La SIHFLES a 25 ans
Le 14 décembre 2012, au Centre international d’Études Pédagogiques (CIEP), La SIHFLES[1] fêtait son vingt-cinquième anniversaire.
La Société internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère et Seconde avait été créée en ce même lieu sous l’impulsion d’André Reboullet qui fut, ainsi que l’ont rappelé Gérard Vigner et Daniel Coste, le premier Secrétaire Général de l’AFEF et le Rédacteur en chef de notre revue, Le Français Aujourd’hui, de sa création en mars 1968 jusqu’en mai 1972. La SIHFLES, qui rassemble depuis 1987 des chercheurs, des didacticiens et des praticiens de l’enseignement du Français Langue Étrangère ou Langue Seconde, a pour but de :
"promouvoir l’histoire de l’enseignement et de la diffusion du français langue étrangère ou langue seconde hors de France et en France et, d’une manière générale, de la didactique des langues, en réunissant les chercheurs, en faisant connaitre les résultats de leurs travaux, en suscitant de nouvelles recherches, en favorisant l’ouverture d’études dans les formations universitaires et la création d’un Centre de documentation et d’archives spécialisé." (Statuts, article 2).
Elle organise, pour ce faire des colloques internationauxet publie une revue scientifique, Documents, dont un certain nombre de numéros sont disponibles sous forme numérique[2].
Comme beaucoup d’autres associations, la SIHFLES a le sentiment de se trouver à une croisée de chemins, elle s’interroge sur sa visibilité et celle de ses travaux scientifiques, sur la pertinence de choix anciens avant de constater l’ampleur des champs qui demeurent inexplorés.
Pourquoi l’entrée historique ?
Quelle est la légitimité de cette entrée, demande d’emblée Claire Extramania, représentante de la Délégation Générale à la Langue Française et aux langues de France ?
Elle est légitime parce que la diffusion du français est antérieure à la constitution de la discipline correspondante, ce que Gérard Vigner démontrera en présentant une série de documents dont les premiers remontent au XVIème siècle, par exemple la première grammaire du français a été écrite (mais jamais publiée apparemment) par un Anglais en 1530, bien avant celle de Port-Royal.
Elle est légitime parce que s’interroger sur l’histoire du français enseigné à l’étranger, c’est envisager cette langue, en relation avec sa dimension sociale, en tant que langue de culture, mais aussi en relation avec sa dimension politique, par exemple comme langue d’exilés (les Huguenots mais pas seulement), comme langue de rayonnement au XVIIIème siècle à travers les précepteurs en vogue dans « l’Europe de l’élite » ou langue de colonisation au XIXème à travers la méthode Mamadou et Binetta pour l’Afrique Noire. Parce que, plusieurs intervenants l’ont rappelé, parler de l’enseignement du français langue seconde, c’est aussi parler de l’enseignement du français aux origines de l’école obligatoire.
Cela permet de comprendre les choix des politiques, l'évolution des pratiques d'enseignement et donc de mieux comprendre les pratiques actuelles, rappelle Fabienne Lallement de la Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF).
Questions autour de la dimension internationale
Le tableau historique brossé par Gérard Vigner rend sensible, sans que cela soit clairement énoncé, la régression du français aussi bien dans l’Europe que dans le monde. Ce fait donne d’autant plus de légitimité à la volonté initiale de construire une association qui ne soit pas franco-centrée. Par contre un des choix de départ semble réinterrogé, celui de ne pas lier ce champ de recherche à celui de l’enseignement des langues vivantes en général, d’autant que l’histoire, celle des dictionnaires par exemple, peut confirmer le choix du plurilinguisme (même si Willem Frijhoff, de la Vrije Universiteit d’Amsterdam, remarque avec humour que le plurilinguisme néerlandais traditionnel semble se résoudre en un bilinguisme anglo-néerlandais).
Le choix du « pragmatisme »
Société de francophones et de francophiles, observatoire des pratiques d’enseignement du français autour des trois dimensions linguistique, didactique et pédagogique, la SIHFLES confirme son choix d’une centration sur les pratiques et les choix didactiques opérés par les enseignants au détriment d’une histoire institutionnelle. Elle est encouragée en cela par André Chervel qui raconte comment ses recherches sur la grammaire scolaire lui ont permis de constater qu’elle n’était pas l’œuvre de grammairiens et l’ont conduit à développer la plus grande défiance à l’égard de la notion de « transposition didactique ». Encouragée également par les développements récents, en Histoire, à travers les démarches de l’histoire croisée, exposées par Esther Moeller, de l’Institut pour l’Histoire européenne de Mayence.
Ce choix du « pragmatisme » interroge, particulièrement lorsqu’il s’illustre à travers la réitération de l’affirmation selon laquelle l’enseignement d’une langue est une affaire économique : les premiers dictionnaires et dialogues plurilingues visaient à faciliter la communication commerciale ; Coménius a joué un rôle essentiel pour l'apprentissage simultané des langues car, à cette époque, les maitres de langue n'étaient pas spécialisés afin d’être en mesure de répondre selon les besoins ; aujourd’hui, comme autrefois, le marché linguistique serait lié à l’offre, la demande, les finalités d'appropriation et les finalités de transmission.
Dans son allocution de clôture, intitulée « Histoire à suivre », Marcus Reinfried de l’université d’Iéna, s’est efforcé de démontrer à travers la présentation de la dynamique complexe d’un enseignement / apprentissage d’une langue étrangère, combien l’association qu’il préside avait encore, pour l’avenir, des terrains d’investigation riches et variés.
Dominique Seghetchian