Association française pour l’enseignement du français

Revue Le Français Aujourd'hui

  • 14
    Déc

    LES GENRES : CORPUS, USAGES, PRATIQUES

    Le Français Aujourd'hui N° 159 décembre 2007

    Les Genres : corpus, usages, pratiques
    Numéro coordonné par Catherine Boré & Isabelle Laborde-Milaa

    Typologies et échelles des genres

    Yves Reuter : Statut et usages de la notion de genre en didactique(s)
    Catherine Boré : Corpus et genres scolaires : affinités, difficultés
    Dominique Maingueneau : Genres de discours et modes de généricité

    Le genre, objet instable ou non identifié
    Lucile Cadet : La genèse des « journaux de bord d'apprentissage »
    Isabelle Laborde-Milaa : Des genres médiatiques aux genres didactiques : quelles transmutations ?
    Malika Temmar : Le discours philosophique au carrefour des genres

    Les variations au sein de la prescription des genres
    Christian Bouillon : Genre prescrit, genre construit : le conte et ses variations
    Sylviane Ahr : Genre romanesque et contrat de lecture
    Christiane Donahue : Les genres d'écrits universitaires aux États-Unis

    Chroniques Serge Martin : Charles Pennequin ou le dictaphone au rythme des vies
    Pierre Bruno : Deux regards sur les contrecultures et cultures jeunes
    Marie-Madeleine Bertucci : Le chercheur et son terrain : peut-on parler d'un « objet de recherche » en sciences humaines et sociales ?
    Christine Mongenot & Marie-France Bishop : Où en est l'enseignement de la littérature ?

    Abonnement et achat des numéros auprès de Armand Colin Revues
    Consultation en ligne pour les abonnés individuels et institutions.


    FA n° 159 Les genres : corpus, usages, pratiques
    PRESENTATION Par Catherine Boré & Isabelle Laborde-Milaa

    La question des genres s'inscrit dans une problématique plus générale : celle du classement des objets langagiers. Cette dernière n'est pas nouvelle au Français aujourd'hui, qui l'a traitée de deux façons : soit en interrogeant l'activité même et cela à presque vingt ans de distance (Classes de textes, textes en classe, n° 79, 1987 ; Penser, classer. Les catégories de la discipline, n° 151, 2005), soit en privilégiant certains genres ou ensembles de textes, littéraires ou non , contribuant ainsi à élargir la légitimité des discours proposés à la lecture et à l'écriture des élèves.
    Questionner frontalement la notion de genre ' dont la fortune n'est pas à démontrer que ce soit dans les réflexions théoriques propres à nombre de disciplines en sciences humaines ou dans les programmes officiels de la décennie 2000 ', c'est essayer de proposer un point de vue un peu différent sur l'objet, en les interrogeant davantage par le biais de leurs dimensions scolaire et didactique que par leurs caractéristiques discursives. Le numéro rassemblera des contributions issues de deux journées d'étude (décembre 2005 « Le genre comme outil, comme objet, comme enjeu » à Paris 12 - Créteil, et juin 2006 « Corpus et genres : apport des grands corpus pour la caractérisation des genres scolaires » à Paris 10 - Nanterre ), car leurs problématiques proches nous incitaient à ce regroupement.
    On peut esquisser un bref rappel : le genre, en dehors des études littéraires, est tombé dans le domaine du discours depuis environ vingt ans ; on a vu apparaitre la réflexion sur sa construction et ses critères de reconnaissance depuis plus de dix ans - en témoignent les grilles qui se recoupent plus ou moins (J.-M. Adam, J.-P. Bronckart, P. Charaudeau, D. Maingueneau, F. Rastier'). Lesquelles grilles ont largement alimenté les directives officielles dans les réformes successives ainsi que les manuels, n'évitant pas d'ailleurs l'applicationnisme et la reproduction de modèles dans les activités écrites. Il semble désormais acquis, aussi bien dans les recherches actuelles que dans la vulgate pédagogique, que le genre constitue une unité discursive complexe, correspondant à une activité sociolangagière ancrée dans une culture. Citons J.-M. Adam qui, dans un numéro récent de Recherches , revient sur les modes de classification qui ont eu cours, pour clarifier sa position : « Si l'on tient à parler de 'types' au niveau global et complexe des organisations de haut niveau, il ne peut s'agir que de types de pratiques sociodiscursives, c'est-à-dire de genres (genres du discours littéraire, du discours journalistique, religieux, etc.). Un genre est ce qui rattache ' tant dans le mouvement de la production que dans celui de l'interprétation ' un texte à une formation sociodiscursive. »
    Il ne s'agit pas d'ajouter un caillou de plus à cet édifice, c'est-à-dire ni de viser une définition stable du genre, ni de modéliser des genres (cf. les travaux antérieurs de l'équipe de Genève autour du « modèle didactique du genre »). Il s'agit plutôt, en dénaturalisant la notion, de situer le genre au croisement de plusieurs cadres de réflexion qui, en définitive, posent la question de la reconnaissance et de l'« enseignabilité » des genres : non pas enseigner et apprendre des moules génériques mais enseigner et apprendre, au sein même des pratiques (écrites et orales) que constituent les genres, les conditions et les enjeux de ces pratiques.
    À cela s'ajoute que toutes sortes de genres ont maintenant droit de cité dans la classe, des plus quotidiens (la règle du jeu) aux plus élaborés issus de sphères professionnelles (l'éditorial), ce qui pose la question de leur identité générique et de leurs objectifs didactiques dès lors qu'ils font l'objet d'une transposition.

    Nous avons envisagé plusieurs pistes de travail pour ce numéro, que l'on retrouvera à des degrés divers dans les différents articles.

    • Quelles sont les catégories mobilisées pour étudier les genres ? Elles peuvent emprunter à plusieurs disciplines (littérature, linguistique, analyse de discours, rhétorique, didactique du français, sociologie, etc.) d'une part, et relever de plusieurs systèmes (scolaire, pédagogique, disciplinaire), d'autre part ; plus récemment, la linguistique de corpus, en proposant une approche empirique qui retrouve le quantitatif, pose des questions de méthodologie qui renouvellent la démarche de questionnement des genres. Articuler entre eux ces cadres d'analyse ne va pas sans tensions et contradictions ; l'appréhension des genres se situe désormais à des niveaux d'analyse multiples et changeants ; plutôt qu'une visée classificatoire qu'on chercherait à rendre unique/ unifiante, il faut admettre la création de points de vue différents sur le même objet.
    • Les usages du genre renvoient aux pratiques de référence, qu'elles soient scolaires ou extrascolaires - relevant notamment de milieux professionnels : cela implique sélection des genres et de sous-genres (prescription vs proscription), classements différents, hiérarchisations diverses des critères de reconnaissance, finalités différentes, modes d'évaluation différents. Par exemple, une « suite de texte » (genre scolaire correspondant à une pratique de classe) peut être un conte, une lettre etc., bref s'inscrit toujours dans un genre discursif ; en retour, la pratique « routinisée » codifie et transforme les normes du genre de référence ; enfin, celui-ci est diversement investi par les élèves dans l'écriture et subit des modifications qui posent problème à l'évaluation, même s'il reste reconnaissable.
    • Le contexte de production a un empan plus large que la situation dans la classe. Il va de la consigne donnée en classe au contexte extrascolaire vaste, en passant par tous les filtrages et infléchissements qu'entraine la prescription agissant à différents niveaux et différents moments : les discours institutionnels (les programmes, le manuel en usage), le discours magistral tenu en classe, les interactions maitre/élèves et élèves/élèves.
    • Une distinction est à effectuer enfin entre, d'une part, la posture du chercheur, qui analyse un objet qu'il estime homogène, en le découpant, en construisant ses corpus selon les critères pertinents pour sa recherche et en se dotant d'instruments ad hoc, et, d'autre part, la posture de l'enseignant qui, pris dans un système de normes plus ou moins stables, vise à faire faire, et cherche donc à les retrouver dans les productions. Les deux responsabilités sont déterminées et s'exercent sur des bases et des objectifs différents.
    • Pour aborder les questions posées, la première partie de ce numéro « Typologies et échelles des genres » confronte des cadrages conceptuels et méthodologiques différents.

      L'article d'Yves Reuter adopte une perspective didactique en faisant du genre un outil théorique qui se constitue dans l'interaction de trois systèmes étroitement imbriqués : le système scolaire, le système pédagogique, le système disciplinaire. Le jeu de ces trois systèmes s'actualise dans des configurations différentes. C'est ainsi que l'auteur peut distinguer entre genres scolaires (par exemple : conversation en salle des professeurs, intervention en conseil de classe) et didactiques, pour la plupart dérivés de genres extrascolaires, et qu'il s'agit de reconfigurer. Ceci, ajouté au débat sur les caractéristiques internes des textes, invite à faire des genres des constellations définissables comme les éléments d'un système de différences : ainsi la place et le statut d'un genre dans une discipline donnée (trans-, para- ou protodisciplinaire), son mode d'existence (représentations qu'en a l'élève, par exemple), son inscription dans des pratiques déterminent sa fonctionnalité. Trois axes de recherche programmatiques peuvent être dégagés: l'étude du système des genres et des pratiques au sein d'une discipline, les sources dans la constitution des genres et des pratiques, l'analyse des fonctionnements et dysfonctionnements discursifs chez les élèves en fonction du cadre générique. L'article conclut sur les difficultés méthodologiques de saisie du genre : l'échelle plus ou moins large de l'étiquette le définissant, son degré de prescription ou de proscription, son caractère permanent ou éphémère.
      C'est aussi de « genres scolaires » que traite l'article de Catherine Boré, mais la perspective est différente : les genres scolaires ne sont pas définis comme une catégorie intégrée à un cadre typologique qui les présuppose ; ils sont étudiés à travers un exemple (les genres écrits produits en classe), comme une coupe dans le système institutionnel de l'école qui les prescrit à l'aide de textes et discours situés. A la visée classificatoire et typologique se substitue une analyse interne descriptive, au centre de laquelle se trouve posée la question de corpus qu'il s'agirait de constituer comme observables. Des analyses quantitatives - dont l'article donne un exemple - pourraient alors être le point de départ de typologies, en vertu du principe empiriste selon lequel ce sont les textes qui fondent les genres et non l'inverse.
      Constatant que la conception du genre reste profondément imprégnée par l'étude de la littérature, alors même que la catégorie de genre du discours a été généralisée à l'ensemble des énoncés d'une société, Dominique Maingueneau tente d'homogénéiser les deux systèmes issus de cadres théoriques différents. Après avoir dégagé deux grands régimes de généricité (genres conversationnels vs genres institués), il s'attache aux seconds en proposant quatre modes de généricité instituée, qui diffèrent selon la relation, variable et plus ou moins contrainte, qui s'établit entre scène générique et scénographie. Cette variabilité du mode permet de distinguer par exemple entre un homme politique qui rédige un programme électoral et vise à produire un effet limité (un vote) en raisonnant en termes de moyen et de fin, et une 'uvre littéraire ou philosophique dont on ne peut savoir à quelle finalité communicationnelle préétablie elle se soumet. Le cadre proposé permet d'envisager une classification souple qui permettrait d'intégrer les genres littéraires dans le vaste ensemble des genres du discours. À la croisée des genres discursifs, scolaires, didactiques, la deuxième partie « Le genre, objet instable ou non identifié » s'attache à des phénomènes de brouillage, interférence, circulation au sein des catégories génériques, et cela sur des objets discursifs divers.
      Ainsi, Lucile Cadet examine le journal de bord d'apprentissage, dans le cadre d'une formation en FLE. « Genèse » dit-elle dans son titre, car même s'il n'est pas récent (apparu dans les années 80), ce genre demeure nouveau car non stabilisé dans ses normes d'écriture. Cet objet, malgré son appellation générique, « n'apparait pas comme un genre socialement identifié ». Paradoxe qui en fait l'intérêt, et non pour le seul analyste : l'auteure montre bien que les étudiants confrontés à la tâche connaissent l'insécurité, tout en se construisant une « représentation générique minimale » et en accédant à une logique de production personnelle. Des heurts se produisent entre les paramètres qui influencent la production (diversité des modèles rédactionnels disponibles, contexte global et/ou local) ; mais ceux-ci favorisent un « espace de liberté » dont certains étudiants s'emparent pour maintenir un équilibre ' instable ' entre écrit universitaire (d'ordre réflexif) et écrit autobiographique (centré sur l'histoire de vie).
      Dans un autre contexte d'enseignement, celui de la professionnalisation orientée vers le journalisme, ce sont les perceptions et de l'université et des professionnels qu'interroge Isabelle Laborde-Milaa. L'objet ' les genres médiatiques ' semble mieux identifié que dans le cas précédent, mais son traitement n'est pas unifié et témoigne des décalages qui peuvent exister entre les deux institutions. D'où la difficulté à didactiser ces genres, en intégrant à la fois l'imitation des routines professionnelles et la distance par rapport à elles. Ainsi, à travers les cadres théoriques et techniques respectifs, les catégories d'analyse mises en 'uvre, les discours évaluatifs, se trouvent interrogées les normes de fonctionnement des genres et les pratiques des institutions sur ces genres. L'article ne conclut pas au dialogue de sourds, car la notion de genre a sa pertinence dans les deux espaces confrontés, mais à la nécessité de travailler avec et sur ces tensions.
      Enfin, c'est le discours philosophique qu'examine le dernier article de cette partie. Malika Temmar privilégie certains énoncés au fonctionnement particulier : des énoncés brefs, du type « je pense donc je suis », jalonnent les textes philosophiques d'un même auteur (Descartes, en l'occurrence) quels qu'en soient les genres. Il s'agit, cette fois, non pas de caractériser le genre dont relève ces énoncés mais bien plutôt de suivre leur trajet d'un genre à l'autre, leur réinsertion avec ses variations formelles. Ils sont dits trans-génériques au vu de leur détachabilité, et cette circulation a un double impact : d'une part bousculer les frontières génériques au sein du discours philosophique, d'autre part interroger leur valeur de vérité. En tant que « moments argumentatifs décisifs » selon l'auteure, leur statut philosophique se trouve-t-il modifié ?
      La question de la « prescription » des genres constitue l'axe de la troisième partie. Genres prescrits par les IO, les documents d'accompagnement, les manuels ' ce qui modélise les pratiques d'enseignement, tout en introduisant de la variation. Christian Bouillon privilégie le genre scolaire du conte qu'il analyse à partir de deux éléments du contexte institutionnel : les programmes et les manuels. C'est par une analyse de contenu qu'il parvient à repérer la théorie du texte mise en 'uvre dans les programmes de cycle 3 de l'école élémentaire et de la classe de 6ème du collège, qui ont pour point commun de prescrire ce genre. L'analyse automatisée des corpus de contes et de leur encadrement didactique est effectuée dans quatre manuels récents du cycle 3 et de 6ème sur quinze critères morphosyntaxiques qui permettent de mettre en évidence des éléments de contraste : il se confirme alors que genre à enseigner et genre de référence sont très proches dans les corpus. L'article conclut sur la mise en évidence des continuités et des ruptures de l'école au collège, en particulier sur le discours didactique d'escorte, quantitativement différent aux deux niveaux, qui fonctionne comme un sous-genre ayant sa propre cohérence morphosyntaxique et lexicale.
      Partant du constat selon lequel l'apprentissage scolaire (collège et lycée) du narratif romanesque privilégie, de fait, des modèles canoniques reposant sur certaines propriétés constitutives, Sylviane Ahr propose d'élargir l'approche de la généricité. Il s'agit, dans les pratiques professorales, de s'appuyer sur les choix énonciatifs (statuts du narrateur et du narrataire) qui déterminent des postures de lecture distinctes. Cela est particulièrement net avec les romans à la 1ère personne qui forment le corpus analysé : la réflexion sur les critères ne se dissocie pas, en effet, d'une sélection des textes pertinents dans la production romanesque contemporaine. Au total, l'article promeut d'autres modes de lecture chez les élèves, afin de les rendre attentifs au « contrat de lecture » (fiction/documentaire ? identification/distance ? etc.) créé par le texte ; cela signifie aussi classer différemment les textes, en prenant en compte l'activité du sujet lecteur qui navigue dans les ruses énonciatives. L'article de Christiane Donahue clôt le numéro par une ouverture sur « Les genres d'écrit universitaires aux Etats-Unis », qui permet d'interroger, en creux, les pratiques françaises. L'article expose d'abord la progression mise en place, avec les fondements de son élaboration, depuis l'initiation à la culture de l'écrit en 1ère année vers la spécialisation disciplinaire avec ses genres spécifiques. Ce choix didactique d'une stricte partition est source de tensions dégagées par l'auteure : entre les objectifs de socialisation / de maitrise technique, entre les valeurs de référence, entre « le » genre d'écrit universitaire (largement illusoire) / la pluralité des pratiques génériques, entre les « consciences d'écriture » des étudiants. L'article conclut, entretiens d'étudiants à l'appui, à une nécessaire mise en doute de cette partition : il semblerait que c'est bien la conscience disciplinaire « qui suscite ensuite une conscience des besoins discursifs de telle production dans telle discipline », et non l'acculturation lors du démarrage à l'université.
      Où l'on voit, finalement, que les façons de travailler avec le genre sont multiples, dès lors que les recherches et les pratiques en ont étendu les définitions, les angles d'attaque, les corpus (en classe, ou pour le chercheur). La dimension didactique, par l'attention portée aux différents acteurs de l'apprentissage, a été un facteur déterminant de cette évolution. Ce qui laisse place pour d'autres numéros, au Français aujourd'hui et au-delà.

Aucun Commentaire

Commenter cet article

  • Nom *
  • Email
  • Site Web
  • Message *
  • Recopiez le code de sécurité *
  • ???
  •