Association française pour l’enseignement du français

On enseigne le français ailleurs

  • 01
    Déc

    L’enseignement-apprentissage du français en situation de crise dans les pays de l'Afrique subsaharienne et de l'Océan Indien

    Congrès des associations de professeurs de français de l’Afrique subsaharienne et de l’Océan Indien - Yaoundé, Cameroun, 16-19 novembre 2015

    L’enseignement-apprentissage du français en situation de crise

    Congrès des associations de professeurs de français de l’Afrique subsaharienne et de l’Océan Indien - Yaoundé, Cameroun, 16-19 novembre 2015

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    Les professeurs de français africains rassemblés par leurs associations à Yaoundé du 16 au 19 novembre 2015 représentaient des réalités fort différentes.

    Réalités économiques : s’ils n’étaient pas très nombreux, c’est notamment parce que les conditions de déplacement sont compliquées et chères, il est bien souvent plus difficile et long d’aller d’un pays de la zone à un autre que de venir de Paris.

    Réalités politiques et sociales : cette partie centrale de l’Afrique est le terrain d’attentats fréquents, au Nord Cameroun, au Nigéria, au Mali, au Niger, pas tous aussi médiatisés que celui de Bamako du 20 novembre, bien que souvent plus meurtriers.

    Réalités linguistiques : la zone subsaharienne de l’Afrique et de l’Océan Indien regroupe des statuts et des politiques linguistiques divers, des pays où la langue officielle est le français ou l’anglais, seuls ou avec une ou des langues nationales, le Cameroun où le français et l’anglais sont langues officielles, le Gabon où le français a été institué langue maternelle par un décret ancien… Et si la plupart des professeurs des pays où le français est langue officielle mettent l’accent sur les difficultés qu’ils rencontrent (faible niveau des élèves, classes à effectifs pléthoriques, absence ou rareté de manuels…), l’enseignement y est plus proche de l’enseignement en France que dans les pays anglophones où il est langue étrangère. Cette situation est importante à prendre en compte : dans des pays où l’indice de croissance est bien plus élevé que celui que connaissent les pays d’Europe, le français représente un atout économique indubitable, et dans des pays anglophones comme le Nigéria, la demande de français est grande pour pouvoir travailler et commercer avec les pays francophones voisins.

    Ces réalités renvoient aussi à des politiques linguistiques dont l’orientation a été prise aux États Généraux de Libreville (2003) qui ont constitué un tournant dans la Francophonie ; en considérant le français, non comme une langue unique, mais enrichie par les autres langues, une des principales résolutions prises concernait l’enseignement conjoint du français et des langues africaines, effectif aujourd’hui mais avec des variantes locales.

    Et si le congrès avait pour objectif d’interroger la « crise » qui touche l’enseignement-apprentissage du français en Afrique, le professionnalisme et le dynamisme des professeurs présents sont de nature à donner de l’espoir.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans sa conférence inaugurale, Jean TABI MANGA[1] se proposait de revisiter les pratiques d’enseignement-apprentissage du français, langue partagée. Quels discours nouveaux tenir aujourd’hui en francophonie africaine qui fassent sens, indiquent une direction et une signification ? Le basculement technologique et économique du monde met à jour une problématisation nouvelle dans un contexte qui nous interroge : comment « intelliger » la crise ? 

    L’enseignement du français dans le continent noir est en crise permanente ; une crise sectorielle, portée sur le plan philosophique par une crise de la civilisation soulevée par le modèle économique néolibéral, par la mondialisation de l’économie du savoir ; et cette crise de l’économie néolibérale influence tous les domaines de la didactique et l’ensemble du système éducatif. Le français, pour des raisons de politogenèse, est à la fois langue d’enseignement et discipline : comment, alors, ce sous-continent peut-il espérer se développer en ayant une langue non endogène, mais reçue ?

    En Afrique, le système d’enseignement du français connait un enchâssement de crises : crise du système éducatif, crise économique, crise de civilisation, crise de valeurs. Pour proposer des profils de sortie de crise, il est important d’identifier les aspects de la crise liés à la didactique du français. Le contexte de crise est marqué du sceau de la contradiction entre espérances et chaines d’obstacles.

    -       La langue française, bien commun immatériel, fait partie des atouts d’une Afrique qui se bat et a des résultats, avec des moyennes de croissance de 6% et des pointes à 9%. Et pourtant l’enseignement manque de maitres, et de maitres formés ; la question des manuels, chers et dans lesquels les États ne s’investissent pas ou trop peu, constitue un problème important.

    -       Le français connait une crise d’amour, si le français devient une langue mal aimée, cédant sa place à l’anglais dans les universités des pays du nord, si le français n’est plus une langue capable de porter la modernité, pourquoi continuer à lutter ? La sortie de crise implique de refondre la loi Toubon en se posant la question : un jeune est-il capable de vivre parce qu’il vit et travaille en français ?

    Nous sommes entrés dans la troisième francophonie ; après la première, senghorienne, qui a posé les valeurs, la culture, la solidarité ; la deuxième, politique (F. Miterrand 1988), qui a permis aux pays de se situer dans les créneaux politiques par les sommets de Chefs d’États ; la troisième, économique, fait entrer le continent dans une économie productive.

    Mais une crise intrasystémique touche le cœur de la langue française qui est une langue reçue. La francophonie du peuple a besoin de savoir quelle variété du français est le normatif pour éviter une insécurité linguistique. Toute norme endogène fait courir le risque de la ghettoïsation. La norme linguistique doit être étendue, par exemple par le développement du travail entamé par le Trésor du vocabulaire francophone[2] (Quemada) dans une perspective normative pour passer d’une langue reçue à une langue vécue.

     

    Un deuxième temps a porté sur l’évaluation de l’application des résolutions de Libreville. Les États Généraux de Libreville (2003) ont constitué un tournant dans la francophonie ; en considérant le français comme langue-partenaire, pas une langue unique, mais enrichie par les autres langues, ils instituaient un enseignement conjoint du français et des langues africaines. Qu’en est-il douze ans après ? Une évaluation a-t-elle été prévue ?

    Félix Bikoï[3] rappelle le contexte qui a conduit à ces États Généraux : le Congrès de Cotonou de l’APFA-OI[4], le Congrès de la FIPF Paris 2000 ont souligné la baisse d’intérêt pour le français en Afrique ; deux missions menées en Afrique centrale et occidentale entre 2000 et 2002 ont souligné le manque d’enseignants, le manque de formation, les effectifs pléthoriques, le manque de méthodes pédagogiques, des programmes mal conçus et en perpétuel changement, l‘africanisation de la langue française, des signes d’une mort lente du français en Afrique francophone. En 2003, les États Généraux énoncent 101 résolutions, mais sans procédure de suivi. Trois évaluations locales sont présentées, dans trois zones du sous-continent :

    -       L’exemple du Gabon pour l’Afrique centrale, par Mireille Essono Ebang. Les politiques linguistiques ont été revues pour introduire l’enseignement des langues nationales au niveau secondaire (en fait moins de dix établissements le font, les autres étant bloqués par un manque d’outils et de moyens). Dans l’enseignement-apprentissage du français des innovations ont été engagées comme l’approche par compétences et le curriculum. Une formation des enseignants est en cours avec une vision de l’école africaine tournée vers le livre pour tous.

    -       L’exemple de l’Afrique de l’Ouest par Issoufi Touré, du Mali. Concernant le partenariat français-langues nationales et le bilinguisme, l’Afrique de l’Ouest montre une avance qui tient à des choix politiques et idéologiques. Au Mali et au Niger, les écoles sont bilingues, au Mali les langues nationales sont enseignées jusqu’à l’université ; le matériel didactique et les manuels sont produits localement. Les réformes curriculaires ont eu lieu, mais l’APC (Approche par compétences) est fortement contestée par certains professeurs de français. Les programmes de formation des enseignants se sont multipliés. Mais la langue endogène est toujours en question, quel français enseigner, un français standard international ou un français endogène, adapté au pays ?

    -       L’exemple de Madagascar dans l’Océan Indien, par Armandine Pruvost. La situation malgache est assez particulière, le malgache (avec dix-huit variantes régionales) est langue officielle, notamment de l’Administration. Mais le français a aussi statut de langue officielle, et il est le plus utilisé dans l’Administration. La malgachisation est ancienne, et, faite, à l’époque, dans la précipitation, elle laisse de fortes déceptions. Elle a été testée pendant vingt ans au bout desquels elle a été abandonnée, le niveau avait chuté, une forte évasion avait lieu vers les lycées français ; les parents ont dénoncé la malgachisation dans laquelle ils ne reconnaissaient pas ce qu’ils avaient appris. En tant qu’ile, Madagascar a besoin d’une langue d’ouverture, et il a fallu le courage d’un ministre de l’éducation pour remettre le français dans l’éducation. Mais un problème de formation s’est posé, peu d’enseignants maitrisent la langue. Depuis deux ans, un nouveau plan est en cours qui promet une bonne évolution.

    En conclusion, l’absence de mécanisme d’évaluation a entrainé des disparités quant à l’enseignement des langues nationales moins prononcé en Afrique centrale que de l’ouest. D’autres différences apparaissent aussi selon les pays, dans les ex-colonies belges les langues nationales ont été enseignées depuis le deuxième quart du vingtième siècle. Quant au statut des langues nationales, il est important de ne pas confondre statut juridique et statut psychosocial. Une question ressort pour l’enseignement du français : quel français enseigner ? le français standard ? les variétés locales ? le français endogène ? La formation des formateurs est au cœur de la solution, ainsi qu’une clarification du rapport enseignement/apprentissage pour éviter les flottements dans le concept.

     

    Enseigner en français et en langue nationale, Ngalasso Musanji[5].

    Le français, langue indoeuropéenne de souche romane latine introduite en Afrique par le biais de la colonisation (française et belge), a été conservé au moment des indépendances comme langue officielle, et on a bien fait de ne pas l’évacuer. Mais le considérer comme une langue parmi d’autres implique des responsabilités dans la gestion de la relation entre langues.

    L’intégration des langues nationales dans le système éducatif à côté du français est une question qui se pose dès (et même avant) la colonisation. Soit on enseigne les langues nationales comme des matières, soit on enseigne dans les langues, c’est alors l’enseignement bilingue. Pendant la période coloniale, un modèle d’éducation monolingue a été instauré en France et dans les colonies, alors que les Belges développaient un modèle bilingue flamand-français. Au moment des indépendances, deux mouvements se sont produits quant à la place à donner aux langues nationales dans les colonies françaises. La Guinée et Madagascar ont payé par des échecs leur précipitation à rejeter le français pour des raisons idéologiques. Dans les colonies belges, l’enseignement en langues nationales existait depuis environ 1925, si bien qu’à l’indépendance on a observé un mouvement de refus des langues nationales comme signe de colonisation, de ghettoïsation. Au Congo, la désafricanisation des langues s’est soldée par un échec et un fiasco du français.

    L’enseignement des langues implique de respecter un ordre : d’abord un retour à un enseignement dans les langues nationales, puis en français ensuite. Les débats durant ces journées montrent qu’il est important de tenir compte de tous les éléments, ce n’est pas langues nationales /ou/ français mais et. Par exemple, le Concile de Trente indiquait que les missionnaires devaient apprendre les langues nationales.

    Comment concevoir des outils didactiques ? Un des objectifs est l’écriture de dictionnaires afin que le français cohabite avec les langues africaines, ce qui est un gage de convivialité et de compétitivité ; et permet de favoriser un environnement écrit dans les langues africaines.

     

    Être Africain et être chez soi en français. Dans son intervention, Claude Frey[6] donne toute une série d’exemples d’emplois de termes africains. Les Africains ne sont pas locataires mais copropriétaires de la langue française.

     

    Le baromètre des langues du monde, Louis-Jean Calvet[7]. Le baromètre Calvet des langues du monde est accessible en ligne[8] (dernière version 2012). 7000 langues sont parlées dans le monde, mais 5% des langues sont parlées par 95% de la population mondiale, et 95% des langues sont parlées par 5% des habitants. La moitié des langues africaines ont moins de 27000 locuteurs. Un code ISO permet de codifier les langues : ISO 693 3.

     

    Le Programme ELAN, Hamidou Seydou[9]. ELAN = école et langues nationales est un programme de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie), il existe ELAN Afrique et ELAN d’autres zones. Hamidou Seydou préfère parler d’initiative plutôt que de projet, il s’agit d’une offre francophone vers un enseignement bilingue pour mieux réussir à l’école. Cette initiative est née à la suite d’une étude réalisée dans six pays d’Afrique subsaharienne, commanditée par l’AUF (Agence Universitaire de la francophonie), l’OIF, l’AFD (Agence française du développement) et le MAE (Ministère des affaires étrangères français). Cette étude a débouché sur un rapport de synthèse sur le statut des langues dans le système éducatif de ces six pays. Grâce à ce rapport, un programme d’enseignement bilingue a été lancé dans huit pays d’Afrique subsaharienne, d’abord au primaire, afin d’accompagner les ministères de l’éducation dans les réformes, et de créer, dans la francophonie, un dispositif international. L’OIF est maitre d’ouvrage international, les ministères de l’éducation des huit pays sont maitres d’ouvrage nationaux pour une première phase qui s’est déroulée de décembre 2012 à décembre 2015. Le programme contient deux volets, ELAN PILOTE, qui concerne l’apprentissage en lecture-écriture, et ELAN GLOBAL qui consiste en la formation des maitres et en l’élaboration de matériel éducatif. Parmi les outils élaborés : un guide d’orientation à l’approche bi-plurilingue de la lecture-écriture ; bilingue concerne la langue choisie par le ministère plus le français ; plurilingue désigne la situation de plurilinguisme dans le pays. Les principales questions posées sont celles du transfert des connaissances acquises en lecture-écriture d’une langue vers l’autre, ce qui amène à s’interroger sur ce que l’on entend par écriture, lecture, transfert. ELAN est présenté sur le site de l’OIF[10].

     

    Pour terminer ce tour d’horizon, deux domaines méritent que l’on s’y arrête. 

    D’abord, l’Approche par compétences, adoptée par les systèmes éducatifs de plusieurs pays. Raphaël Adiobo Mouko (Cameroun) montre l’évolution depuis l’APO (approche par objectifs) une parcellisation dans laquelle le système éducatif était coupé des réalités sociales, vers l’APC dont les finalités sont doubles : socioprofessionnelles et socioculturelles, plaçant les élèves dans une situation de résolution de problèmes. Abdoulaye Ibnou Seck (Sénégal) indique que suite aux États Généraux de Libreville, les décisions ont été prises dans son pays d’entreprendre une réforme curriculaire avec approche par compétences, et d’exploiter le potentiel des Technologies de l’information et de la communication. Mais une situation de crise continue dans l’enseignement du français, traité comme français langue seconde alors qu’il est langue d’apprentissage, et dans le travail sur les textes persistent des pratiques difficilement compatibles avec l’APC. Compréhension, expression orale sont ignorées, alors que l’APC a pour but de donner du sens aux apprentissages, de renforcer la motivation et la réussite. L’APC combinée aux TIC ouvre la voie d’innovations pédagogiques intéressantes.

    Enfin un temps était réservé à la comparaison des systèmes de formation entre pays, en passant par les dispositifs nouveaux en France ou au Gabon, et les modalités de la professionnalisation s’appuyant sur la réflexivité, l’adoption de postures d’accompagnement et l’attention aux gestes professionnels et d’étude.

     

    Viviane Youx, présidente de la CFLM (Commission du français langue maternelle de la FIPF) et de l’AFEF (Association française des enseignants de français)

     

    [1]Professeur de linguistique, Recteur des universités, Président de la commission nationale des manuels scolaires, Cameroun

    [2]Base de données lexicographiques panfrancophone (mars 2004) : http://www.bdlp.org/default.asp- consulté le 30/11/2015

    [3]Université de Maroua, Cameroun, ancien président de l’APFA-OI

    [4]Association des Professeurs de français d’Afrique et de l’Océan Indien, commission de la FIPF

    [5]Université Bordeaux II Montaigne

    [6]Paris III Sorbonne Nouvelle

    [7]id.

    [8]http://wikilf.culture.fr/barometre2012/

    [9]OIF, Organisation Internationale de la Francophonie

1 Commentaire

  • ALOKPON Jean Benoît

    15 Dec 2015 à 07:18

    Merci Viviane pour ce précieux travail de synthèse. Merci pour ta présence permanente et la contribution de l'AFEF que tu as dignement représentée. A bientôt à Liège.
    Amitiés renouvelées.
    Jean Benoît ALOKPON
    Président de l'APFA-OI

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