Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 06
    Juil

    Les didactiques en question(s). ELALOUF M.-L., ROBERT A., BELHADJIN A., BISHOP M.-F. Note de lecture de Dominique Seghetchian

    État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation, De Boeck 2012

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    ELALOUF M.-L., ROBERT A., BELHADJIN A., BISHOP M.-F. (éds) (2012). Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation. Paris et Bruxelles, De Boeck Supérieur, Coll. Perspectives en éducation & formation (457 p., 40€). Actes du colloque de l’université de Cergy-Pontoise Les didactiques en question. État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation, 7-8 octobre 2010.

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    Par Dominique SEGHETCHIAN

    Il ne saurait être question de rendre un compte exhaustif d’un ouvrage qui présente trente-cinq articles écrits par plus de soixante auteurs. Entre le colloque qui s’interrogeait sur la pertinence même de didactiques caractérisées par leur ancrage dans des disciplines, voire de la didactique en tant que science de l’éducation, et ces actes, s’est opéré un déplacement du questionnement dont témoigne la nuance orthographique des titres de chacun. « Le message à retenir du colloque est que les didactiques sont vivantes en France » (J.-L. Martinand, p. 417), tels en sont les derniers mots. Ce qui se dessine au fil des contributions, ce n’est ni une mise en cause ni un plaidoyer, mais, pour les didactiques, une autre façon d’être plurielles en répondant à la pluralité des terrains, aux exigences sociales concernant les apprentissages, et aux évolutions institutionnelles qui mettent en cause les disciplines.  Tel est l’objet de la première partie, la plus importante, au moins quantitativement. De la seconde, nettement distincte, émerge une autre façon pour la didactique de trouver sa place en tant que discipline universitaire à l’heure de la mastérisation.

    La première partie multiplie les angles pour dresser « Un état des lieux des recherches en didactiques ». Après une trentaine d’années au cours desquelles, comme le rappelle la préface de Gérard Vergnaud, la didactique s’est affirmée en se distinguant des autres sciences de l’éducation par l’importance du contenu des connaissances. La pluralité des didactiques réside d’abord dans le rapprochement et la confrontation d’articles ancrés dans des champs disciplinaires distincts. Les épistémologies se questionnent, offrant au lecteur la possibilité d’approcher la posture d’un élève qui, avant l’accès à l’université, est confronté à cette pluralité. Toutefois, la seule didactique des curriculums ne peut suffire à répondre aux situations dans les classes et les actes du colloque de Cergy montrent que la pluralité de la didactique s’inscrit aussi dans le large développement des didactiques de l’enseignement et des apprentissages.

    Le premier chapitre vise à assoir la légitimité des recherches universitaires en didactiques curriculaires, en tant qu’elles ont « pour visée la compréhension des relations entre enseignement et apprentissages de contenus précis donnés, compte tenu de la réalité scolaire d’aujourd’hui, y compris institutionnelle et sociale. »(p. 22, Aline Robert). Il montre la capacité des didactiques, qu’elles soient synchroniques ou historiques, à se mettre en question et à évoluer. Le deuxième chapitre, analysant les « Reconfigurations des savoirs et des pratiques », nous emmène du côté des apprentissages et de leur relation à l’enseignement, montrant qu’il s’agit de donner aux enseignants les moyens de comprendre les opérations mentales des apprenants, de faire en sorte que leurs élèves passent d’un registre empirique à un registre théorique, transforment les concepts du quotidien en concepts scientifiques. Cette perspective, optimiste quant aux possibilités pour la didactique d’assurer que tous les élèves surmontent les difficultés de l’apprentissage, est tempérée par un troisième chapitre plus particulièrement centré sur les ZEP et qui révèle, du côté des enseignants, les tensions entre « logique de socialisation et logique d’apprentissage », « vigilance didactique et paix scolaire » (p. 100).  Du côté des élèves, les contributions de Stéphane Bonnéry ou Catherine Delarue-Breton montrent que des dispositifs didactiques sont susceptibles de faire obstacle à la compréhension par les élèves des enjeux d’apprentissage.

    Les quatre chapitres suivants mettent au jour d’autres sources de questionnements. Le politique et l’institution interviennent dans l’enseignement des langues avec par exemple le choix de l’apprentissage précoce de l’anglais, sans accompagnement, comme si le jeune âge suffisait à faire des bilingues, ou avec l’imposition par le CECRL[1] d’une « méthode » qui déstabilise la didactique d’autres langues telles l’espagnol axée sur la dimension culturelle plutôt que sur la tâche. Magali Hersant montre comment PISA, et non plus Bachelard, devient la référence de « la » démarche scientifique tandis que l’exemple de la géographie est l’occasion de conduire un questionnement par les sciences humaines. Enfin, cette première partie s’achève par l’analyse de l’impact des technologies numériques et de l’interdisciplinarité, en envisageant l’émergence d’une « interdidactique ».

    La seconde partie s’interroge sur les rapports entre « Recherches et formation : quoi et comment transposer ?». Dans une mise en abyme, des formateurs s’interrogent sur les moyens d’établir des passerelles avec les ressources que les jeunes professeurs vont rechercher en priorité hors de la formation et sur les moyens de déplacer leur attention « de leur propre pratique d’enseignement vers l’analyse des processus cognitifs et langagiers en jeu dans les tâches qu’ils proposent, sans occulter les contraintes institutionnelles et celles liées au métier (…) » (Marie-Laure Elalouf, p. 284). Ces difficultés à permettre à des enseignants débutants de se professionnaliser se retrouvent par exemple dans les stratégies à mettre en œuvre pour travailler leurs représentations de la littérature de jeunesse, domaine que de surcroit ils ignorent pour l’essentiel, afin de la constituer en discipline dont ils s’emparent pour la didactiser alors même qu’ils la découvrent dans son historicité et son renouvèlement permanent.

    Le chapitre 4, quant à lui, traite des « Reconfigurations didactiques appelées par la formation de professeurs polyvalents et bivalents ». C’est que les jeunes professeurs des écoles doivent apprendre comment permettre à leurs élèves une entrée en littératie à travers l’ensemble des matières enseignées. Comment proposer des tâches répondant à la pluralité des objectifs et n’en occultant pas les enjeux spécifiques? Telle est la problématique qui se dégage de l’ensemble des contributions consacrées au premier degré. Quant à la contribution d’Anissa Belhajin, Suzanne Boudon, Chantal Donadey, Maryse Lopez et Régis Signarbieux, elle montre comment la bivalence, imposée par le statut des enseignants des lycées professionnels, fonde une professionnalité spécifique et agit sur les contenus et les modalités d’enseignement : « Motivée par un thème fédérateur, par le besoin de travailler les compétences transversales ou étroitement liée à la pédagogie du projet, la bivalence est très souvent définie par des exemples d’activités » (p. 356).

    Comment, dans le cadre de la mastérisation, faire de l’initiation à la recherche un cadre professionnalisant ? Parfois affleure le tableau d’un état inquiétant de la formation : « même pour les stagiaires coopératifs, la stratification au cours de l’année de documents institutionnels en évolution (grilles, indicateurs, principes…) est restée troublante. » concluent C. Bertagna, M Besnard, M. Juzeau, P. Moinard et F. Perraudin (p. 379). Leur article permet au lecteur de suivre la démarche de formateurs qui innovent non dans la tension raisonnée vers un objectif mais sous la pression des restrictions imposées à la professionnalisation, comme pour « professionnaliser quand même ». Projection au sein de la sphère éducative du management par la contrainte. Mais comment ne pas se demander, au-delà de ce que rapportent les auteurs, si ces enseignants troublés ne sont pas aussi des enseignants troublants ?

    Cette somme peut se lire, selon le parcours ci-dessus, pour construire une nouvelle définition de la didactique en réponse aux interrogations générées par les multiples réformes du système scolaire qui « détruisent les cadres historiques des curriculums du primaire et du secondaire […] au bénéfice de fins exprimées sans contenus », réformes avec lesquelles « les points de vue plus “pédagogiques” peuvent se trouverluses "us"ques des curriculums du primaire et du secontaire"la différence orth sur question/s en consonance » (Jean-Louis Martinand, p.416). Uni-dessus,n des langues coordinatrice deprofessionnels qui une passionnante communication de Max Butlen, Lydie Laroque et Béatrne didactique, aussi, suffisamment forte pour se confronter aux autres sciences humaines, comme en témoigne le titre d’un article d’Aline Robert : « La didactique des mathématiques : émergence d’un champ autonome au carrefour des mathématiques, de la psychologie et des sciences de l’éducation », aussi bien que l’article de Roland Goigoux consacré à la didactique du français.

    La piste interdidactique ouvre sans doute d’intéressantes perspectives pour permettre aux enseignants de répondre aux besoins d’interdisciplinarité. Serait ainsi légitime une lecture qui confronterait les didactiques pour découvrir des différences d’approches qui peuvent « faire penser », dans le prolongement de ce qui est présenté, et aider à innover : par exemple quels « objets organisateurs » (Joël Bisault, p. 58-68, à propos des sciences), pour enseigner la littérature, la grammaire, le lexique… ? On peut encore observer comment les autres disciplines interrogent le français : ainsi, que faire de la référence récurrente de nos collègues de mathématiques à la notion de « langue naturelle » voire de « langues-cultures naturelles » (p. 271) ?  Enfin, il est intéressant de voir comment une discipline telle que l’histoire s’approprie les derniers développements de la rhétorique et de la linguistique afin d’envisager un enseignement de l’histoire qui sorte cette discipline d’une « logique de communication » pour la faire entrer dans « une logique d’apprentissage »  (Didier Cariou, p. 69 et sq.). La large place réservée à l’école élémentaire et tout ce qui invite à un élargissement de la professionnalité enseignante relève aussi de cette veine. Toutefois, il faudrait veiller à ce que cette nouvelle piste n’ouvre pas une fenêtre pour de nouvelles dérives technicistes.

    On trouvera enfin dans cet ouvrage de riches contributions venues de notre domaine. Signalons celle de Sylviane Ahr, Patrick Joole et Françoise Ravez  sur leur recherche-action concernant la place et le rôle du carnet de lecteur de littérature et du débat interprétatif et son effet sur les pratiques enseignantes ainsi qu’une passionnante communication de Max Butlen, Lydie Laroque et Béatrice Martin sur le « pacte pour l’interprétation » conclu entre Lettres et Arts.

    Cet ouvrage, qui répond à un besoin des formateurs de faire le point en une période de crise et de doute, contient des pépites utiles à ceux des professionnels qui ne se laisseront pas rebuter par son « encyclopédisme ».

    Présentation sur le site de l’éditeur

     

     



    [1]Cadre européen commun de référence pour les langues publié par le Conseil de l’Europe en 2001.

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