Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 30
    Mai

    La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement.

    Ouvrage collectif sous la coordination de Jean-Yves ROCHEX et Jacques CRINON. Presses Universitaires de Rennes. Note de lecture de Dominique Seghetchian.

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    La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement,
    ROCHEX Jean-Yves et CRINON Jacques (sous la direction de), éditions Presses Universitaires de Rennes 2011 – 212 pages – ISBN 978-2-7535-1718-9

     

     

     

     

    Auteurs : Elisabeth BAUTIER (Université Paris 8-Saint-Denis- Laboratoire ESCOL-CIRCEFT) ; Stéphane BONNÉRY (Université Paris 8-Saint-Denis- Laboratoire ESCOL-CIRCEFT) ; Colette CATTEAU (Conseillère pédagogique) ; Lalina COULANGE (IUFM d’Aquitaine – Université Bordeaux 4 – Laboratoire DAESL-LACES- Université Bordeaux 2) ; Jacques CRINON MARIN (Universités Paris-Est Créteil et Paris 8-Saint-Denis- Laboratoire ESCOL-CIRCEFT) ; Christophe JOIGNEAUX (Université d’Artois – Laboratoire RECIFES) ; Marceline LAPARRA (Université Paul Verlaine Metz – Laboratoire CELTED) ; Claire MARGOLINAS (IUFM d’Auvergne – Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand – Laboratoire PAEDI) ; Brigitte MARIN (Universités Paris-Est Créteil et Paris 8-Saint-Denis- Laboratoire ESCOL-CIRCEFT) ; Jean-Yves ROCHEX (Université Paris 8-Saint-Denis- Laboratoire ESCOL-CIRCEFT) ; Christophe THOUNY (Enseignant spécialisé chargé de l’aide à dominante pédagogique au sein d’un RASED en Seine-et-Marne).

    Note de lecture de Dominique Seghetchian

     

    Balises et boussole contre les inégalités à l’école

    Tandis que nous préparons une université d’automne centrée sur l’écriture et les compétences de français qui se jouent ou sont en jeu à travers les écrits des différentes disciplines, tandis également que l’AFEF se mobilise pour être en mesure de faire des propositions pour l’enseignement du français dans le cadre de la redéfinition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et de celle des programmes, une relecture de l’ouvrage publié sous la direction de J.Y. ROCHEX et J. CRINON en 2011 (Presses Universitaires de Rennes, collection Paideia), La construction des inégalités scolaires, au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, peut nous guider dans la construction de notre questionnement et dans l’élaboration de ressources pour l’enseignement du français.

    Un intérêt essentiel de ce travail est de tresser questionnements sociologiques, didactiques et langagiers. Dans sa conclusion, J.Y. Rochex résume ainsi l’enjeu de ce travail :

    « dépasser […] une tendance affirmée de la sociologie de l’éducation à “dé-spécifier” l’institution scolaire […] en la considérant essentiellement comme un champ, un cadre, une arène, où se révèlent, se construisent, et peuvent s’étudier ou être dévoilés des fonctions, des processus ou des déterminants sociaux […] ; dépasser donc la réticence de nombre de sociologues à s’intéresser de près à la fonction de transmission des savoirs et à ses modalités pratiques […] » (p. 174).

     

    Indifférenciation, différenciation et inégalités

    Nous avons déjà eu l’occasion, dans la Lettre de l’AFEF, de rapporter la distinction clé que J.Y. Rochex porte dans le débat pédagogique, entre différenciation active et différenciation passive[1].

    L’article signé par E. BAUTIER, C. CATTEAU, C. JOIGNEAUX et C. THOUNY, « Des difficultés invisibles aux apprentissages non faits », interroge les

    « dispositifs consistant à mettre les élèves en présence de savoirs sans que ceux-ci subissent un traitement verbal particulier de la part de l’enseignant. Le risque est important, car du contenu et de la nature des échanges langagiers dépendent non seulement l’appropriation par les élèves de l’objet de savoir initialement visé mais aussi la possibilité d’en saisir les enjeux d’apprentissage et de les constituer ainsi en nouveaux savoirs, mobilisables dans d’autres situations. » (p. 51).

    Les auteur(e)s montrent, exemples à l’appui, comment la performance masque l’absence de construction de compétences parce que ne sont pas enseignées les techniques intellectuelles et littéraciennes alors que

    « ce sont les usages inégaux du pouvoir réflexif auquel donnent accès ces techniques qui constitueraient un des plus grands dénominateurs communs aux difficultés rencontrées tout au long de leur scolarité par les élèves issus majoritairement de milieux populaires. » (p. 53).

    Dans une contribution intitulée « Au cœur de la classe, contrats didactiques[2] différentiels et production d’inégalités », J.Y. ROCHEX s’intéresse à la « coconstruction, par les divers protagonistes des situations scolaires, de processus de production d’inégalités génériques d’apprentissage. » (p. 93). Il étudie comment la centration sur la mise en activité, la représentation des difficultés scolaires et la volonté de mettre tous les élèves en situation de réussite, conduisent les enseignants à viser des acquisitions différenciées, à confier aux « meilleurs » un rôle d’auxiliaires pédagogiques contribuant à l’avancée du temps didactique tandis que les plus faibles, quand ils ne sont pas cités comme contre-exemples, voient leurs tâches reconfigurées à la baisse ou se trouvent « confront(és) […] à un surcroit d’exigences [formelles], qu’ils ne peuvent organiser et hiérarchiser et qui risque de les éloigner de ce qui     vest au centre du travail demandé. » (p. 104). Cette différenciation active est aussi mise en relief par M. LAPARRA et C. MARGOLINAS qui, dans l’article intitulé « Quand les maitres contribuent à leur insu à renforcer les difficultés des élèves », montrent que « les élèves les plus faibles sont condamnés à manipuler, à décrire et énumérer ce qu’ils voient, et donc à n’avoir que rarement l’occasion de décontextualiser leurs connaissances. » (p. 120).

    Une centration sur les tâches au détriment des enjeux de savoir

    C. Joigneaux, dans « Forme scolaire et différenciation des élèves à l’école maternelle ? Un cas d’école » montre comment la forme scolaire d’enseignement simultané s’assouplit au profit de formes de travail en petits groupes et d’un contrôle à posteriori du travail de chacun à travers de performances sans regard réel sur les modalités de son effectuation. Cela s’accompagne d’un développement du travail sur fiches qui accentue la fragmentation et la contextualisation des connaissances.

    L’article de C. MARGOLINAS et M. LAPARRA intitulé « Des savoirs transparents dans le travail des professeurs à l’école primaire » montre comment « […] le pilotage de l’enseignement par les tâches dans lesquelles l’élève est supposé pouvoir développer des compétences conduit à une péjoration des savoirs et des connaissances dans les situations scolaires effectives. » (p. 31). Elles mettent en évidence le déficit, préjudiciable pour les enfants des milieux populaires, les plus éloignés des attendus scolaires, d’institutionnalisation des savoirs :

    « [ …] un simple équilibre fugitivement rencontré dans une situation singulière ne peut devenir une ressource pour de futures situations : la formulation, la formalisation, la mémorisation, la reconnaissance d’une valeur culturelle et sociale sont nécessaires pour permettre de qualifier la connaissance comme savoir » (p. 20).

    Dans un tel contexte, l’activité est synonyme d’apprentissage pour ceux qui, dans leur contexte familial, ont acquis les ressources leur permettant d’orienter didactiquement et de réguler leur activité. Selon S. BONNÉRY

    « la conception de l’élève qui pilote le choix et l’agencement des tâches […] [est] celle d’un élève suffisamment complice des formes de raisonnement scolaire pour deviner ce qui est attendu dans les interstices du dispositif et dans les charnières du cheminement intellectuel. » (p. 138).

    Dans « Sociologie des dispositifs pédagogiques : structuration matérielle et technique, conceptions sociales de l’élève et apprentissages inégaux », il développe cette problématique en analysant comment les dispositifs mis en place ne prennent pas en compte les sauts cognitifs nécessaires pour que les activités construisent des savoirs. Il conclut en s’interrogeant sur la formation des enseignants :

    « Quelles connaissances et quelles dispositions sont nécessaires pour que les enseignants anticipent, dans l’agencement de ces éléments comme dans le choix des supports et des consignes, les sauts cognitifs qu’ils sollicitent des élèves, les liens entre activités matérielles et techniques intellectuelles, etc. ? » et en invitant « à construire les espaces de réflexion et de formation nécessaires pour reconsidérer les conceptions sociales qui doivent modeler les dispositifs pédagogiques. » (p. 146).

    Des modes de classification des savoirs problématiques

    Cet aspect est essentiellement développé par l’article d’E. BAUTIER intitulé « Quand le discours pédagogique entrave la construction des usages littéraciés du langage ». Elle y explique

    « les relations étroites entre l’importance accrue des usages du langage dans la classe et l’affaiblissement des savoirs disciplinaires […] au profit non seulement des savoirs de communication orale et écrite, mais aussi de savoirs transversaux et de nouveaux savoirs régionalisés[3], et surtout de la segmentation des savoirs liés à leur contextualisation de plus en plus grande et à leur transformation en compétences. Ces savoirs ne relèvent pas d’une inscription disciplinaire particulière mais ils la supposent souvent ; ils supposent également la secondarisation de l’expérience et de la culture quotidienne médiatisée, ou plus largement de l’expérience culturelle et sociale des milieux fortement scolarisés, et la mise en relation de compétences et connaissances hétérogènes […] » (p. 161).

    Il en découle que

    « Le curriculum latent est […] de plus en plus prégnant […] mais le contenu de ce curriculum “ cet ensemble de compétences et de dispositions que l’on acquiert à l’école par expérience, imprégnation, familiarisation ou inculcation diffuse plutôt que par le biais de procédures pédagogiques explicites ou intentionnelles” n’est plus limité aux habitudes de travail, à la scolarisation au sens du “métier d’élève”, mais il correspond aux caractéristiques de ces contenus faiblement verbalisables, institutionnalisables et qui ne peuvent constituer un texte de savoir. »  (p. 162).

    Usages du langage et genre discursif scolaire

    « [L]a réussite ou l’échec de pans entiers des apprentissages scolaires, en particulier chez les élèves scolairement les plus fragiles, sont liés au statut du langage dans la classe », (p. 58) écrit Jacques Crinon dont la contribution s’intitule « Les pratiques langagières dans la classe et la coconstruction de la difficulté scolaire ». A travers la comparaison des pratiques de trois classes, il montre comment la réussite scolaire est liée à l’élaboration d’un code sociolinguistique élaboré qui, au-delà des enjeux communicationnels et linguistiques va instaurer un parler/écrire pour penser en utilisant le langage

    « pour développer des significations complexes, réfléchir, commenter, donner son avis et prendre en compte d’autres avis, comprendre le monde, évoquer des situations diverses d’une manière décentrée de son propre point de vue. » (p.58)

    grâce à un cadrage beaucoup plus fort sur les objets désignés à la réflexion des élèves et moindre sur les consignes de présentation. Son propos est complété par l’étude de B. MARIN « La reformulation en classe : un discours équivoque » et par celui d’E. BAUTIER dans lequel elle développe le concept de littéracie étendue qui

    « désigne les possibilités intellectuelles développées par l’usage heuristique de l’écrit, de l’écrit d’élaboration, celui qui suppose aussi  l’interprétation du lecteur, qui n’est ni dans une transparence par rapport au réel, ni dans une consignation de l’oral. » Elle insiste sur le fait que « L’écrit long de savoir n’est donc pas “seulement” notation écrite, restitution, mise en œuvre de techniques d’écriture, mais élaboration et acquisition de modalités de pensée spécifiques : intériorisation, distance, travail du document. Il permet la secondarisation des objets du monde […] » (p. 159).

    M. LAPARRA et C. MARGOLINAS montrent, quant à elles, les effets discriminants de la non prise en considération de l’oralité : « les élèves des milieux favorisés réussissent mieux à l’école, moins parce que leurs familles les prépareraient mieux aux aspects formels de l’écrit que parce que celles-ci développent mieux celles des connaissances de l’oralité qui sont décisives dans l’entrée dans l’écrit. » (p. 123) : mémoriser des suites d’informations, les énumérer, intérioriser un discours monologique…

    Les recherches du réseau RESEIDA sur lesquelles se fonde cet ouvrage, ne sont bien sûr pas les seules à prendre en compte. Certains des présupposés sur lesquelles elles se fondent et certaines de leurs conclusions peuvent ne pas faire l’unanimité. Elles constituent néanmoins un outil que nous ne pouvons ignorer dans notre questionnement afin que l’affirmation qui clôture l’introduction du projet de socle commun : « Les enseignants planifient et choisissent la façon la plus pertinente d'y parvenir en combinant des démarches qui mobilisent les élèves, et centrent leurs activités et celles de la classe sur de véritables enjeux intellectuels, riches de sens et de progrès » soit vérité POUR TOUS.



    [1]Voir dans la Lettre de l’AFEF n°37 d’avril 2014 le compte-rendu de son intervention lors des journées organisées par le GFEN Réussir au collège et au lycée

    [2]«l’ensemble des comportements (spécifiques des connaissances enseignées) du maitre qui sont attendus de l’élève et l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus du maitre » Brousseau, cité p.92.

    [3]Ex. culture humaniste, histoire des arts, éducations à…

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