Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 06
    Juil

    La classe de français et de littérature, de Marlène LEBRUN, avec la collaboration de BEC, F., BLANC, M., GRILL, M. & MOUSSU M.- J. , Note de lecture de Joëlle Thebault

    E.M.E. Bruxelles 2010

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    LEBRUN, M. (éd.), avec la collaboration de BEC, F., BLANC, M., GRILL, M. & MOUSSU M.- J. (2010), La classe de français et de littérature, Bruxelles : E.M.E. (281 p., 28 euros).

     

    Par Joëlle THÉBAULT

    Comment, à travers la lecture et l’écriture littéraires, faire de l’élève un véritable acteur culturel ? Comment penser la classe comme une communauté de lecteurs ? Tels sont les enjeux dont se sont saisies les auteures de cet ouvrage stimulant et incitatif.

    L’ouvrage propose de transformer la classe de français en un lieu d’échanges entre élèves, tant oraux qu’écrits, portant à la fois sur les textes lus et ceux que les élèves produisent à leur propos. « Deux enjeux sont liés : le plaisir de lire la littérature et le pouvoir de lire et d’écrire. » Chaque élève peut devenir « un auteur-lecteur actif développant des compétences liées à la maitrise des discours et à la lecture-écriture. » (Avant-propos, p.15). Dans cette perspective, les auteures plaident pour une pédagogie de projet, particulièrement dans les domaines de la lecture et de l’écriture littéraires, de façon à donner un sens aux apprentissages. Le propos vise tous les niveaux de la scolarité, mais les auteures décrivent le plus souvent des dispositifs mis en œuvre en fin de scolarité primaire (cycle 3) ou au collège.

    Le livre se présente comme le « fruit d’une réflexion collective sur la classe de français » (4ème de couverture). Il résulte d’un travail collaboratif réunissant des formatrices en IUFM de différents statuts et des collègues spécialisées (psychologue scolaire et maîtresse rééducatrice). Les contributions des unes et des autres alternent ou s’entremêlent, sans que  l’origine de chaque apport soit clairement identifiée. Ce choix est manifestement délibéré, le propos étant de souligner la convergence de pratiques menées avec des publics très divers.

    Pragmatique dans son élaboration comme dans sa visée, l’ouvrage rend accessibles au lecteur, dans une langue claire et sans nécessairement les référencer, les conceptions théoriques concernant la lecture et l’écriture qui président à l’élaboration des dispositifs pédagogiques. En fin d’ouvrage, un glossaire éclaire et précise ainsi le sens des notions importantes qui encadrent et irriguent le propos. L’exposé s’articule en trois temps successifs : Pourquoi ? Comment ? Pour quoi ? et Vers quoi ?

    La première partie (« Pourquoi ? ») permet au lecteur de comprendre les principes théoriques et les conceptions pédagogiques qui sous-tendent les dispositifs proposés dans la suite de l’ouvrage. En accord avec les programmes de l’école et du collège, les auteures se proposent de « donner du sens aux apprentissages » grâce à une pédagogie de projet. « C’est en agissant que l’élève se construit et construit ses savoirs et savoir-faire » (p.31). Les contours de ces projets sont précisés, puisqu’on en signale les dérives et en expose la planification. Dans ce contexte de décloisonnement des activités de français, la langue est pensée comme un outil : « L’étude de la langue n’est pas une fin en soi. Elle se justifie dans la mesure où les notions découvertes et les compétences acquises sont systématiquement réutilisées dans les domaines de la lecture et de l’écriture. » (p.35). Deux exemples en grammaire de l’énonciation viennent à l’appui. Cette partie se termine sur les principes qui doivent, selon les auteures, guider le choix des textes littéraires : « Dans une liste de référence, le professeur sélectionne des textes riches de sens et de savoirs, propres à susciter des émotions fortes. Il ne doit pas craindre de proposer des œuvres complexes. » (p.45) Il est indispensable en effet pour l’élève de « construire un rapport actif à la littérature » de « s’impliquer dans l’acte de lire » (p. 48-49), ce qui passe par l’identification,  à l’occasion d’une lecture naïve. C’est dans le cadre d’une mise en problèmes, suscitée par la lecture plurielle, que des compétences pourront se construire et déboucher sur une « perspective intertextuelle », une approche réflexive. On énonce enfin le rôle que l’enseignant doit tenir dans les échanges pour donner leur place aux trois finalités de la lecture littéraire : « la construction de son identité, la formation de sa capacité à communiquer et l’appropriation d’outils langagiers, cognitifs et culturels qui permettent la construction de savoirs et savoir-faire » (p.57).

    Pour illustrer le propos, dans la partie 2 (« Comment » ? ») sont présentées et analysées de courtes séances concernant des groupes très restreints de jeunes élèves en difficulté aussi bien que des projets collectifs ambitieux (réalisés en groupe classe), dont la mise en œuvre demande du temps. Ce que l’on peut ressentir parfois comme des décalages dans l’expression ou comme un certain flou a donc sa contrepartie dans la richesse du contenu. Le lecteur dispose ainsi d’une trentaine d’annexes très variées. Il s’agit aussi bien d’outils proposés par un enseignant (fiche d’atelier pour travailler la lecture à haute voix, affiches de référence...) que de textes produits par des élèves, individuellement ou collectivement (anthologie, journal de lecture, cahier d’écrivain…). Ces traces des réalisations menées à bien permettent de se représenter ce dont des élèves sont capables quand on les met dans des situations motivantes, en leur fournissant l’étayage indispensable.  

    On apprécie de lire des propositions qui se préoccupent constamment de l’implication de l’élève et de la construction de celui-ci comme sujet. Il n’est pas inutile de rappeler que « le lecteur n’est jamais vierge de représentations devant le texte ». Pour faire évoluer ces représentations, on ne tablera pas sur « la voie de la technique », mais sur « une médiation dans laquelle il (l’élève) se construit. » (p. 65). On souligne également à juste titre « l’importance de l’identification, (…) du sujet-lecteur comme sujet affectif et pas seulement sujet cognitif » (p.66).

    D’autre part, faire de la classe un lieu de socialisation, où « les œuvres deviennent des lieux d’expériences de lecture partagées » (p.53) constitue le dénominateur commun à beaucoup des dispositifs qui sont présentés, ce qui va certainement dans le bon sens. Plusieurs exemples montrent tout le profit que les élèves peuvent en tirer, qu’il s’agisse de comités de lecture, de l’écriture coopérative d’une nouvelle ou de la constitution d’une anthologie. Inviter les élèves à un « geste anthologique » constitue, pour Marlène Lebrun, « l’aboutissement des compétences de lecture-écriture critiques et fictionnelles développées » à l’occasion des dispositifs décrits dans l’ouvrage (p.116). La quasi-totalité des propositions implique en effet une interaction entre lecture et écriture, et plusieurs d’entre elles sont évoquées assez précisément pour qu’un enseignant ou un formateur un peu au fait des pratiques de la classe de littérature puisse s’en inspirer. L’appropriation et le transfert des dispositifs présentés sont en outre rendus possibles pour le lecteur par l’analyse didactique des enjeux qui en est donnée, ce qui confère à l’ouvrage une visée formative évidente.

    La partie 3 (« Pour quoi ? Vers quoi ? ») se donne pour objectif d’évaluer, de manière formative, les dispositifs présentés et analysés dans la partie 2. Elle souligne « L’importance du rapport à l’objet enseigné ou à enseigner » et de la « prise en compte des représentations des élèves » (p.160). Ainsi, « La redéfinition du rôle du professeur entraine une lecture formative, essentiellement critique et pas seulement corrective à travers une nouvelle conception de l’évaluation » (p.162). L’analyse d’écrits d’élèves très variés, journal de lecture, fiches produites en vue d’un comité de lecture, journal de bord etc… témoigne selon les auteures de l’ouvrage du « nouveau rapport à la lecture-écriture littéraire » (p.195) auquel on peut parvenir.

    Quelques aspects du livre laissent cependant le lecteur plus dubitatif. On peut avoir le sentiment que les affirmations reposent essentiellement sur des convictions : même si nous les partageons le plus souvent, nous apprécierions qu’elles renvoient à d’autres travaux sur la lecture littéraire. La bibliographie renvoie dans ce domaine à quelques articles des revues Pratiques ou Le Français aujourd’hui, mais au-delà de quelques « grands anciens » (G. Genette, G. Jean, M. Picard), elle porte essentiellement sur la pédagogie générale, comme si rien n’avait été publié sur la littérature à l’école depuis les textes de Catherine Tauveron.

    La question de la construction d’une culture littéraire est par ailleurs évoquée de façon assez générale : quand on parle de réseau, il s’agit de textes appartenant à un même genre ou un même univers culturel, par exemple des « albums et contes de la littérature arménienne et provençale » (p.149). Mais selon quels critères est composé ce corpus ? Quel profit tire-t-on du rapprochement de ces textes ? Et surtout, comment l’enseignant peut-il initier chez les élèves le mouvement de maillage des lectures évoqué par ailleurs (p.74), de façon à ce qu’elles se répondent pour nourrir l’interprétation d’un texte ?

    Enfin la question de la compréhension du texte littéraire nous parait minorée. On est surpris de voir proposer à une classe d’élèves de 11 ans un travail (même fragmenté entre plusieurs groupes) sur la totalité des Fables de la Fontaine. On s’étonne également des flottements de l’ouvrage quant à la notion d’interprétation. Dans le glossaire (p.273), elle est considérée comme générant « un jugement de gout et de valeur [qui] précède souvent la compréhension et permet de l’optimiser ». Mais comment accède-t-on à cette compréhension ? Le débat est présenté comme une « pratique de socialisation des lectures » (ibid.) plus que comme un travail de confrontation entre points de vue et de retour au texte, ne serait-ce que pour constater que celui-ci ne laisse pas place à toutes les interprétations, contrairement à ce qu’on laisse croire (p.73).

    Malgré ces réserves, l’ouvrage nous laisse le souvenir de moments d’enthousiasme, devant des propositions fortes, qui engagent les enseignants et les classes dans une entreprise passionnante de lecture, d’écriture et de partage culturel. Le livre mérite d’être lu pour se convaincre que toutes sortes de dispositifs novateurs, proposés en liaison avec les programmes de 2002, peuvent réellement être mis en œuvre : aux enseignants de s’en inspirer.

    Présentation sur le site de l’éditeur

     

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