INCLURE : FRANÇAIS DE SCOLARISATION ET ÉLÈVES ALLOPHONES
CHERQUI Guy, PEUTOT Fabrice,
Hachette Français langue étrangère, 2015, 224 pages
Code ISBN : 9782011559821
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La scolarisation des élèves étrangers a souvent été objet de discussions. Tout d’abord sur la manière de les nommer : parle-t-on d’élèves « nouvellement arrivés » (circulaires de 2002) ou « nouveaux arrivants » ? ou « enfants immigrés » ? « primo-arrivants » ? « élèves de nationalité étrangère » ? « élèves non francophones » ?
Selon les dénominations, l’accent est mis tantôt sur l’origine, tantôt sur le statut juridique, ou sur le statut social, ou sur les connaissances linguistiques, considérées de manière négative dans ce cas…
Les auteurs commencent par poser le problème dans sa complexité, d’ordre institutionnel tout d’abord, sans méconnaitre les ambigüités que recouvrent certaines appellations. Ainsi, l’élève « allophone nouvellement arrivé » (circ. de 2002) apprend le français, qui sera pour lui une langue seconde, ce qui méconnait éventuellement le fait qu’il a pu être scolarisé dans un pays où cette langue est aussi langue d’enseignement.
La question est alors celle des compétences en langue française déjà acquises, le cas échéant, et de celles nécessaires pour suivre une scolarité en France, avec nos pratiques de la langue scolaire, de l’écrit en particulier, mais pas seulement.
Une des difficultés réside également dans l’évaluation des compétences dans les divers domaines disciplinaires acquises en langue maternelle : comment évaluer si l’on ne dispose pas d’outils adaptés à la langue de l’élève ? Les auteurs mentionnent qu’en Italie, la présence d’examinateurs locuteurs de la langue des allophones est possible aux examens de fin du premier cycle, et même le recours à la langue maternelle dans certaines disciplines.
Les débats et les solutions proposées en France ont le plus souvent été « techniques », organisationnels. On a vu ainsi fleurir nombre de sigles au fil des années (CLIN, CRI, CLA, CLAP, DAI, MODAC…) avant d’imposer en 2012 (définitivement ?) celui de UPE2A : Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants. Ce qui oppose en fait les débatteurs les uns aux autres, c’est d’un côté l’idée qu’il faut faire acquérir une bonne dose de langue de base avant de lancer ces enfants dans des apprentissages disciplinaires dans ladite langue, ou d’un autre côté ne leur proposer qu’un enseignement de langue spécifique réduit pour pouvoir les intégrer plus rapidement à la classe ordinaire. Débats qui ont eu lieu aussi en didactique des langues, dont le FLE, mais il y a une quarantaine d’années…le Niveau Seuil du Conseil de l’Europe, en 1975, amenait déjà à prendre en compte les besoins en fonction des situations de communication : on pouvait faire apprendre à un adulte débutant parce qu’il en avait besoin dans des situations professionnelles : « je suis très heureux de vous rencontrer ».
Ce qui est en jeu également, et c’est aussi un point « technique », c’est l’inscription de l’enfant dans une classe « ordinaire » ou dans une classe spécifique. Le second cas est celui de « l’intégration », le premier celui de « l’inclusion », privilégié maintenant. On pourra regretter en passant que les auteurs s’attardent sur ces questions de sigles, de dénomination avant de rentrer dans le vif du sujet : quel que soit le dispositif, l’accompagnement de l’élève dans et hors la classe ordinaire reste essentiel : les besoins, les progrès, les difficultés rencontrées éventuellement dans telle ou telle discipline et le rapport entre difficulté linguistique et difficulté cognitive. Ce qui oblige à différencier et à individualiser l’enseignement. Cette inclusion d’élèves à besoins langagiers rejoint bien entendu celle des enfants en situation de handicap et est, pour les auteurs, inséparable de celle de la pédagogie par compétences, elle-même consubstantielle à de nouveaux modes d’évaluation (chap. 2).
D’autres dispositifs et éléments de cadrage institutionnel sont étudiés au chapitre 3, pour regretter une absence de pilotage national : les acteurs sur le terrain font comme ils peuvent, avec des compétences en FLE acquises à l’étranger parfois, en recourant à des examens prévus pour des élèves de FLE à l’étranger (le DELF par exemple) ; au sein des académies comme dans la structure ministérielle et l’IGEN, les réponses sont variables et floues. Il serait temps de se poser la bonne question, celle des compétences à acquérir en langue pour réussir sa scolarité (autant que faire se peut) et donc, en corolaire, la question du statut de la langue à l’école (p. 82-83). Si la « maitrise de la langue », ce sont des automatismes grammaticaux et orthographiques, comme dans les programmes de 2008, on n’aidera pas beaucoup ces élèves. Il est nécessaire de bien prendre en compte la dimension « oralographique » de l’enseignement, c’est à dire le fait que le discours du professeur comme celui qu’il attend des élèves vient de et va vers des écrits, ce qui lui confère des spécificités par rapport à la lecture d’un texte ou une discussion sur des activités de vie quotidienne. (point développé au chap. suivant, p. 120)
Par ailleurs, l’outil statistique doit être amélioré pour mieux permettre le suivi des cohortes.
Les auteurs font ensuite le parallèle entre l’enseignement à des élèves allophones et les situations d’enseignement bilingue, avec en perspective une meilleure prise en compte de la langue et de la culture de l’élève. Ainsi, on pourra mieux envisager de le faire participer à des projets, on pourra mieux lui apporter les éléments de langue mais aussi socioculturels nécessaires à la conversation hors de l’école et dans l’école, on pourra enfin mieux le faire travailler avec les outils numériques et permettre leur appropriation. La réponse pédagogique est donc dans un continuum FLE-FLS-FLM (p. 115). Pour les élèves, la compétence est complexe, comme le montrent les auteurs avec de (bons) exemples de dialogues en classe, de tableaux de savoir-faire, d’exemples d’activités de communication nécessitant des éléments linguistiques différents et des niveaux de formulation suivant les classes. Pour approfondir ce chapitre déjà le plus fourni de l’ouvrage, on pourra se reporter, comme y invitent les auteurs, à Gérard Vigner : Le français langue seconde : comment apprendre le français aux élèves nouvellement arrivés, Hachette Éducation 2009 ; et à Jean-Claude Beacco : Éléments pour une description des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’enseignement /apprentissage de l’histoire, Conseil de l’Europe, 2010 ; (disponible en ligne sur le site du Conseil de l’Europe).
En fin d’ouvrage, Cherqui et Peutot reviennent sur des « questions non-résolues : évaluation, examens, orientation » (p.181), sur la formation des enseignants, sur certains outils comme le portfolio, sur le Socle commun et sur le Cadre européen (CECRL) dont les correspondances ne sont pas simples, le cadre n’ayant pas été prévu pour des apprenants utilisant la langue comme langue d’enseignement et de l’école. Par exemple, l’item « utiliser des mots précis pour s’exprimer » est au palier 1 du Socle mais au niveau B1 du CECRL.
Ces questions restent pendantes, des travaux se poursuivent sous l’égide du Conseil de l’Europe pour les langues de scolarisation [« Les dimensions linguistiques de toutes les matières scolaires, Un guide pour l’élaboration des curriculums et pour la formation des enseignants », une version « guide en bref » existe également, par JC Beacco, M. Fleming, F. Goulier, E. Thürmann, H. Vollmer ; 2015, accessible à :
www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Handbook-Scol_final_FR.pdf ; non encore paru quand cet ouvrage a été rédigé, mais cet ouvrage a le grand mérite de poser la question du statut de la langue à l’école et de proposer quelques solutions, valables – à mon point de vue – pour tous les élèves quelle que soit leur origine, solutions basées sur la compétence de communication qu’il serait – enfin ! – temps d’intégrer à la didactique du français.
Gérard Malbosc