement de tous les élèves et d’équité dans la prise en considération d’une inégalité de situation des élèves handicapés. Dans des contextes précis d’apprentissage ou d’évaluation de ces élèves, il n’est pas si aisé de concilier ces deux principes. Si nous considérons la seule durée de la formation, certaines ULIS proposent trois ou quatre années pour tenir compte du rythme d’apprentissage de leurs élèves, quand d’autres plus préoccupées par la gestion des flux ne leur offrent que deux ans, ce qui représente la norme pour préparer un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

    Dès la création de ces dispositifs en 2001, la volonté de reconnaitre effectivement la formation professionnelle des adolescents handicapés n’a pas toujours été manifeste. Plus tard, à partir de 2005, la politique d’inclusion a pu privilégier l’accès à ces formations sans se préoccuper suffisamment de leur validation. Là encore, la circulaire du 18 juin 2010 marque un tournant dans la mesure où, à défaut d’une qualification reconnue, les élèves d’ULIS sortant de lycée professionnel se voient délivrer une attestation des compétences professionnelles[16] acquises dans le cadre des formations préparant à un CAP. Un modèle d’attestation est indiqué en annexe de cette circulaire. Si des expériences dans différentes académies ont précédé et permis cette prescription officielle[17], il n’en demeure pas moins que la volonté de valider les formations des jeunes handicapés n’a pas été présente partout. L’accès à la formation ne s’est pas toujours accompagné du souci de l’attester. Là aussi, l’obligation actuelle de tenir pour l’élève handicapé en ULIS de Lycée professionnel (LP), comme pour tout élève, un Livret personnel de compétences (LPC) peut contribuer à améliorer la reconnaissance de sa formation… et de ses acquis en termes de connaissances, capacités et attitudes.

    Le pari et le défi d’une insertion professionnelle de jeunes en situation de handicap

    Si la finalité d’une insertion professionnelle des personnes handicapées est depuis longtemps formulée et considérée comme déterminante pour leur insertion sociale, l’exigence d’une formation dans ses composantes générale, professionnelle et sociale est affirmée plus récemment comme condition de cette insertion. Compte tenu de l’évolution des emplois dans notre société, que peut être de nos jours l’accès à une activité professionnelle sans préparation, sans formation ? Le taux d’emploi restreint comme le taux de chômage important des personnes handicapées et sa durée[18] sont liés entre autres à l’absence, l’insuffisance ou l’inadaptation de leur formation et pas uniquement aux conséquences de leurs troubles[19]. Nous ne disposons à l’heure actuelle de données que pour l’ensemble de la population handicapée et non par types de troubles.

    L’insertion professionnelle des personnes handicapées comporte des aspects paradoxaux. En effet, les données rassemblées par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) montrent que sur les 237 familles professionnelles les travailleurs handicapés exercent dans 224 d’entre elles. Ils ne sont donc nullement cantonnés dans une gamme limitée d’activités professionnelles. Ce qui devrait permettre d’ouvrir plus largement l’offre de formations comme celle d’emplois. Néanmoins, malgré cet éventail d’activités exercées, 23 familles de métiers concentrent à elles seules 50 % des métiers les plus pratiqués par ces travailleurs[20]. Autre paradoxe : 49,6 % des demandes d’emploi de cette population se portent sur 13 familles de métiers seulement. Mieux encore, les dix familles de métiers les plus demandées par ces personnes sont aussi celles où elles sont le plus en concurrence avec d’autres demandeurs d’emploi. Quatre travailleurs handicapés sur dix recherchent un emploi difficile à obtenir, compte tenu d’une offre restreinte et de leur niveau de qualification[21]. Ces données sont à méditer dans l’approche de l’orientation et de la formation comme de l’insertion professionnelle afin de lever des obstacles qui ne relèvent pas seulement des limitations d’activité et des restrictions de participation des personnes dites handicapées.

    Même quand la formation est assurée, l’insertion professionnelle n’est pas garantie pour autant. Le processus d’insertion, y compris pour des jeunes sans handicap, s’effectue dans la durée, souvent sur plusieurs années, comme les enquêtes du Centre d’études et de recherche sur les qualifications (CEREQ) sur des générations de sortants du système éducatif le mettent en évidence[22]. Une insertion en milieu ordinaire constitue aussi une prise de risques. Si l’accès à une activité est obtenu, le maintien dans l’emploi n’est pas immuable. Tous les jeunes et leurs familles ne sont pas prêts à prendre cette option. L’appartenance à un milieu favorisé par ses ressources, son réseau de relations, son « capital culturel » facilite cette prise de risques. Pour d’autres, l’insertion professionnelle dans les Établissements ou services d’aide par le travail(ESAT) ou les entreprises adaptées parait préférable par la sécurité qu’elle procure. Là comme ailleurs si le principe du libre choix de la personne handicapée prévaut, il faut admettre une diversité dans les options privilégiées tout comme dans les modalités d’une insertion en milieu ordinaire. Enfin, parmi les possibilités d’emploi, il convient d’explorer toute la gamme des possibilités au lieu des seuls emplois à temps plein. À titre indicatif, les travailleurs handicapés exercent beaucoup plus que les autres des activités à temps partiel[23].

     Les stages jouent un rôle déterminant pour tester ce que la circulaire sur les ULIS désigne comme le « projet d’insertion »[24] des jeunes en situation de handicap. Mais dans la détermination progressive de ce projet comme lors du parcours d’insertion, avec ses aléas et ses opportunités, un accompagnement de la personne est nécessaire pour permettre la double adaptation du jeune à l’entreprise ainsi que du milieu professionnel aux limitations d’activité et aux restrictions de participation observées. Dans ce processus d’insertion, différents acteurs et instances sont à solliciter : tout d’abord le référent pour l’insertion professionnelle de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), la Mission générale d’insertion (MGI) de l’Éducation nationale, le Pôle emploi et son correspondant pour le handicap et les organismes plus spécialisés comme les CAP emploi, sans se priver de ressources plus locales relevant de telle ou telle association.

     Quand cette problématique d’insertion est abordée en s’extrayant d’une logique de dispositif et d’établissement et selon le jeu plus ouvert d’un réseau, d’autres possibilités apparaissent. La Seine-et-Marne est allée plus loin et s’est efforcée de fédérer toutes les ressources de son territoire en matière d’orientation, de formation et d’insertion des jeunes handicapés, en associant dans le cadre de partenariats et de conventions établissements de l’Éducation nationale, CFA et établissements médico-sociaux. Le Dispositif d’insertion sociale et professionnelle des élèves handicapés (DISPEH) témoigne de cette politique cohérée sur un département (Viala 2011). Même quand une telle perspective n’est pas dans l’immédiat envisageable, l’accompagnement de l’insertion sociale et professionnelle de ces jeunes peut être facilité tantôt par un Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD), tantôt par un Institut médico-éducatif (IME) ou par un acteur tel qu’un psychologue du travail ou un chargé d’insertion.

    Conclusion en forme de remarques

    Lorsqu’elles sont effectivement mises en œuvre, les lois promulguées le 11 février et le 23 avril 2005 peuvent ouvrir de nouvelles perspectives de scolarisation et de formation professionnelle pour les jeunes en situation de handicap, par l’accès aux droits et aux dispositifs communs de leur classe d’âge et par une meilleure prise en compte de leurs besoins particuliers conjuguant aides et aménagements. Nous n’insisterons pas seulement sur ce que le milieu ordinaire d’éducation et de formation est susceptible de leur apporter, mais sur la contribution de ces jeunes au système éducatif et à la formation professionnelle dans sa diversité, dès lors qu’ils y participent de plein droit.

    Une politique d’inclusion ne se réduit pas à répondre aux besoins particuliers de minorités bien identifiées et ciblées, elle interroge les modes d’organisation, de fonctionnement et de relation instaurés avec l’ensemble du public accueilli. Dans l’idéal, elle suppose des enseignements adaptés prenant en compte les besoins spécifiques de tous les jeunes en formation. L’accueil des personnes handicapées est ainsi potentiellement un facteur d’innovation et de rénovation du système de formation, par les problèmes qu’il pose.

    Dans l’argumentaire élaboré pour convaincre des bénéfices d’une politique d’inclusion, il est fait souvent référence à l’amélioration du climat relationnel au sein des établissements, à la réduction des violences verbales ou physiques, au développement d’une culture de la tolérance et de la solidarité. Bref, l’accueil de jeunes en situation de handicap contribuerait à une éducation à la citoyenneté, entendue au sens large. Sans sous-estimer ces effets qu’il est possible d’observer, il ne faut pourtant pas méconnaitre les ambivalences que suscitent les personnes et les situations de handicap dans une collectivité.

    Nous insisterions pour notre part sur un autre type de bénéfices à considérer dans les apprentissages tant généraux que professionnels. Si l’accueil de ces adolescents peut favoriser dans leur classe d’âge le développement de compétences sociales, une meilleure maitrise de codes et de conduites ouverts à la différence, nous soulignerons aussi ce que l’observation, l’analyse et le traitement des difficultés d’apprentissage de ces jeunes peuvent induire chez les enseignants confrontés aux difficultés ordinaires de leurs élèves. Comme le souligne Y. Lachaud : « l’accueil des jeunes handicapés n’est pas une difficulté supplémentaire, c’est un ressourcement pédagogique »[25]. À terme, la banalisation de cet accueil est susceptible d’améliorer les pratiques didactiques et pédagogiques et d’inciter à mieux accompagner les apprentissages de tous les élèves, dans leur diversité, et pas seulement à transmettre des savoirs. Encore faut-il que la préparation et le bon vouloir des personnels impliqués soient renforcés par quelques conditions institutionnelles propices aux pratiques de différenciation et d’individualisation pédagogiques…

    André PHILIP

     

    Références bibliographiques

    Fischer, N., Fromentin, J.-P., Gandin, M. & Niel, L. (2009). Dispositifs spécifiques des collèges et des lycées : l’UPI-LP Gaston Darboux de Nîmes. Revue du CERFOP, « Problématiques d’orientation des élèves des enseignements adaptés du second degré », 24 ,159- 162.

    Philip, A. (2009). La formation professionnelle des jeunes handicapés dans le contexte des Unités pédagogiques d’intégration des lycées professionnels. La Nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, « Formation et insertion professionnelle », 48, 88-93.

    Philip, A. (2010). Former professionnellement des jeunes avec un handicap mental et/ou psychique. In B. Égron (dir.), Scolariser les élèves handicapés mentaux et psychiques. Paris : CNDP-CRDP & INSHEA.

    Velut, P. (2010). La formation professionnelle des personnes handicapées : un nouvel enjeu ? In A. Blanc (dir.), L’Insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

    Viala, M. (2011). Le DISPEH : une innovation seine et marnaise. Revue du CERFOP, « Relations et coopérations entre structures adaptées et dispositifs d’inclusion », 26, 79-85.



    [1].Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 : article 1erdu Journal officieldu 1er juillet 1975.

    [2].Malgré son usage dans des textes règlementaires cette notion reste problématique par son extension variable et ce qu’elle est censée recouvrir. Pour une mise au point, voir La Nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 2007, 37, 76-77 ; Revue du CERFOP, 2010, 25, 124-125.

    [3].Loi n° 75- 534 : article 4.

    [4].Loi n° 75-534 : article 5.

    [5].Loi 2005-102 du 11 février 2005 : titre IV, Chapitre 1er (« Intitulé »), Journal officieldu 12 février 2005.

    [6].Loi 2005-102 : titre IV, chapitre 2, Section 2.

    [7].Loi 2005 -102 : article 26, V (L. 323 -11- 1).

    [8].Loi n° 2005-102 : article 26, V, (L. 323- 11- 1).

    [9].Loi n°2005-102 : article 26, V, (L.323-11-1).

    [10].Loi n° 2005-102 : article 26, V (L.323-11-1).

    [11].Comme cela se pratique dans un certain nombre de départements, entre autres en Haute Garonne, dans la Loire et dans les Vosges.

    [12]. Cf. la loi n°2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à « L’orientation et à la formation tout au long de la vie », Journal officieldu 25 novembre 2009.

    [13].Circulaire n°2010-088 du 18/6/2010 (§ 4), Bulletin officiel de l’Éducation nationale, 28, du 15juillet 2010.

    [14].Circulaire n° 2010-088 (§ 4.1).

    [15].Circulaire n° 2010-088 (§ 4.1).

    [16].Circulaire n°2010-088 du 18juin 2010 (§ 4.3).

    [17].Comme à Toulouse et à Nîmes, entre autres.

    [18].Atlas national 2008. L’emploi et l’insertion professionnelle des personnes handicapées. FIPHFP et AGEFIPH. Leur taux de chômage est plus du double que celui de l’ensemble de la population active et leur taux d’emploi est de 35 % contre 65% pour le reste de la population.

    [19]. Valérie Létard, secrétaire d’État à la solidarité, reconnaissait en 2008 dans un entretien que la principale difficulté était leur « manque de formation » (Le Monde du 19novembre 2008, « Les Cahiers de la compétitivité »).

    [20].Atlas national,2008. L’emploi et l’insertion professionnelle des personnes handicapées (p. 50).

    [21]. Atlas national, 2008 : 40.

    [22].CEREQ, Marseille, Bref, 214, décembre 2004,sur l’insertion de la génération, 2001.

    [23]. 28 % exercent un emploi à temps partiel contre 17% pour le reste de la population active. L’accès à l’emploi des personnes handicapées en 2007. Synthèse de la DARES, novembre 2008, n°47.1

    [24].Circulaire n°2010-088 du 18juin 2010 (§ 4.3).

    [25].Rapport du 14octobre 2003.

Aucun Commentaire

Commenter cet article

  • Nom *
  • Email
  • Site Web
  • Message *
  • Recopiez le code de sécurité *
  • ???
  •