Compte-rendu AFEF du Colloque :
Langue française et cohésion sociale : Enjeux actuels et stratégies d’action
Mercredi 18 octobre 2017 au Conseil économique, social et environnemental (CESE)
Organisé par le Délégué interministériel à
la langue française pour la cohésion sociale
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Ce compte-rendu de l’AFEF, sans bien sûr prétendre être totalement exhaustif, tâche de relater et refléter l’ensemble des débats qui se sont tenus durant le colloque.
Quelques remarques ou questions apparaitront probablement à la lecture, que nous vous livrons ici.
- Plusieurs fois, des intervenants y soulignent l’importance de l’engagement de l’Éducation nationale et le rôle qu’elle devrait jouer. Le Ministère de l’Éducation Nationale n’était hélas pas représenté dans les débats, bien qu’il figure parmi les ministères concernés dans le décret qui fixe la mission de la délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale (14 février 2017, art. 5). La seule représentation de l’enseignement scolaire, plus largement qu’au niveau français, était assurée par une présence importante de la FIPF, et notamment de son président.
- Les références au CECRL et aux préconisations du Conseil de l’Europe, qui ont émaillé les débats, auraient peut-être mérité une explicitation. En effet, les niveaux et les documents produits depuis 40 ans, notamment la plateforme pour les langues de scolarisation, citées comme une évidence par certains intervenants, n’en sont probablement pas une pour tous, notamment dans l’Éducation nationale.
- Les interventions et débats montrent des bonnes volontés, des initiatives, mais un manque de moyens et de coordination. D’une part, l’apprentissage du français pour les néo-arrivants repose sur des bénévoles, d’autre part, le français pour leurs enfants à l’école et plus largement pour permettre à tous de progresser est laissé hors champ par l’absence de participation du ministère de l’Éducation nationale à la mission interministérielle.
Viviane Youx
Introduction
Patrick Bernasconi, président du CESE
L’accès de tous à la lecture et à l’écriture est l’enjeu majeur pour l’accès de tous au travail. Une des conditions de la cohésion sociale est la maitrise de la langue française pour répondre aux enjeux démocratiques et européens de déplacements de population. Le CESE organise cette journée pour réfléchir à des préconisations d’action afin d’améliorer la cohésion sociale. De la langue française à la francophonie, le pas est à franchir, et le CESE organisera une concertation avec l’OIF, dans le cadre de la saisine en cours : « Le rôle de la France dans une Francophonie dynamique »[1].
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Présentation de la journée par l’organisateur
Thierry LEPAON, délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale, président de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme
Le CESE produit des pistes d’action pour notre pays, une grande proportion d’entre elles étant suivies d’effet.
La langue française contribue à la cohésion sociale, même si la dimension passionnelle de la langue peut rassembler autant que diviser. La langue est le moyen de communication le plus abouti d’une communauté humaine. Il est utile de rappeler combien la maitrise d’une langue commune contribue à l’unité. Les fractures de la société française remettent en cause l’unité de la nation. C’est à l’État que revient l’obligation d’enseigner la langue française à tous ceux qui en ont besoin et le demandent.
La loi Toubon (1994) a été affirmée en 2014 comme fondatrice de l’unité nationale, et incontestée. La maitrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des engagements nationaux. La francophonie est présente aux avant-postes dans les départements ultramarins, le français est langue officielle du comité olympique international.
Dans le cadre des migrations, la problématique de la langue française est fondamentale dans la politique d’intégration.
Lutter contre l’illettrisme est aujourd’hui un impératif social, mais aussi économique. L’accent doit être mis dans les entreprises sur la maitrise de la langue française et des outils numériques, et les fonctions publiques ne sont pas épargnées par les lacunes dans ces domaines.
Les centres ressources illettrisme sont très actifs auprès des familles.
Et, dans les régions, les CESER sont mobilisés autour de la lutte contre l’illettrisme.
Thierry Lepaon articule sa feuille de route autour de 4 grands thèmes :
- Coordonner et évaluer les politiques publiques sur la maitrise de la langue française au sein du conseil d’orientation et d’évaluation de la délégation interministérielle ;
- Mener une action préventive auprès des jeunes et des salariés (socle commun, journées défense citoyenneté, plans sociaux pour les salariés), besoins en compétences clé ;
- Renforcer notre formation linguistique pour que les demandes ne restent pas sans suite, valider et certifier les compétences acquises ;
- Lever les freins, le fossé linguistique du langage administratif.
En conclusion, Thierry Lepaon, qui a fait des propositions au premier ministre pour réduire l’illettrisme, rappelle que le secteur associatif, principal opérateur en situation de proximité, a été mis à mal depuis plusieurs années. Il y a 40 ans, le père Wresinski fondait ATD Quart Monde avec une politique contre l’illettrisme.
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Animateur de la journée : Philippe Lefait, France Télévisions – Les mots de minuit
Il manque un mot dans ce qui est dit depuis ce matin, c’est « affect », et notamment la honte. Dans l’illettrisme la honte est très présente. Sara Forestier dans son prochain film « Aime » montre la place de la honte dans l’illettrisme. Dans la nécessité de penser l’inconscient collectif, il rappelle La Cérémonie, film de Claude Chabrol, dans lequel les patrons sont tués par des illettrées, dans la lignée des sœurs Papin.
Intervention enregistrée de Jacques Toubon
Il ne faut pas oublier que loi de 1994 a été promulguée le 4 aout[1], le jour anniversaire de l’abolition des privilèges, car le trésor de la langue française n’a pas de privilèges. La loi a été bien appliquée dans certains domaines, les travailleurs sont protégés pour pouvoir parler le français, la consommation a imposé des modes d’emploi en français ; mais dans d’autres domaines, publicité, transports aériens, on a vu fleurir la langue anglaise, même quand elle est inutile, parce qu’elle est plus vendeuse. S’il n’y avait pas eu la loi de 1994, où en serions-nous ? La loi ouvre la porte au plurilinguisme, elle évite qu’une seule langue, la langue de l’ordinateur, s’impose. La multiplicité des langues, la traduction, portent la richesse de l’échange. Le danger est que le français soit remplacé par une sorte de jargon dans lequel se retrouvent les technophiles, mais dans lequel les plus démunis sont perdus. C’est pour eux que le travail sur la langue française a une portée immense, sociale et politique. Se battre pour la langue française, pour qu’elle soit employée et bien employée, c’est travailler pour la république.
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Table ronde – Francophonie, Outre-mer et diversité linguistique
Bernard Cerquiglini, Recteur honoraire de l’Agence universitaire de la francophonie (ancien délégué général à la langue française – DGLF)
PL - Quel constat faites-vous aujourd’hui de cette loi qui a vingt-cinq ans ?
BC - La francophonie c’est l’extension au monde de la loi de 1994. Elle définit un républicanisme de la langue. Jacques Toubon a cité le 4 aout. Pour nous la langue n’est pas un marqueur de classe, elle s’inscrit dans une perspective de solidarité, elle a d’abord été un outil de développement. La francophonie est un projet politique. La langue nous fédère. Nous partageons des valeurs, des moyens de faire du français un moyen de développement. La francophonie est une géographie mobilisée en politique, dans le cadre du plurilinguisme, du multilinguisme mondial. Il y a une intelligence du multilinguisme dans laquelle la francophonie joue un rôle important. La francophonie est consensuelle, elle est une cohésion sociale, c’est une appartenance internationale. Les appartenances doivent être multiples, sinon ce sont des clôtures. La France a deux appartenances, l’Europe et la Francophonie. Il faut se sentir francophone comme on se sent européen. La France est certes bailleur de fonds de la francophonie, mais les Français se sentent-ils francophones ? Pourquoi la francophonie est-elle désinvestie par les élites politiques ? Elle a été beaucoup trop patrimoniale, elle doit être sociale.
Loïc Depecker, Délégué Général à la langue française et aux langues de France
PL. Quel constat fait-on, quand on est délégué de la DGLFLF, d’une francophonie « dynamique » ?
LD. La semaine dernière, lors d’un colloque du CESER IDF, une convention a été signée pour un plan de lutte contre l’illettrisme. La Loi de janvier 2017 rend le français éligible à la formation professionnelle. L’idée est de développer une francophonie des territoires, les Français ont toute une série de liens ; cette francophonie des territoires est une francophonie populaire (festivals : du Limousin, de Marennes…) Les Français doivent avoir davantage conscience qu’ils sont des francophones dans la Francophonie. La Francophonie n’est pas une extension de la France.
Marie-Béatrice Levaux,rapporteure de l’avis CESE « Le rôle de la France dans une francophonie dynamique ».
En 2009 le CESE avait déjà émis un avis, mais à l’époque, la francophonie était plutôt la culture. Certes la francophonie c’est la culture, mais pas seulement, c’est d’abord la langue. Le 20 mars, le CESE s’ouvrira à la francophonie des citoyens. La France a besoin de francophonie, et la Francophonie a besoin de la France. Les politiques se sont beaucoup éloignés de la francophonie, par désintérêt. L’espace international francophone attend la France, mais la francophonie ne se résume pas à la France. Nous devons arriver à développer l’idée que la francophonie est un sujet moderne, qu’elle doit sortir des relents de colonialisme.
Un constat : la francophonie est sortie de la terminologie ministérielle, elle n’a pas de ministère ni de secrétariat d’État. La perte d’influence de la langue française est une réalité, il faut reconstruire une autre vision de la francophonie dans le monde. Dans un certain nombre de pays, le fait de porter le français comme 2ème langue est un vrai sujet, mais il faut ensuite apporter des moyens. Pour le Canada et le Québec, la francophonie est un sujet politique international ; pourquoi pas en France ? Il est intéressant de questionner l’espace francophone européen. Les domaines traditionnels de la francophonie mettent l’éducation au centre ; si on ne porte pas la valeur de l’éducation, notamment des petites filles sur le continent africain, on n’avancera pas. Il y a d’autres défis, démographiques, économiques et numériques. Francophonie et mondialisation, c’est une autre manière de regarder le monde. La visibilité, la perception par les citoyens de la francophonie doit être renforcée ; la France est le seul État francophone européen où il n’y a qu’une seule langue officielle, et ça ne se voit pas. Aujourd’hui la politique francophone de la France souffre d’un déficit d’intérêt. Entend-on francophonie et langue française de la même manière ?
Jean-Marc Defays, président de la FIPF
Ce colloque donne l’occasion à la FIPF d’apporter sa contribution sur ce sujet. Elle apporte sa solution aux questions posées précédemment, concernant l’enseignement. Il faut rendre hommage à tous ceux qui sur le terrain militent en faveur de l’enseignement du français. Il y a une énergie et un réseau organisé : en associant les personnes qui travaillent sur le terrain avec les institutionnels on peut développer des actions. La francophonie de demain se prépare aujourd’hui dans les classes.
PL. Quelle demande de français sur le terrain ?
JMD. Les demandes sont surtout d’un appui logistique. On va manquer bientôt cruellement de professeurs de français. Le monde de demain se construit aujourd’hui dans les salles de cours. Il est important de promouvoir et aider les enseignants de français, il faut valoriser ce métier d’enseignant. Dans beaucoup de pays, il relève du militantisme. On est toujours obligé de développer un plaidoyer vers les parents, les directeurs, les institutionnels. Dans certains pays la francophonie est associée à quelque chose de réservé aux initiés, comment faire évoluer cette idée ? Ce n’est pas la même chose de parler de français langue internationale et de français langue de la francophonie. L’avenir de la Francophonie se joue aussi dans les pays qui ne sont pas francophones.
Question de conclusion
PL. À quelles conditions la francophonie peut-elle devenir dynamique, voire politique ?
LD. Dans les Outremers, le français n’est pas toujours langue première, il y a un enjeu majeur d’éducation, pour que les enfants soient accueillis à l’école dans leur langue, et s’acclimatent peu à peu au français.
BC. Trois adjectifs : moins diplomatique, beaucoup plus sociale (projets concrets), par là même elle sera politique.
JMD. Que la langue française ne soit pas parlée seulement dans le monde mais par tout le monde ; il faut lutter contre le stéréotype de la difficulté de la langue française, elle ne doit pas être réservée à des usages nobles, on peut se risquer à l’utiliser même si on ne la parle pas parfaitement.
MBL. C’est en train de bouger, les jeunes reviennent. Aujourd’hui l’espace international francophone pèse dans l’économie mondiale. À l’intérieur de la locomotive francophonie, il y a plein de wagons.
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Table ronde – Travail, immigration et langue française
Didier Leschi,directeur de l’office français de l’immigration et de l’intégration
Il faut rappeler que notre pays a pris beaucoup de retard en termes de langue française, pendant longtemps le patronat ne se préoccupait pas de cette maitrise chez les migrants. Et nous continuons à le payer. Une partie des immigrants parlait français, mais plus ou moins bien. La loi de 2016[2] revient au nécessaire apprentissage du français, mais nous sommes en-deçà de ce qui se pratique dans beaucoup de pays.
Il faut collectivement mieux réfléchir à la place du français dans notre « identité » nationale. Il faut renforcer l’apprentissage du français parce que c’est un moyen important de participer à la citoyenneté résidentielle ; l’apprentissage du français est indispensable pour que les nouveaux migrants puissent mieux s’organiser dans la société française. La durée de la formation linguistique minimale vient d’être allongée de 200 à 240h.
Louis Gallois, président de la fédération des acteurs de la solidarité
L’illettrisme est un obstacle à l’emploi pour une partie des Français, nous devons faire attention à ne pas traiter seulement le problème des migrants, sinon les Français pourraient y voir une discrimination. La maitrise de la langue dans le pays où on arrive est un facteur indispensable à l’intégration dans ce pays. L’apprentissage du français est trop tardif, il n’est offert qu’à ceux qui obtiennent un titre de séjour. Louis Gallois demande qu’il débute dès l’arrivée sur le sol national. Ce n’est jamais perdu, pour une personne, que d’apprendre une langue. Actuellement, l’apprentissage est totalement confié au bénévolat, on a affaire là aux bonnes volontés, pas aux spécialistes. L’apprentissage apporté aux réfugiés est insuffisant en quantité (200 h), et n’est pas ciblé sur le travail. Comment des personnes qui arrivent trouvent-elles un travail ? L’apprentissage du français est un investissement productif pour notre pays, il faut accélérer l’apprentissage du français payé par l’État dès la demande d’asile ; tout ce qui lie l’apprentissage du français avec la formation professionnelle est extrêmement motivant ; c’est pourquoi il faut allonger la durée de la formation, il faut 400 à 600 h pour apprendre le français ; l’apprentissage du français se fait dans une perspective globale d’intégration, d’hébergement, d’accompagnement des publics réfugiés ; renforcer les moyens d’interprétation dans les services publics.
Stéphane Foin, directeur adjoint du CIEP
Il explique le rôle du CIEP dans la formation des professeurs étrangers. L’État fait plus pour l’intégration par la langue, même si c’est insuffisant. Il faut former beaucoup plus les associations qui encadrent, avoir des parcours bienveillants, évaluer selon des compétences.
Pascale Gérard, directrice des partenariats et de la diversité de l’AFPA
L’AFPA a été créée par le Conseil national de la résistance. Elle a toujours intégré par le travail. Soucieuse de l’accueil des personnes migrantes, elle s’est rapprochée du ministère de l’intérieur pour proposer des lits disponibles, notamment lors du démantèlement de abris de Calais. Une prise de conscience s’est faite que ces personnes, même celles ayant un apprentissage du français, ne réussissaient pas. L’AFPA a proposé de compléter cet apprentissage par un programme à visée professionnelle. Une expérience, avec soutien du préfet et des branches professionnelles, a permis à un groupe de réfugiés de réorienter leur projet vers la France, d’apprendre non seulement le français mais aussi à lire et écrire, et d’être accompagnés vers l’insertion. Tous ont réussi leur parcours. L’espoir est de développer et d’étendre ce projet expérimental, HOPE. On ajoute 400h aux 240h réglementaires. Le problème n’est pas celui du contrat de travail (les contrats sont là, les entreprises jouent le jeu), mais l’AFPA a du mal à trouver les personnes à former, tant on a du mal à connecter les organismes.
Jean Grosset, CESE, rapporteur de l’avis sur les travailleurs détachés
Les travailleurs détachés ne sont ni des réfugiés ni des migrants, ils ne vont pas se fixer en France, leur situation est celle de « prestation de service ». La clause Molière ajoute une clause d’obligation de connaissance de la langue française, qui ne tient pas pour les situations de prestation de service. Ce n’est pas la même chose qu’une situation d’intégration. L’argument de concurrence déloyale n’a pas à voir avec la connaissance de la langue française. La question qui se pose est celle des interprètes, de l’accès à des syndicalistes qui puissent les aider.
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Intervention
Aurélien Taché, parlementaire en mission sur l’intégration des étrangers en France auprès du ministre de l’Intérieur
L’intégration se fait par le travail, et nécessite l’apprentissage de la langue française.
Aurélien Taché insiste sur la nécessité de coupler formation professionnelle et apprentissage du français. L’intégration doit passer par : langue, emploi, formation, accès aux services publics, pour donner sa chance à chacun[3].
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Table ronde - Lutter contre l’illettrisme : un impératif économique et social, des stratégies nationales à renforcer
Marie-Claire Carre-Gee, présidente du conseil d’orientation pour l’emploi
Illettrisme n’est pas nécessairement synonyme d’exclusion sociale, 60% des personnes en situation d’illettrisme sont en situation d’emploi. Dans les « compétences de demain », les savoirs de base se rassemblent dans 3 groupes de compétences : numériques de base, numéracie-littéracie, compétences sociales et professionnelles. Concernant les compétences en numéracie-littéracie, les lacunes existent quel que soit le niveau d’emploi. Les emplois les plus vulnérables sont autour de 10-15% peu ou moyennement qualifiés, dans les secteurs industriels. Il y a urgence à faire acquérir les compétences de base, parce que l’ampleur des besoins est massive, et les métiers vont énormément changer d’ici 15 ans. La politique de remédiation implique l’Éducation nationale, l’État a une responsabilité évidente, l’entreprise aussi parce que des compétences n’ont pas été entretenues en situation de travail. Un Grenelle des compétences est recommandé. L’exigence est que les actions soient très professionnelles, longtemps on s’est déchargé sur des bénévoles sans leur dégager de moyens pour la formation, la bienveillance ne suffit pas, le professionnalisme comprend la bienveillance.
Michel Yahiel, commissaire général de France Stratégie[4].
Un rapport d’il y a 10 ans, encore valable, fixe comme objectif de réduire de moitié en dix ans le nombre de personnes en situation d’illettrisme. Il faut donner à voir ce qui va se passer si on ne le fait pas, des opportunités nouvelles qui s’offrent à la société française ne seraient pas au rendez-vous. La première catégorie d’emplois à l’horizon 2020-22 est de services, les prérequis seront beaucoup plus importants qu’aujourd’hui.
Jean-Luc Placet, PDG d’IRDH et associé à PwC consulting
Il précise qu’il est aussi président de l’EPIDE[5], organisme public de réinsertion. Les entreprises sont conscientes de la question, le problème est l’accélération de la mutation des emplois, les entreprises ne savent pas comment faire. Il va falloir mettre en place une politique, la république est en danger.
Cédric Puydebois, sous-directeur des politiques de formation et du contrôle à la DGEFP
L’action de l’agence de lutte contre l’illettrisme a été louée par la Cour des comptes. On trouve au bas de l’échelle des qualifications ceux qui ont mal appris, puis ceux qui ont désappris. Un plan a été mis en place en 2016 sur les formations aux connaissances de base, 76000 personnes ont été formées. C’est un sujet d’engagement et d’impulsion au niveau local.
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Table ronde – Les stratégies d’action régionales et locales
Fadela Benrabia, préfète déléguée à l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis
La Seine Saint Denis est un département où les enjeux d’appartenance à la communauté nationale vous éclatent à la figure. Les ⅔ de la population sont liés à l’immigration. 12 000 personnes entrent chaque année, ⅔ de ces primo arrivants se voient prescrire une formation en langue afin d’arriver au niveau A1 qui leur permet de prendre leur place dans la communauté nationale. Le département va vivre des bouleversements énormes dans les prochaines années. L’offre d’opportunités nouvelles dans les 10 prochaines années ne doit pas laisser sur le bord de la route les personnes les plus fragiles. Y a-t-il une politique publique de la langue française ? Y a-t-il un droit commun de la langue en France ? Son rôle en tant que préfète déléguée est de faire que toutes les politiques convergent pour aider les personnes, beaucoup d’offres existent, mais en même temps on ne fait pas grand-chose par manque de coordination entre les offres. Un grand nombre de dématérialisations éloignent du besoin de parler la langue, et dans un territoire où beaucoup de langues sont parlées, beaucoup de personnes peuvent passer des journées entières sans avoir à parler français ! Comment des administrations, des services publics s’assurent qu’ils peuvent être bien compris par les usagers ? Il ne s’agit pas de dégrader la langue, mais de s’assurer que la langue sert à transmettre les informations.
Jean-Karl Deschamps, secrétaire général adjoint de La ligue de l’enseignement et conseiller au CESE
On voit le fait associatif comme un espace où les gens se rassemblent autour d’une activité, mais l’associatif c’est d’abord des gens qui se rassemblent, font du commun, répondent à l’objectif d’une société solidaire, républicaine. Cela fait 150 ans que la Ligue fait de la lutte contre l’illettrisme, à travers la lutte contre les inégalités. Y a-t-il des époques où les choses ont été plus faciles, où l’approche était plus collective ? Il ne fait pas partie de ceux qui pensent que c’était mieux hier, la question est comment nous faisons pour faire mieux ensemble. Lutter contre l’illettrisme c’est lutter pour la démocratie. La personne doit être abordée dans son entier, sous toutes ses facettes.
Hervé Hernandez, Directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme
Il repart de la définition de l’illettrisme : des adultes qui ont été scolarisés et ne savent pas utiliser la langue pour les tâches de la vie quotidienne. Les données sont disponibles grâce aux journées civiques en métropole et en outremer. L’Agence porte une méthode de travail pour faire reculer le problème de l’illettrisme, en contractualisant des actions, des services et des partenaires. C’est une organisation interministérielle au niveau national, c’est aussi une organisation régionale avec des correspondants, c’est une organisation partenariale qui fédère de nombreux partenaires. L’agence a repéré des bonnes pratiques dans les régions pour les diffuser.
Cécile Parent-Nutte, chargée de mission illettrisme Hauts de France, ANLCI[6]
Il y a un défi à relever dans cette région, la 2ème région la plus jeune de France, avec des réalités très diverses. La stratégie est d’aller vers les personnes en besoin, d’utiliser les Journées défense citoyenneté, d’utiliser le téléphone qui est le premier moyen de communication des personnes en situation d’illettrisme. La politique de prévention et lutte contre l’illettrisme est placée auprès du préfet de région, et le choix est fait d’un lien entre tous les services de l’État.
Danielle Aspert, présidente du réseau national des professionnels des centres ressources illettrisme et analphabétisme
Une quarantaine de structures existe sur le territoire, sur des territoires géographiques divers, avec un maillage très fort de l’ensemble du territoire.
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Table ronde – Le regard des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER)
Laurent Degroote, président des CESER de France
La saisine des CESER sur la langue et la cohésion sociale est une première, c’est en effet la première fois qu’un ministre, Patrick Kanner, a saisi les CESER en octobre 2016. Habituellement, seuls les conseils régionaux, d’habitude (ni les préfets ni l’État) peuvent saisir les CESER, et ils le font en général sur le budget, pas sur un sujet de société. Les CESER sont les représentants de la société civile, des citoyens, et leur responsabilité est d’éclairer les représentations régionales sur différents domaines. La saisine sur la langue et la cohésion sociale, quoi qu’exceptionnelle, va bien dans ce sens. Le rapport[7] est accessible en ligne.
Quelques témoignages émanant des CESER en régions :
CESER Ile De France. L’IDF est très concernée et très touchée par l’illettrisme. Des rencontres régionales ont été organisées la semaine précédant le colloque. De grands engagements apparaissent, mais chacun reste dans sa sphère, ce qui fait apparaitre la nécessité d’une coordination. C’est la première région d’accueil d’immigrants. C’est aussi la première région en présence d’enfants de moins de trois ans, d’où l’intérêt de développer la prévention primaire. Un Francilien sur deux en difficulté avec l’écrit travaille, d’où l’importance aussi de s’occuper du monde du travail.
CESER Centre Val de Loire. Le temps a été court pour rendre le rapport. Il y a une culture de travail sur la langue française, un maillage, néanmoins des difficultés existent. Des points de vigilance ont été soulignés : l’insuffisance des moyens, le manque de visibilité (avec la juxtaposition de dispositifs), la nécessité de l’autonomie. Une question est à souligner, la formation des professionnels ; quand on dit qu’il faut former des acteurs bénévoles et professionnels, quelles sont les attentes, les exigences ? Le bénévolat est important, mais il y a un véritable chantier de réflexion vu les enjeux multiples.
CESER Normandie. Avant l’enquête énormément de fantasmes circulaient, soyons pauvres et malheureux ! La connaissance des 8% de personnes en situation d’illettrisme a permis de définir une stratégie régionale en sortant d’une ambiance de déploration.
CESER Hauts de France. L’étude a montré que c’est la région la plus touchée par l’illettrisme. Quand on met les moyens, les résultats sont là. Une des plus grandes difficultés est de mobiliser le public, il n’est pas facile de se déclarer illettré. La formation ne doit pas être au rabais, auparavant c’était une formation spécifique, non connectée au parcours de la personne. Il faut aussi se préoccuper de mobiliser l’Éducation nationale. Il ne suffit pas de former, il faut aussi rémunérer, on ne peut pas se former quand on n’a pas de quoi manger.
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Discours de clôture
Bruno Studer, député du Bas-Rhin, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale
« Ce qui nous réunit c’est l’amour de la langue française, langue qui est un trésor national, et notre génie national ». La loi Toubon contribue au rayonnement culturel sur le monde. La maitrise de la langue française est aussi une compétence sociale qui participe à l’exercice de la citoyenneté. Elle est l’outil de l’intégration sociale et professionnelle. C’est par la langue que les arrivants se familiarisent avec la société et la culture. 6 millions de Français rencontrent des difficultés avec la langue. Le combat doit être mené sur plusieurs fronts, dans le monde du travail, dans la politique d’accueil et d’intégration, dans les collectivités ultramarines, dans un environnement qui change, avec le numérique. Le gouvernement s’est engagé, avec 15 milliards d’euros pour la formation professionnelle, c’est un investissement sans précédent. Cet effort vise à prévenir les insuffisances de compétences dangereuses pour la cohésion sociale.
Il conclut en s’interrogeant sur l’éloignement de la lecture chez les jeunes dans certains quartiers.
[1] Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (Consulté le 25/10/2017)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005616341
[2] Application de la loi relative au droit des étrangers en France http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2016/11/cir_41477.pdf(consulté le 25/10/2017)
[3] Note VY : Aurélien Taché livre un bilan très fourni de la question de l’intégration des étrangers en France et formule des propositions très pertinentes que la vitesse de son flux de parole ne permet pas de refléter de manière exhaustive.
[4] France Stratégie est un organisme de réflexion, d’expertise et de concertation, autonome, rattaché au Premier ministre - créé par décret le 22 avril 2013, modifié par décret le 24 mars 2017 : http://www.strategie.gouv.fr/propos-de-france-strategie (consulté le 26/10/2017)
[5] EPIDE : établissement public pour l’insertion dans l’emploi : http://www.epide.fr(consulté le 26/10/2017)
[6] ALNCI : Agence nationale de lutte contre l’illettrisme : http://www.anlci.gouv.fr(consulté le 26/10/2017)
[7] Les politiques de maitrise de la langue française sur les territoires, Contributions des CESER, 7 juillet 2017 _ (consulté le 26/10/2017)
[1] CESE – Travaux – Saisine en cours : http://www.lecese.fr/travaux-du-cese/saisines/le-role-de-la-france-dans-une-francophonie-dynamique(consulté le 25/10/2017)