Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 16
    Jan

    Jean-Paul PAYET, Ethnographie de l’école. Les coulisses des institutions scolaires et socio- éducatives

    Note de lecture du FA 195, par Carla CAMPOS CASCALES

    Jean-Paul PAYET, Ethnographie de l’école. Les coulisses des institutions scolaires et socio- éducatives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016 (224 p., 19 euros).

    Avec une portée clairement pédagogique sur les démarches qualitatives et inductives et le choix d’un cadre de recherche précis — l’institution scolaire —, cet ouvrage se pose cependant une question qui excède l’objet qu’elle traite : que fait, de manière générale, l’ethnographe ?

    Ainsi, ce livre est un levier pour une interrogation de l’étanchéité des différentes disciplines académiques et de leur besoin de renouvèlement et de remise en question puisque de l’analyse de l’institutionnalisation de cette pratique de recherche en particulier, nous basculons progressivement vers une réflexion plus large sur la responsabilité de la recherche scientifique en général. Le mot qui revient souvent est celui de la légitimité de cette pratique. F. Giuliani met en avant le problème du désaccord entre les attentes des agences de financement et le type de travail de l’ethnographe, qui fait de ce dernier un rebelle face à l’approche hypothético-déductive préférée par les institutions qui financent les recherches : « Il est attendu que les projets de recherche énoncent à priori les hypothèses qui seront mises à l’épreuve du terrain. » (p. 43). Or l’ethnographie adopte cette perspective « théorique et sensible » dont nous parle J.-P. Payet (p. 62) qui correspond à une plongée complète dans le milieu d’étude, une attention acérée aux paroles, aux détails, un regard attentif à chaque anecdote qui pourrait faire basculer nos présupposés et amener la problématique initiale vers une direction complètement différente, mais surement beaucoup plus juste. Il s’agit bien du principe de la « Grounded theory » ou « Théorie ancrée » qui est ce cadre théorique dans lequel la théorie est justement indissociable de ses essais, de sa constante confrontation au terrain dans un mouvement de va-et-vient ; ce qui crée une recherche plus responsable, dans le sens où elle prend conscience de son perpétuel statut d’inachèvement et de son ouverture toujours possible à de nouvelles interprétations : « Ce processus analytique montre que les “résultats” de la recherche peuvent sensiblement se modifier à la fois au cours de l’enquête » (p. 49). Ainsi, ce qui rend ces textes d’autant plus intéressants est un questionnement sur les responsabilités sociales et politiques de la recherche qui dépasse les limites du simple questionnement académique. Il s’agit donc de poser la question de la « nature de l’engagement du chercheur » (Lelubre 2013 : 25)4 en de nouveaux termes. Allant donc dans le sens d’un chercheur en sciences humaines comme I. Jablonka (2014) qui repense « l’écriture- méthode » et la notion de discipline5 ou encore poursuivant les revendications sociologiques d’E. Becker, qui ouvre l’ouvrage, l’ethnographie est présentée comme une solution pour maintenir en éveil le chercheur et l’ouvrir toujours à l’étonnement. Il s’agit de prendre la réalité dans toute sa complexité face à la tendance scientifique actuelle qui, « contraignant de plus en plus le quotidien du chercheur » (Payet, p. 212), la réduit et la simplifie, mettant en danger une approche responsable de phénomènes cruciaux pour comprendre la société aujourd’hui.

    Ce livre se pose contre ce « nouvel ordre scientifique à logique productiviste et néolibérale, propre à l’université nord-américaine [...] dont la démarche de recherche hypothético-déductive en est la condition. » (p. 206). Ainsi, « l’expérience ethnographique met au défi le chercheur de renouveler (p. 59) » tout en se renouvelant.

    Carla CAMPOS CASCALES 

     

    4. M. Lelubre, La position du chercheur, un engagement individuel et sociétal, Recherches qualitatives, hors-série, 14, 15‐28, 2013. 

    5. I. Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine : manifeste pour les sciences sociales, Paris, Seuil, 2014.

     

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