Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 11
    Jan

    Lire ou relire : "Conversations sur la langue française" de Pierre Encrevé et Michel Braudeau

    Tout sauf ennuyeux ! Pour passer un moment délicieux en bonne compagnie...
    Voila un titre bien austère, faisant fi des modes racoleuses ! Cet ouvrage ne serait-il destiné qu’à nourrir les intercours de quelques enseignants de français déboussolés que rien ne peut arracher à leur boulet quotidien ?

    Que l’on ne s’y trompe ! Là n’est pas le propos de nos auteurs. Au fil de cinq promenades, Pierre Encrevé (sociolinguiste, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, auteur de la réforme de l’orthographe alors qu’il était conseiller de Michel Rocard) s'entretient avec Michel Braudeau (écrivain et journaliste) au cours de 5 promenades dans des jardins parisiens qui les conduisent du Palais Royal aux Tuileries, puis des Buttes Chaumont au Musée Rodin, avant de terminer au Jardin du Luxembourg. Et il va nous entrainer dans une histoire étonnante, amusante, iconoclaste, bien loin de l’image que l'on se fait couramment d’un traité de linguistique.

    Loin des idées reçues, Pierre Encrevé désigne le français comme une langue jeune, dont la fixation précoce dans l’histoire s’est accélérée depuis la seconde guerre mondiale, au point que les variations actuelles sont plus générationnelles que géographiques. Malgré les déceptions archaïques d’une élite rêvant d’une « belle langue » apanage d’un petit nombre, jamais l’ensemble de la population n’a été aussi nombreux à parler correctement.

    Le monolinguisme des Français, posé depuis un siècle en idéal national, s’effrite, mis à mal par le choix de l’anglais comme langue de communication internationale, mais aussi du fait du multilinguisme naturel à l’humanité. Si les expansions linguistiques sont toujours liées à l’histoire politique, la langue française a toujours été langue de culture, de distinction, plus que de masse, et elle doit se dissocier de sa dimension nationale pour conserver sa stature internationale.

    L’ethnocentrisme hexagonal, qui prône le « français en partage » repose sur le postulat d’une langue unique. Or, la francophonie passe par la coexistence des différentes langues, y compris en France. Les vocabulaires judiciaire et administratif gagneraient à s’inspirer de la prudence de François 1er qui recommanda, dans l'édit de Villers Cotteret en 1539, de parler comme ses sujets, pour les comprendre, sans prétention de leur imposer un usage collectif ; ou d’imiter l’habileté des jeunes de banlieue à jongler entre un sociolecte, le "parler jeune" utilisé en interne pour renverser l’exclusion subie, et le français commun à usage externe.

    La pression normative est telle en France qu’elle fait oublier qu’il n’existe aucune contrainte légale sur la langue dans le privé. A l’Etat revient le rôle de désigner la langue officielle, de l’enseigner et de la faire évoluer, mais son emploi individuel est libre. L’orthographe « divinité laïque » a balayé toute tolérance, alors que le sacro-saint accord du participe passé repose sur un jeu de Marot appliqué à la lettre au XIXème siècle seulement, et que Molière a écrit Le Misantrope et Proust « nénufar »…

    Des espoirs d’évolution peuvent nous venir d’un métissage au sein d’un plurilinguisme, ou de transformations en douce, comme la féminisation réussie des métiers venue du Québec. Aucune défense systématique ne peut aboutir si elle repose sur des interdictions qui menacent la liberté d’expression. Par contre tous les usages et formes qui se généralisent sont porteurs de changement.

    Rêvons que tous les enseignants, suivis par les citoyens, se mettent à appliquer les simplifications orthographiques de 1990, plus quelques autres tolérances, progressivement… Alors, nous retrouverions peut-être un peu de cette liberté linguistique qui confère toute sa richesse à l'écriture et à la parole !

    Conversations sur la langue française, Pierre ENCREVE , Michel BRAUDEAU, NRF Gallimard 2007 193 p. 16,50 €

    Viviane Youx

2 Commentaires

  • Isabelle Perciaux

    30 Avr 2013 à 21:42

    Je vous remercie pour votre article dont j'apprécie la justesse. Non que je m’enorgueillisse de partager votre point de vue, mais depuis longtemps, je me sens relativement seule (dans mon secteur) à défendre la langue française. Quand je parle de la défendre, je parle d'accueillir avec ferveur son évolution grâce notamment à la vigueur de l'oralité mais aussi grâce aux travaux de recherches qui ont abouti à la réforme de 1990. Hélas, si Mme Cogis ne m'avait confié un vademecum de la réforme de l'orthographe à la fin de mon année de stage, je n'aurais jamais eu vent de cette réforme. Car personne, lorsque j'ai passé le concours (Sorbonne Paris IV) ne l'a présentée aux étudiants que nous étions. Le plus ennuyeux est bien que de nombreux enseignants comptent encore comme fautives des graphies qui aujourd'hui doivent être acceptées (et ce, depuis maintenant 23 ans!). Je suis, en réalité, scandalisée par cet état de fait. Chaque enseignant en lettres devrait recevoir lors de la rentrée un document l'alertant sur ce point. C'est notre devoir d'évoluer dans ce sens et de cesser de considérer l'orthographe comme une marque élitiste. Les parents cependant s’arcboutent trop souvent contre cette réforme, par méconnaissance, c’est certain, mais aussi parce qu’ils ont connu une école différente, une école au sein de laquelle l’orthographe occupait une place injustement dominante. Le fameux nénufar les choque particulièrement lorsqu’il s’agit d’une erreur d’élève. Je n'ai pas toujours le temps de leur expliquer que Proust... Mais je fais de mon mieux. Il faut que nous fassions davantage.

  • Muriel Daigueperse

    09 Avr 2016 à 16:50

    "il n'existe aucune contrainte légale sur la langue en privé (...) son emploi individuel est libre"; pourquoi
    alors ne pas initier un mouvement citoyen qui prendrait raisonnablement possession de cette langue et déciderait d'en simplifier l'orthographe sur la base de règles précises et claires? Dans quel but? Afin que ne soit plus enseignée aux enfants cette "orthofouillis" (Roger Lallemand) dont l'apprentissage stérile est tellement gourmand en temps, au détriment d'aspects autrement essentiels de la langue...
    Voici quelques lignes de ce que pourrait être une "Ortografie" (Ambroise Firmin Didot) simplifiée:
    Une pluie fine grésillait sur les pavés de la rue désertée par les passants; le clocher de l'église sonait (1) six heures; quitant (1) la petite gare de banlieue Anne, cheveus (2) au vent, a marché d'un pas vif et s'est arêté (1) (3) sur le promontoir (4) surplonbant (5) l'océan déchainé (6); la paroie (7) rocheuse batue (1) par les vagues tonbait (5) à pic dans les flots; l'orage menaçait, le tonerre (1) grondait au loin...

    Ni le son ni le sens des mots ne sont touchés par la modification de ces graphies; la langue n'est pas que l'orthographe...
    règles expliquant ces modifications:
    (1) réduction de la lettre double (2) -s marque du pluriel (3) invariabilité du participe passé employé comme forme verbale (4) genre masculin non marqué (5) remplacement du m par n devant m b p (6) orthographe 1990 (7) e muet final marque du féminin

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