Association française pour l’enseignement du français

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  • 05
    Jan

    La montagne ne risque-t-elle pas d’accoucher d’une souris ?

    Journées de l'Évaluation – 11-12 décembre 2014

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    En ouverture de la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves, Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire et vice-présidente du jury en charge de faire des propositions sur le sujet à la ministre, a inscrit la réflexion sur l’évaluation dans le cadre de la Refondation en rappelant que la loi du 8 juillet 2013 invite à privilégier une évaluation positive qui permette le dialogue avec les familles et donne du temps à l'élève pour consolider ses apprentissages.  L’enjeu est de parvenir à « une école plus juste et plus exigeante avec elle-même qui ne se satisfasse pas de l'échec et du décrochage ». L'évaluation doit permettre de construire des parcours d'élèves plutôt que de les trier ou les hiérarchiser. Dont acte.

     

    L’évaluation est, dans l’école actuelle, au cœur d’une relation pédagogique qui fabrique des perdants
    Un large consensus semble régner sur le rôle délétère des modalités actuelles d’évaluation, mis en valeur par les évaluations internationales : décrochage des plus faibles corrélé avec un renforcement des inégalités sociales, stress négatif des élèves français. Mais ces signaux d’alarme sont-ils vraiment nouveaux ?

     Antoine Prost, historien, auteur en particulier de nombreux ouvrages sur l’école française, a  retracé l’histoire de la note et de ses corollaires, conseils de classe et bulletins, et montré comment ils sont liés à une conception  de l'évaluation comme jugement et sentence : les collèges de Jésuites d'Ancien Régime avaient 3 notes : A  (admis), D  (douteux) M (mauvais). « Dans cet enseignement créé par le haut, ce sont les mécanismes de classe visant la sélection de l'élite qui s'imposent ». Le choix de ce modèle a donc signifié la construction d’une école orientée vers la sélection de l'élite plutôt que l'apprentissage de tous que visait le primaire[1].

    Agnès Florin, ensuite enfonce le clou en tant que psychologue : « les évaluations, à tous les niveaux de la scolarité, engendrent chez beaucoup un découragement, un désengagement et une inappétence qui frappent particulièrement les plus fragiles et amplifient l'inégalité scolaire à fondement social »[2].

    Françoise Vouillot, de l'institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle, montre en s’appuyant sur diverses enquêtes que la différenciation sexuée de l'orientation est massive en termes de cursus, de filières et qu'elle est socio-sexuée, c'est-à-dire qu'elle touche encore plus massivement les filles des milieux populaires[3].

    Les participants, enfin, se retrouvent pour affirmer, au détour de leurs exposés, l’importance de la formation des enseignants (avec toutefois plus que des nuances sur ses contenus et finalités, rien sur ses modalités…). « Paroles, paroles… ».

     

    Quelles pistes pour une évaluation « positive » ?
    Un très large consensus s’est également manifesté autour de la nécessité de distinguer évaluation formative et sommative afin de privilégier cette dernière au service de l’enseignement et des apprentissages. Mais de tels appels sont-ils vraiment nouveaux ?

    Selon Agnès Florin, la réussite scolaire est donc  « un composé d'estime de soi, de compétences et de performance ». On ne peut pas soigner l'estime de soi sans progression de la performance, mais il est impossible d'apprendre sans erreurs grâce auxquelles on peut informer les élèves sur leurs moyens de progression. Pourtant la didactique est beaucoup plus centrée sur les disciplines et les actes d'enseignement que sur les apprentissages.

    Quant à Antoine Prost il invite à distinguer devoirs d'apprentissage, dans lesquels il faut indiquer les erreurs mais qu’il ne faut pas noter, et devoirs d'évaluation. Olivier Barbarant, IGEN, a dans le même sens proposé de remplacer « fautes par erreurs voire tentatives ».

    Des témoignages de praticiens montreront quelques-unes de ces pratiques[4].

     

    D’autres points de consensus semblent se dégager. Le travail enseignant n’est plus un exercice solitaire : « on ne change pas tout seul, pas contre les autres mais avec les autres » (Viviane Bouysse). Ou bien encore « l’évaluation au cœur des relations avec les parents », cette affirmation modulée par différents intervenants, ce sont les principaux intéressés qui en ont le mieux parlé. Une mère d’élève a par exemple témoigné de la façon dont un nouveau bulletin par compétences a suscité chez elle un étonnement qui a éveillé sa curiosité et l’a obligée à lire sans aller directement à la moyenne. Il a ouvert effectivement la discussion avec son fils, sur comment il travaille et ce qu'il fait à l'école, bref, dit-elle sur ce qu'on ne sait que si on assiste au conseil.

     

    Au-delà des consensus, réels ou apparents : des nuances qui n’ont rien d’indifférent

    Jean-Marc Monteil, titulaire de la chaire de sciences du comportement et applications au CNAM, pose la question : pourquoi évaluer ? Selon lui, « pour comparer l'objectif prévu et le résultat auquel les élèves sont parvenus et qui seront les pré-requis d'un nouvel objectif. L'évaluation formative en est l'indicateur, elle est continue, renvoie à une réflexion sur les tâches à proposer et implique de bien connaitre les indices pertinents. La construction d'une batterie d'indicateurs pour élaborer une tâche est extrêmement complexe et mériterait d'être le fait d'une équipe. » Il se situe donc clairement dans une logique de pilotage par l’évaluation-input/output – et ce n’est plus qu’en apparence que la construction d’une démarche pertinente d’enseignement/apprentissage rend impératif une condition approfondie de l’objet des apprentissages, il y a déplacement de l’objet de formation des savoirs vers « les indicateurs ». De même sa critique des effets délétères de la notation/comparaison dominante en milieu scolaire, se déporte de l’importance du partage des savoirs dans une société démocratique vers « la cohésion sociale » : les élèves qui n'ont pas dans l'univers scolaire de retours positifs, s'en octroieront dans la Cité, y compris dans des contextes déviants[5].

    Par quel adjectif définir l’évaluation au service des apprentissages ? Le terme « bienveillante » n’a pas fait fortune, au point qu’Etienne Klein, président du « jury », dans son allocution de clôture, l’a rejeté afin de ne pas prêter le flanc aux accusations de laxisme. Sans doute aurait-il même aller plus loin et entrouvrir une porte sur les deux formes de la « peur d’enseigner » que décrit Serge Boimare[6]. L’adjectif « positive » a connu meilleure fortune tant auprès des intervenants centrés sur la dimension psychosociologique et en particulier l’estime de soi, jusqu’à ce que la centration s’opère autour des apprentissages : « Il ne suffit pas en effet que l'évaluation soit positive, elle doit permettre de progresser. C'est possible quand l'élève en apprentissage bénéficie du droit de faire des erreurs en confiance, quand l'évaluation distingue le faire et l'être », a expliqué Viviane Bouysse, IGEN, reprenant les préoccupations préalablement exprimées par Françoise Robine. Elle a alors proposé le terme « formative », associé à une autre visée de l’évaluation pour inscrire les élèves dans une démarche active d’apprentissage : « Par une telle pratique d'évaluation formative, on projette les élèves vers le parcours à effectuer tout en partant d'où ils sont réellement. » 

    C’est Elisabeth Bautier, chercheuse à Paris 8, qui a bousculé les consensus : « Transposer une pratique signifie pouvoir la transposer […] sur tous les objets. Or certains, par exemple l'écriture, sont plus complexes et donc difficiles à cerner pour les élèves. Leur enseignement repose sur une analyse précise des objets de savoir qui les constituent et peuvent être autant d'obstacles. » Elle s'est déclarée soucieuse d'une « segmentation qu'on observe en collège où on enseigne ce qui s'évalue facilement. »

     Elle a invité à « penser le changement comme processus sans l'étiquetage de l'innovation » ; insisté sur la nécessité de travailler avec la compréhension des erreurs, d'en identifier la cause plutôt que de se contenter de constater l'écart à une norme, un attendu ; elle a souligné également qu'il faut interroger les termes : « l'auto-évaluation ne signifie pas la même chose pour tous » et qu'il fallait tendre vers l'évaluation de processus plutôt que de produits, de performances.
    Il faudra bientôt, a-t-elle dit, s'interroger sur l'évaluation par compétences et l'acquisition des savoirs ;  les compétences sont pensées en fonction du socle pour réguler la complexification des exigences. Aujourd'hui, l'essentiel est d'aider les élèves à construire non seulement des compétences mais des savoirs, par exemple pas seulement la production de tel type d'écrit mais aussi la familiarité avec l'écrit et ses usages (ce qu'on appelle la littératie).


    Attention ! Icebergs en vue !
    Prenant appui sur la façon dont les expériences belge et suisse se sont soldées par un retour en arrière, Gery Marcoux, enseignant-chercheur à l'université de psychologie et des sciences de l'éducation de Genève, propose un accompagnement qui prenne en compte et modifie les représentations tant enseignantes que sociales[7]. D'abord en informant, en faisant savoir les résultats de la recherche et en y revenant régulièrement. Le changement doit s'accompagner d'un travail de modification de la croyance en l'objectivité de la note, pour passer d'un enseignement orienté vers l'évaluation à un enseignement orienté vers l'apprentissage. Il faut enfin changer la croyance en la compétition comme moyen pour s'en sortir alors que le seul efficace est la coopération et repenser la notion de méritocratie, plus précisément le lien entre mérite, classement et note.

    Or l’équipe d’un collège, en présentant sa pratique, avait signalé que, malgré l’impact du travail de l’équipe qui amenait plus de 90% des élèves à des résultats satisfaisants ou excellents, il y avait un problème du côté des lycées professionnels qui demandent une moyenne chiffrée dans certaines disciplines.

    Mehdi Cherfi, chef du service académique de l'information et de l'orientation, après avoir expliqué que l’école ne construit pas chez l’élève la connaissance de la diversité de ses potentialités, la capacité de se projeter positivement dans l'avenir, celle de gérer l'incertitude liée à l'insertion, liée à la confiance en soi et dans son entourage, propose de prendre en compte des compétences construites hors du cadre scolaire, plus valides socialement. Pierre Ferracci, président du conseil national éducation économie, et chef d'entreprise, développera ce thème. Mais, aux questions du jury, Mehdi Cherfi répondra : « Actuellement les notes sont le critère le plus méritocratique et le moins contestable car le plus transparent dans le cadre d'affectations informatisées. Nous sommes dans une société où il y a compétition, et où les différentes filières n'offrent pas l'accès au même positionnement social. » L’école de la reproduction des élites aurait-elle encore de beaux jours devant elle ? D’autant que des interventions telles que celle de Patrick Veneau, du Centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), fondée sur l’observation des pratiques des enseignants des disciplines professionnelles lors de l’évaluation du contrôle continu en cours de formation (CCF) en LP, montre comment « toute réforme devrait se faire avec les enseignants, à trop vouloir rationaliser on suscite des pratiques de contournement. » Il faut donc faire avec les habitudes. C’est ce que semble confirmer l’intervention de clôture d’Etienne Klein qui, malgré la démonstration de Pierre Merle[8] contre l’échelle de notation, affirme que c’est un faux débat.

    Il semble que les responsables de l’institution ne soient pas prêts à solder l’héritage d’une école conçue pour la sélection.

     



    [6] BOIMARE S. La peur d’enseigner ©Dunod, 2012.

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