Association française pour l’enseignement du français

On enseigne le français ailleurs

  • 29
    Jan

    Le FLE éclaté ou les manuels à cornes, de Régine DAUTRY-NORGUET

    Le billet didactique du français langue étrangère

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    Le FLE éclaté ou les manuels à cornes,
    de 
    Régine Dautry-Norguet

     

    Quand j’ai commencé dans la carrière du FLE, on avait des manuels ainsi faits : on tournait les pages toujours dans le même sens, de gauche à droite, selon l’ordre des chiffres, et d’une page à l’autre. Figurez-vous qu’à la page suivante,  on avait simplement  la suite de la page précédente.  Mais oui ! C’était l’époque bénie du SGAV[1] et du manuel linéaire.  Aujourd’hui, nos manuels sont en pleine action[2]. On ne dit plus « allez à la page suivante » ou « tournez la page ». C’est plus acrobatique,  vous allez voir.

    Il y a d’abord l’épreuve des doubles pages déjà pleines de petits bouts de toutes les couleurs et dans tous les sens,  incorporées à une leçon, dépendant d’une séquence,  subordonnées à  un module, raccrochées à un petit coup de culture, solidaires enfin d’une évaluation  pleine de trous.  Au troisième millénaire, on dit donc « prenez », « allez à », « voyez », « reportez-vous à », « cherchez » ou pire encore « revenez ». Voici ce que ça donne :


    « Prenez le dialogue à la page 8. »

    Les étudiants ouvrent leurs livres à la page 8.

    « Regardez page 113 le  point de grammaire qui correspond au second paragraphe. »

    Les étudiants courent vers la 113 et gardent la 8 de leurs portables, iPod ou traductrices.

    « Voyez que cela correspond exactement aux outils qui nous sont proposés page 98. »

    Ça devient difficile : les étudiants repartent en arrière.  Li marque la 98 avec son second portable, Giovanni y coince sa barre chocolatée, Hans y met son écharpe rouge à plat et Maria Dolorosa s’écrase sur la table et pique les pages 8 et 113de ses deux coudes écartés.

    « Reportez-vous aux compétences visées à la page XXVIII. »

    Les étudiants trouvent la XXVIII du menton et y font une corne.

    « Allez à l’évaluation intermédiaire de la page 140 ».

    Les étudiants se lèchent les doigts et font une corne à la page 140.

    « Cherchez la correction phonétique qui se trouve page 78. »
    Les étudiants trouvent la 78 on ne sait comment et y font une corne.

    Etc.

     

    Evidemment, à défaut de réinventer le manuel linéaire dont on tourne les pages, on pourrait inventer le tapis-FLE : on viderait dessus les tiroirs de la commode du CECRL[3], les tiroirs où sont bien rangés tous les niveaux de compétences,  il y en aurait  partout dans tous les sens, on rigolerait bien, ça s’éparpillerait par petits bouts de savoirs atomisés.

     

    Entre nous, pédagogiquement parlant, c’est exactement la même chose que les manuels éclatés, à la seule différence que les étudiants s’allongeraient dessus. Comme ça, il n’y aurait pas de corne. On leur dirait : « Débrouillez-vous ! ».(2002), Cours de didactique du français langue étrangère

     


    [1] (SGAV) Méthodologie structuro-globale audio-visuelle.

    [2] Cf. l’approche pédagogique actionnelle.

    [3] CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues), Conseil de l’Europe, Paris, Didier, 2001.

1 Commentaire

  • AIT ELDJOUDI

    07 Fev 2013 à 20:16

    Tout d’abord merci pour ces idées et surtout pour l’article que je viens de lire avec beaucoup d’intérêt. Je voudrais, par ailleurs, partager quelques inquiétudes concernant l’avenir -ou dois-je dire -le devenir de l’école .Est-ce les "bons" manuels de l’époque ou la méthode appliquée par les enseignants qui étaient à l’origine du succès de l’école d’il y a quelques années ou y avait-il une magie quelconque?
    Je pense que les résultats étaient meilleurs par rapport à ce que l’on note aujourd‘hui sur les bulletins de nos élèves et personne ne peut prétendre le contraire. Pourquoi avons-nous abandonné une approche qui permettait un enseignement correct et efficace. L’apprentissage, comme on se plait tous à le chanter, n’a malheureusement pas réalisé des performances plausibles. L’école n’est-elle pas encore à la recherche de modèles, par ci, par là, non pas pour cerner la problématique de l’échec et celle du décrochage scolaire mais pour accompagner le progrès et la modernité sans se soucier de l’avenir de nos enfants? Certes, à une époque on ne pouvait pas se servir dune perceuse ni surfer sur un clavier d’ordinateur comme les « génies » de nos jours mais on pouvait facilement rédiger une lettre, à la demande du père ou de la mère, une fois à la maison. On pouvait aussi faire des achats et retourner la monnaie convenablement. De nos jours peu d élèves seulement, même ceux d’un niveau supérieur, sont capables de le faire et sans difficultés majeures. Nos élèves, ont-ils oublié les règles de l’orthographe, celles de la grammaire ou le calcul mental n’est pour leurs enseignant qu’un simple exercice de réchauffement de l’esprit dont on peut s’en passer?
    En définitive, comme nous l’a montré l’histoire une civilisation est souvent bâtie sur les décombres de celle qui l’a précédée. Pourquoi ne pas appliquer cette règle à l école. Les États dépensent d énormes sommes pour assurer un avenir meilleur aux enfants par l’école et l’instruction. Mais en faisant le bilan, on se rend compte que cette somme d’argent n’a pas servi à grand-chose. Pourquoi ne pas regarder la réalité en face et retourner aux vielles méthodes, celles par lesquelles beaucoup d hommes et de femmes, de toutes disciplines, sont devenus célèbres?

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