Journée nationale de la réussite éducative - 15 mai 2013
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Cette journée qui a rassemblé des représentants de l’État (sous-préfet…), de la hiérarchie de l’Éducation nationale, des diverses associations partenaires de l’école (Crap-Cahiers pédagogiques, Ligue de l’enseignement, CEMEA, etc.), des structures culturelles (l’Odéon…), des collectivités territoriales a vu se succéder à la tribune pas moins de quatre ministres. Organisée dans des lieux de prestige, le grand amphithéâtre de la Sorbonne et Louis-Le-Grand, elle traitait d’une problématique essentielle pour la démocratie mais avec bien des caractéristiques de la grand-messe. Elle nécessite donc qu’on l’étudie avec la plus extrême attention pour en extraire le meilleur, porteur d’espoir d’amélioration, mais aussi avec lucidité pour cerner les failles susceptibles de fragiliser l’édifice. Je me risque donc à un compte-rendu que je cherche à rendre relativement exhaustif, tout en exprimant, dans une police de caractère réduite, des réflexions personnelles que je verse au débat. D.S.
Après l'ouverture par François Weil, Recteur de l'Académie de Paris, la Ministre déléguée à la Réussite éducative, George Pau-Langevin, a introduit la journée en rappelant le contexte dans lequel elle s'inscrit en particulier la crise qui fait que dans des quartiers 43% des jeunes peuvent être au chômage.
Dans l'organisation des dispositifs locaux, il y aurait un danger de substitution des dispositifs de la politique de la ville à ceux de l'éducation nationale. D'autre part il importe de prendre en compte le fait que l'enfant vient à l'école avec ce qui constitue son environnement. Le but de cette journée est donc de construire des ponts entre l'école et le territoire.
La ministre rappelle par ailleurs les termes de la politique gouvernementale : priorité affichée à la jeunesse et inscription de la Réussite éducative dans la politique de refondation.
En fait les interventions de Mme Pau-Langevin, qui assurera l'ouverture et la clôture, l'intervention de 3 autres ministres, montrent que les enjeux politiques sont, autour de cette question de la Réussite éducative, au moins aussi importants que les enjeux professionnels.
Ainsi s’éclaire, par exemple, le fait que l'entrée dans la refondation par les rythmes scolaires, qui a semblé, au lendemain de la restitution des travaux de la concertation, en octobre, une concession à la pression de médias focalisant l'attention sur cet aspect perçu comme secondaire par les professionnels, visait à "mettre en cohérence les rythmes du scolaire et du périscolaire pour assurer la complémentarité de ce que font les différents acteurs dans le cadre de plans éducatifs locaux". Il n’est pas évident, pour les professionnels, de décrypter les intentions, les discours et les actes des politiques. Difficile, dès lors, de s’abandonner en confiance.
La première table ronde, consacrée aux liens entre "dynamique territoriale et réussite éducative" a rassemblé Agnès van Zanten, sociologue, Frédéric Bourthoumieu, président de l’ANARé (association nationale des acteurs de la réussite éducative), Jacques Donzelot, sociologue et Claude Dilain, sénateur.
En ce qui concerne, lors du premier tour de table, la notion de territoire, Agnès van Zanten rappelle que son émergence, dans les années 80, s’accompagne d’une vision négative de certains territoires, « les quartiers », comme ghettos. C'est cette vision qu'il faut changer. Jacques Donzelot voit dans cette politique de la ville un aspect représentatif de la différence entre une politique de gauche qui veut jouer la carte du développement du territoire en développant l'action des habitants, le collectif, tandis que la droite met l'accent sur l'individuel soit pour faire venir des entrepreneurs dans des « zones franches » soit pour sortir « les meilleurs » des habitants. Frédéric Bourthoumieu, président de l’ANARé, met l’accent sur les programmes de réussite éducative (désormais PRE) qui reconnaissent que les individus du territoire, enfants et parents, ont des besoins mais sont aussi des acteurs. Enfin, Claude Dilain, sénateur de Seine-Saint-Denis, insiste sur le fait que les conditions de vie, dans certains territoires, amènent quasi automatiquement à l'échec (logement, état matériel de l'école), d'où la nécessité d'une mise en synergie de l'action de l'Éducation nationale et de la politique de la ville. Il faut aussi modifier les territoires, pas seulement l’école.
En ce qui concerne l’école des territoires concernés par la politique de réussite éducative, Jacques Donzelot présente comme emblématique la situation d’un établissement visité lors de son tour de France des cités, le collège Schoelcher situé dans le quartier de la Duchère à Lyon. Les enseignants y arrivent par le bas sans rentrer dans le quartier tandis que les élèves y entrent par le haut sans quitter le quartier. L’action a visé à l’ouvrir aux parents (en leur dédiant une salle, en organisant des cours de FLE, français langue étrangère), et s’est tournée vers les élèves exclus qui ont été accueillis par des associations et ont reçu des cours par des enseignants volontaires qui pénétraient ainsi dans le quartier. Selon lui, il aurait fallu initier une action sur le modèle des charters schools aux États-Unis pour produire de l’innovation pédagogique. Agnès van Zanten insiste sur le manque d'accompagnement des acteurs. Elle explique qu’on lance des politiques sans se soucier de ce qu'elles deviennent sur le terrain si bien que ces politiques manquent d'efficacité voire s’avèrent contreproductives. Frédéric Bourthoumieu invite à parler de rythmes éducatifs plutôt que rythmes scolaires. Cela revient à reconnaitre l'ensemble des composantes de la vie de l'enfant, les partenaires sur le territoire sont alors tous concernés par la cohérence. Trop souvent, il y a eu affaire à une politique descendante qui empile les dispositifs sans penser la cohérence mais le PRE a laissé au territoire la capacité à penser la politique en fonction de sa réalité.
Sur la question despartenariats, Agnès van Zanten montre que les nouvelles technologies sont un bon exemple de la porosité du scolaire et du périscolaire: le choix des logiciels par exemple oblige à rentrer dans les contenus. La réussite sera le fruit d'un dialogue entre les professionnalités. Elle souligne la complexité de la décentralisation avec une multiplicité de cadres, de rythmes... On ne peut pas généraliser les dispositifs qui marchent sans penser l'orchestration. Pour Frédéric Bourthoumieu ou Claude Dilain, le maire peut être la figure de pilotage de ces actions, il coordonne avec enthousiasme mais a le problème que sa responsabilité et son action s'arrêtent aux frontières de l'école. Un des points forts du PRE a été l'intégration des parents, il importe que l’école revoie ce rapport aux parents, il est très difficile car c'est un rapport régressif et peu convivial. Frédéric Bourthoumieu pose certains principes : placer enfants et parents au centre pour mobiliser les familles ; faire rencontrer et discuter différents acteurs pour encourager la pluridisciplinarité ; concevoir une démarche bienveillante, visant à restaurer l'estime de soi ; ne pas s’adresser seulement aux « enfants fragiles » mais leur proposer des prises en charge plus individualisées ; créer les conditions pour un imaginaire collectif pour susciter des actions. Il est nécessaire d'inspirer des pratiques au-delà des quartiers prioritaires.
Une tension apparait autour des critères de l’efficacité. Pour Agnès van Zanten, il y a des efficacités de différents types, pas seulement scolaire; à l’opposé Jacques Donzelot insiste pour qu’on n’oublie pas que l'essentiel de la réussite est scolaire sinon on risque de revenir à de l'enseignement spécialisé, le qualificatif "éducatif" risque de permettre l'autofinalisation; elle peut devenir un moyen de dédouaner les établissements de leur responsabilité. Frédéric Bourthoumieu propose une école qui, formant des citoyens, enseigne à s'intéresser à autre chose que la réussite scolaire tandis que Claude Dilain réplique que s'il n'y a pas d'impact sur la réussite scolaire il faudrait s'interroger. « Pas d'école où les enfants sont heureux sauf quand ils font de la lecture, de l'écriture », lance-t-il.
Questionné spécifiquement sur les exclusions, Frédéric Bourthoumieu explique que l'accueil des élèves temporairement exclus n'est pas une atténuation de la sanction mais la préparation du retour à l'école par un travail sur la valorisation de leurs compétences, une interrogation sur leurs comportements. C’est selon lui représentatif de la complémentarité des professionnalités différentes fondées sur l'intérêt commun pour l'enfant et sa famille. Claude Dilain et Agnès van Zanten dressent de cet accueil un bilan mitigé insistant sur le caractère segmenté de la prise en charge, même à l'intérieur de l'école et déplorant l’absence de moment collectif pour réfléchir à la prise en charge éducative autour du bien être ET de la réussite scolaire.
La seconde table ronde « Quels enjeux pour les familles ? » regroupe François Dubet, sociologue, Jacqueline Costa Lascoux, juriste-psychosociologue, Pierre-Yves Madignier, président d'ATD Quart Monde et Jean-Paul Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire.
Lors du premier tour de table, destiné à dresser le bilan des relations actuelles entre les familles et l’école, Jean-Paul Delahaye commence par poser le fait qu’on ne peut pas demander à l'école de s'ouvrir et parler de délestage lorsqu’elle fait appel à des partenaires. Ensuite, pour situer de quoi il est question, il rappelle que 6% des établissements accueillent plus de 60% de catégories socioprofessionnelles (CSP) favorisées et à l'inverse 6% également accueillent plus de 60% de CSP défavorisées. La part de responsabilité de l'école réside dans le fait que, pour les enfants issus des catégories les plus défavorisées, (inactifs...) les chances d'être diplômés sont moindres qu'il y a quelques années. Il explique que dans les textes fondateurs de l’école, il y a distinction et non opposition entre les rôles éducatifs de l’école et des familles. François Dubet reprend les thèmes qui lui sont chers. La « théologie républicaine » s'est construite sur la sanctuarisation de l’école or l'école massifiée est en échec et on prend conscience de l'importance de la mobilisation des parents. L'école en appelle aux familles sans franchir le pas. Jacqueline Costa Lascoux propose de distinguer, dans les discours au sujet des parents, les associations et les individus chez lesquels elle observe une grande diversité dans les rapports qu’ils entretiennent avec l’école, du harcèlement de parents qui prétendent dicter à l’école sa conduite à l’égard de leur enfant à l’absence. Elle pose donc le principe que l’ouverture ne doit pas se confondre avec une « privatisation au service de plans de carrière ». Il serait bon, dit-elle, que l'école soit hospitalière, qu'elle soit ouverte sur la société, qu’elle soit transparente, explique ce qu'elle fait, son fonctionnement. Enfin Pierre-Yves Madignier, président d'ATD Quart Monde souligne que les attentes des familles défavorisées sont les plus fortes. « C'est quoi une école au service de la réussite de tous ? se demande-t-il, ne renonçons pas à dire quelle est notre ambition, quel est le socle républicain? »
En ce qui concerne les inégalités, François Dubet rappelle que les inégalités scolaires sont plus grandes que ne le supposeraient les inégalités sociales, que les stratégies familiales sont facteurs de différenciation, appuyées par le rôle de l'école dans le destin social à travers le diplôme. Dans ce contexte le décrochage manifeste une perte de confiance à laquelle il faut répondre en repensant la fonction morale de l'école. Jean-Paul Delahaye rappelle que les dépenses sont mal réparties entre primaire et lycée, ce qui est un des facteurs de renforcement des inégalités. Pour ce qui est de la confiance, il y a beaucoup d'efforts à faire pour aider toutes les familles à devenir "parents d'élèves". La confiance, il ne faut pas la décevoir : il témoigne d’un établissement en difficulté dont l’équipe s’est mobilisée pour proposer une démarche innovante qui a été présentée aux parents. Nous vous faisons confiance, mais est-ce que notre collège restera une vraie école ? telle a été la réaction de ceux-ci. La solution est dans un travail collectif, structuré et ambitieux. Pierre-Yves Madignier présente l’expérience de son organisation en matière de croisement des savoirs avec les personnes qui sont dans la grande précarité. En ce qui concerne le travail sur la réussite scolaire, il fait remarquer qu’il existe 3 visions de cette réussite : quand on craint la stigmatisation, on se demande comment ça va se passer dans la journée, l'heure ; pour l’enseignant, elle se situe à l’échelle de l'année scolaire ; pour les parents c’est la réussite du parcours. Ce sont ces visions qu'il faut faire dialoguer. Pour cela il propose de mettre en place une pédagogie de coopération. C'est une idée forte portée par les familles les plus modestes mais à laquelle, selon lui, les entrepreneurs ne sont pas hostiles.
Quelle est la place des parents dans les partenariats ? Jacqueline Costa Lascoux invite à considérer les parents comme premiers éducateurs par l’antériorité, la durée, la globalité de leur action éducative. Il est selon elle une valeur universelle : la volonté des parents d'inscrire leurs enfants dans un projet éducatif. Or on ne les convoque que pour les sanctions et problèmes. Jean-Laul Delahaye insiste sur l’opacité de notre système éducatif particulièrement sensible sur 3 points, pour les familles les plus éloignées. Le premier est l’orientation. A partir de 2013, l’expérimentation de nouvelles procédures accordera plus de responsabilités aux élèves et leurs familles. Le second l'évaluation, dans le système éducatif français l'erreur est plus grave à cause de l’importance de la note. Le troisième est le règlement intérieur : des mesures vont permettre d’y faire rentrer les principes généraux du droit.
Changer les relations implique, selon François Dubet de changer l'école : expliquer, ne pas demander la confiance. En même temps il prend acte de la difficulté par exemple à supprimer notes et devoirs alors que les parents les perçoivent comme moyen d’avoir un regard sur le scolaire. L'école, dit-il, doit affirmer ses projets. Pour Jean-Paul Delahaye l'école attend des parents qu'ils participent à son fonctionnement, c’est la condition de l'appartenance à une communauté. C'est souvent dans les établissements les plus difficiles qu'on a changé les choses au-delà des réunions institutionnelles peu fréquentées, par les CESC (comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté), les réseaux illettrisme... Reste le problème des locaux scolaires : il faut un espace dans l'école pour les parents. Pierre-Yves Madignier rappelle que lorsque l'enfant a le sentiment d'un conflit de légitimité, c'est extrêmement difficile. Les situations de familles à structures différentes révèlent un problème de formation et d'ouverture intellectuelle pour que le partenariat enfants / parents / enseignants puisse se réaliser.
En conclusion de cette table ronde, François Dubet rappelle que « la distance de l'école protège plus qu'on ne l'imagine. Personne ne veut une école centre social ». Pour Jacqueline Costa Lascoux , il faudra être plus clair sur les partenariats. C'est une erreur de parler de « métier de parent ». C'est un rôle, inscrit dans une relation asymétrique : les enseignants ont leur travail. Ce qui se passe à l'école n'a rien à voir avec ce qui se passe dans les familles. Il est important de resituer chacun dans sa légitimité afin que l'école puisse conserver son ambition.
Dominique Bertinotti, Ministre chargée de la famille, clôt la matinée. Selon elle, la société ne rentre pas assez à l'école. Elle met en avant le soutien à la parentalité. Il faut prendre en compte la diversité des modèles familiaux (1 enfant sur 5 vit dans une famille monoparentale, 1 sur 9 dans une famille recomposée). L'école doit le prendre en compte pour une diversité des réponses.
D’autre part l'école doit aller vers la notion d'hospitalité : on n'imagine pas à quel point franchir le seuil de l'école est complexe. Il arrive que les mères, les familles, aient besoin de médiation pour pouvoir se rendre à la convocation d'un principal de collège.
Elle insiste enfin sur la préscolarisation des 2-3 ans avec le dispositif de classe passerelle, dans l'école, associant du personnel municipal petite-enfance et du personnel Éducation nationale. Elle donne l’exemple du dialogue établi dans l’une d’elles avec deux mamans qui évoquaient des rapports complexes à l'école: l’une évoquait sa peur de livrer son enfant à un enfer, l’autre sa peur de la séparation. Cette classe permet de corriger des inégalités scolaires liées à la maitrise de la langue, mais aussi permet de changer la relation des parents à l'accompagnement des enfants dans ce qu'ils font à l'école pour limiter la rupture.
La restitution qui a suivi les ateliers de l’après-midi permet de se faire une idée de leur contenu :
L'atelier 1, "Vers une nouvelle conception du décrochage : la persévérance scolaire?" s'est interrogé sur la manière d'anticiper sur le décrochage. Le concept de persévérance scolaire, venu du Québec, implique que chacun doit construire sa propre réussite. Il est axé sur la prévention pour éviter la souffrance. Le consensus s'est fait autour de l'idée de partir des besoins de l'enfant, de l'idée que la réussite est une notion individuelle, que le phénomène de décrochage est lié à l'Éducation Nationale, certes, mais aussi à l'environnement, qu'il faut donc mettre en place une politique de prévention. Il existe une multitude de dispositifs à rendre lisibles et mettre en cohérence à tous les niveaux : au niveau ministériel, c'est l'objectif d'une convention entre les ministères de l'éducation nationale et de la ville, sur la carte des quartiers prioritaires, sur la nécessité d'une formation pluridisciplinaire concernant les enseignants et les partenaires.
L'atelier 2, "École et familles : vers une nouvelle alliance ? " s'est demandé comment faire des familles des partenaires? Les conditions pour une nouvelle alliance ont été définies : concilier le temps de l'école et le temps des parents, « assurer une continuité des acteurs de l'école » (une stabilisation des principaux), prendre en compte aussi les parents non francophones, illettrés ou ayant d'autres valeurs. C'est à construire ensemble en utilisant l'évolution de la formation des enseignants et des personnels de l'Éducation Nationale, en utilisant les programmes éducatifs de territoire.
L'atelier 3, "Quelle place pour le bien être au sein de l'école?" a souvent été amené, pour définir le bien être à faire référence à la définition de la santé par l'OMS comme un "total bien être psychique, physique et moral". Cela recoupe la confiance en soi, l'accueil, la bienveillance et apparait comme une injonction contradictoire avec le poids de la norme et la performance. Des facteurs de mal être ont été identifiés : notes, devoirs, redoublement, ennui. La réponse nécessite une désegmentation des interventions, un travail sur le lien social.
L'atelier 4, "Quels outils pour faire vivre le partenariat ?" a affirmé la nécessité d'une impulsion politique pour mettre en place la concertation au service de la cohérence, du besoin d'exigence, reflet d'un véritable professionnalisme. L'atelier a exprimé un satisfecit au sujet de la préparation d'une charte et de la prochaine constitution d'un observatoire en souhaitant qu'il soit au service des acteurs. Il s'est questionné au niveau du pilotage local. Il a par contre fait état de la crainte de la remise en cause de ce qui existe, et du problème du temps : le temps éducatif s'inscrit dans la durée au contraire du temps politique. Il a exprimé une volonté de souplesse pour que le cadrage donne des éléments sans contraindre le terrain.
L'atelier 5, "Quelle évaluation pour la réussite éducative ?" a fait émerger des questions et tensions permettant d'élaborer des outils de suivi : parle-t-on des programmes de réussite éducative ou de réussite éducative au sens plus large, quelles attentes selon les commanditaires (financeurs, Éducation Nationale), il faut penser le temps nécessaire sans se précipiter, l'évaluation ne doit pas consister seulement dans du chiffrage, elle doit inclure de l'observation qualitative.
L'atelier 6, "Quel accompagnement à la scolarité ?" a fait émerger quelques consensus autour de la nécessité pour les partenaires de se connaitre et se faire connaitre pour accepter les différences, de travailler dans la durée, de se méfier de l'expression "aider les familles". Il est apparu comme problématique que le contenu de la charte soit inconnu, la volonté de renouveler la politique ne doit pas casser ce qui existe. Le souhait a été exprimé de pouvoir agir au plus près du territoire.
J’ai, quant à moi, participé à l’atelier 7 qui a réfléchi sur ce que les pratiques artistiques, culturelles et sportives apportent à la réussite individuelle et collective. Cette problématique a été traitée autour de 3 axes.
Les vertus du collectif sont tout d’abord mises en évidence à travers l’exemple de l’orchestre d’un collège ÉCLAIR, Claude Le Lorrain, à Nancy, mené en partenariat avec l’école de musique. L’expérience montre un effet positif sur les résultats scolaires par le développement de compétences telles que la concentration, l’écoute, le respect. Par ailleurs cela apporte aux élèves et à leurs familles, la fierté de changer l'image de l'établissement. Quelques conditions pour une telle réussite : que le projet soit ambitieux : même s’il ne s’agit pas de former de futurs musiciens, on parle d’apprentissages et pas d’animation « ludique » ; d’autre part c’est un engagement fort de l’établissement, y compris la principale, garante de la cohérence de l’ensemble du projet d’établissement et de l’ensemble de son volet culturel, qui se mobilise pour trouver les partenaires et les financements (Conseil général, Préfecture, entreprises…) et qui accompagne les élèves et enseignants pour que le stress lié aux enjeux devienne de la fierté.
Les pratiques artistiques, culturelles et sportives sont présentées par ailleurs comme un pas de côté par rapport à l'école : elles se déroulent ailleurs, les bons ne sont pas forcément les mêmes que dans les activités scolaires (propos qui trouvera un fort écho dans les souvenirs de Picouly), ils sont avec d'autres enfants et d'autres adultes. Elles mettent en avant d'autres qualités (prise d'initiative, responsabilité, créativité, agilité, concentration...), valorisent la singularité qui est souvent laissée de côté à l'école, dans les travaux de groupe. Cet axe de réflexion a été fortement investi par les associations partenaires de l’école qui ont tenu à témoigner de la place qu’elles occupent sur le terrain.
Quelques questions sont demeurées en suspens : ce pas de côté peut-il être fait à l'école? Mais certains ont répondu que les domaines artistiques, culturels et sportifs sont aussi des enseignements scolaires. Si c'est à l'extérieur de l’école qu’on les développe, comment fait-on le lien, comment capitalise-t-on ?
Enfin le président de son Conseil Général du Nord a tenu à préciser que l'implication du département dans la prise en compte globale de l'enfant n'est pas un acte philanthropique : ce qui n'est pas investi dans l'éducation aujourd'hui, sera à payer dans la reconstruction sociale demain. Chaque minute, jour et nuit, dit-il, représente pour son département 1000€ au titre du « RSA-socle », soit au total un budget annuel supérieur à celui dont bénéficie le Ministère de la ville. Le projet départemental, vise à assurer la réussite éducative en prenant en compte les différents temps – scolaire, privé et social – pour s’adresser aussi aux « parents décrocheurs ».
Quelques éléments me gênent, dans cet atelier, comme dans l’ensemble de la journée.
Tout d’abord le poids des symboles. Cette journée était un temps de mobilisation au service de ceux à l’encontre desquels le fonctionnement scolaire (et universitaire) traditionnel redouble l’impact de la sélection sociale. Or, la journée a été rythmée par la référence, parfois révérencieuse, aux « temples du savoir » dans lesquels nous nous trouvions, le grand amphithéâtre de la Sorbonne et Louis-le Grand. Ceux des animateurs de l’atelier qui appartenaient à l’Éducation Nationale ont exprimé un sentiment ambivalent, ils étaient à la fois gênés et flattés de se retrouver en disposition frontale, perchés sur une estrade, devant un tableau à craie. Ce poids des symboles ne touchait manifestement pas les politiques de la tribune, président de Conseil général et sous-préfet, qui sont pourtant les véritables décideurs des orientations et de l’avenir de la politique de réussite éducative.
Deuxième gêne. A plusieurs reprises, il a été dit qu’une clé de la politique de réussite éducative serait la désegmentation des actions. Or les discours n’ont eu de cesse de segmenter l’ensemble des acteurs. Séparation entre parents et enseignants, entre enseignants et associations partenaires, entre… Il ne s’agit pas de nier les différences de point de vue, les différences dans les modalités et les contenus des actions… Mais si on veut VRAIMENT œuvrer à la réussite éducative ces différences ne sont productives que si on accepte d’interroger ses propres pratiques à partir du regard des autres, si on s’interroge sur les complémentarités. Telle est à mes yeux la condition d’un véritable accompagnement éducatif, faute de cela les enfants, les jeunes sont laissés seuls responsables de la cohérence entre les actions qui prétendent toutes les placer au centre.
Vous connaissez peut-être cet exercice de théâtre destiné à construire la confiance dans un groupe. Une personne, au centre, ferme les yeux et se laisse aller, passant ainsi de bras en bras. Quand on est vraiment accompagné c’est délicieux, quand vous êtes jeté d’un participant à l’autre vous perdez toute confiance. Que veulent vraiment les « acteurs de l’éducation » ? En défendant leurs prés carrés, non seulement ils renoncent à leur pouvoir de construire collectivement un « projet éducatif » pour se livrer au pilotage par les politiques familiers des estrades, mais, pire, ils risquent de nourrir le décrochage scolaire et la marginalisation.
De l'intervention de Daniel Picouly, qui a suivi la restitution des ateliers, je retiendrai cette remarque : dans les familles d'enseignants on ne sépare pas éducatif et scolaire, tout l'éducatif nourrit le scolaire, cela explique la place de leurs enfants sur le podium de la réussite ; il faut faire cela pour tous. Autre façon, me semble-t-il, de dire que notre enseignement doit comporter une dimension éducative, mais aussi qu’il importe de nourrir l’ambition de nos élèves pour, comme le font les parents enseignants ou ceux des catégories favorisées, faire de toute situation un cadre éducatif, pour créer liens et ponts entre cadres formels et informels.
Trois ministres assureront la conclusion de cette journée.
Pour George Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative, la cohérence apparaitra dans le temps long et dans la prise en compte de la diversité des territoires. La réussite éducative s'inscrit dans la refondation avec les chantiers de la formation, de la priorité à l'école primaire, des rythmes et dans la construction des projets éducatifs locaux. Un texte élaboré conjointement avec l'Acsé, agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, servira de base pour l'élaboration d'une charte, un partenariat avec l'ifé, institut français de l'éducation, permettra l'évaluation, la fonction d'observatoire et la mutualisation. Une circulaire sur la famille à l'école est également en préparation.
François Lamy, ministre délégué chargé de la politique de la ville, voit dans la réussite éducative une notion plus large que la seule réussite à l'école. La mission de la politique de la ville est d’apporter plus à des territoires confrontés à des difficultés. Surmonter les « fractures territoriales » passe par le dialogue de cultures professionnelles différentes au sein des nouveaux contrats de ville, dans le prolongement du diagnostic porté par une équipe pluridisciplinaire. Selon lui, le programme de réussite doit demeurer une priorité malgré les restrictions financières (il représente 1/4 des moyens de son ministère). Prochainement une convention signée entre les trois ministères visera une redistribution des fonds publics pour faire participer les autres acteurs (santé, social…) à l'effort : par exemple en matière de santé le programme de réussite éducative est actuellement amené à des prises en charge, de même il finance des éducateurs de rue pour les plus de 16 ans, ce qui relève des départements.
Vincent Peillon reprend ses thématiques de pacte entre l'école et la nation, de refondation de la République par l'École, soulignant qu’aujourd’hui il y a une brèche : l'école ne pallie pas les inégalités et même les accroit ; on culpabilise, on stigmatise ceux qui échouent alors qu’ils recevraient plus mais la Cour des comptes a montré qu'on donnait en réalité plus à ceux qui ont plus (classes préparatoires, plus de places en maternelle dans les beaux quartiers).