Les jeunes dans les territoires : et l'école ?
Parcours de jeunes et territoires : letitre des rencontres de l'Observatoire de la jeunesse 2015, organisées par l'INJEP[1] le 27 janvier 2015, reprenait celui du Rapport de l'Observatoire de la jeunesse 2014, publié sous la direction de Francine Labadie[2] à la Documentation Française[3]. Nous nous arrêterons surtout sur la présentation du rapport dont nous dégagerons les grandes lignes. Puis nous évoquerons deux des thématiques majeures de la journée, la mobilité et les effets de territoire.
Ce deuxième rapport de l'Observatoire : "État des lieux de la jeunesse : jeunes, inégalités et territoires" choisit de faire de la question territoriale un analyseur de la situation des jeunes. En effet, le vieillissement démographique montre des disparités selon les régions, et il s'agit de voir en quoi les territoires impactent la situation des jeunes. Premier constat, la jeunesse est essentiellement urbaine, avec des pics de concentration dans le Bassin Parisien, le Nord-Pas de Calais, Rhône-Alpes, et les DOM. La création de métropoles a un effet sur la question sociale en concentrant les richesses et le possibilités ; l'attrait est le plus fort pour les jeunes les plus diplômés, ce qui accentue les inégalités. Les pratiques des jeunes montrent que leurs usages du territoire est de à la fois espace de vie et espace de ressources ; en tant que lieu de vie, il peut être vécu positivement comme espace d'attachement, ou négativement comme espace d'assignation ; en tant que lieu de ressources, son usage est souvent utilitariste, en fonction des offres, notamment culturelles ; même si, dans ces deux domaines, les perceptions subjectives sont quelquefois éloignées de la réalité. Francine Labadie pointe quatre formes d'inégalités dans :
· les ressources, avec une concurrence entre territoires, notamment en ce qui concerne l'offre en enseignement supérieur, structurée par une logique de hiérarchisation selon le nombre d'habitants ;
· les conditions socioéconomiques externes, principalement le taux de chômage ;
· les discriminations, les "effets de quartier" forts pour les jeunes des ZUS (zones urbaines sensibles) alors que pour les autres c'est l'effet des diplômes qui joue le plus ;
· l'accès à l'autonomie résidentielle corrélé avec le niveau de vie et d'emploi; Paris constituant un cas spécial de décohabitation où deux jeunesses sont réparties selon les prix d'habitat centre / périphérie.
Les jeunes constituent la catégorie de la population la plus mobile, par les études et l'insertion professionnelle. La mobilité, un enjeu essentiel de l'action publique, doit être vue comme un processus.
La question de la mobilité était évoquée au long de la journée comme une des préoccupations majeures, notamment des jeunes ruraux, pour leur permettre d'accéder aux études, aux entretiens d'embauche et plus largement au travail, mais aussi aux loisirs et aux activités culturelles pour lesquelles leurs aspirations sont très "urbaines". La distanciation apportée par Nicole Gallant[4], dans sa conférence introductive, de la comparaison avec les réalités québécoises, était éclairante sur le décalage dans la conception de l'âge d'autonomie économique : les jeunes Québécois, qui travaillent pour la plupart durant leurs études, voient dans le permis de conduire et la voiture les outils essentiels d'une autonomie économique précoce dans un territoire vaste très inégalement occupé. La mobilité est aussi un élément déterminant pour les jeunes d'Outre-Mer, nombreux à être prêts à partir pour étudier ou travailler, mais la sélection est forte au départ comme au retour ; et l'avantage au départ pour les plus diplômés ne se confirme pas forcément au retour, les migrants n'étant pas prioritaires, notamment dans l'administration. D'une manière générale, les intervenants, tout en faisant de la mobilité un enjeu majeur pour les jeunes, insistaient sur le danger d'une injonction parfois trop forte à la mobilité : être mobile, oui, mais pour quoi faire ?
Une autre question largement traitée était celle des effets de territoire qui seraient peut-être surestimés par le politique. Longtemps minoré en France, le rôle du territoire dans les parcours des jeunes aurait tendance, aujourd'hui, à être exagéré, notamment quand on lie les inégalités et discriminations à des causes territoriales. Selon Thomas Kirszbaum[5], même si l'idée d'un "destin territorial" est révoltante pour tous, l'hypothèse de l'influence de l'adresse est très excessive dans les discriminations territoriales ; l'effet d'adresse joue de manière très positive pour les plus diplômés et ceux qui habitent les "beaux quartiers", mais pour les jeunes discriminés, l'effet par le nom est le même, que le jeune habite dans une ZUS ou non. Il s'agit donc de remettre le territoire à sa juste place dans une question plus largement sociale, et de s'emparer avec prudence de cette hypothèse fragile d'effet de quartier.
En conclusion, ce qui ne peut manquer de nous frapper c'est l'absence de l'École dans une rencontre où la territorialité impacte grandement les études. Si l'on s'oriente vers un territoire apprenant, quelle sera la continuité entre les dispositifs éducatifs régionaux, l'éducation populaire et l'École ?
Une autre question, celle des "sociabilités numériques des jeunes", seulement évoquée durant cette journée, gagne à être approfondie grâce à la contribution de Sophie JEHEL[6] contenue dans le Rapport de l'Observatoire de la Jeunesse 2014. Nous y reviendrons à l'occasion d'une journée de travail sur le numérique que prépare l'AFEF.
Viviane Youx
[1]Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire
[2]http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782110098122-parcours-de-jeunes-et-territoires
[3]http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782110098122-parcours-de-jeunes-et-territoires
[4]Centre urbanisation culture société, INRS ; directrice de l'Observatoire jeunes et sociétés, Québec
[5]Chercheur associé, ENS Cachan
[6] Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Centre d'études sur les médias, les technologies et l'internationalisation