Idée reçue n°9, « Aide shoma mobarak » ou la poésie serait un genre élitiste
Certes, un certain usage de la poésie, comme de la littérature en général peut être élitiste. Certes, mais… Mais il est un pays où l’on peut assigner à domicile un cinéaste mondialement reconnu[1], un pays où l’on peut emprisonner une actrice parce qu’elle a osé apparaitre en public, à l’étranger, sans foulard[2], un pays où l’on condamne des actrices à la prison et au fouet[3] , un pays où règne la censure, un pays qui, alors que l’OCDE a fait de la culture un champ soumis aux lois d’airain du marché, ne craint pas de mettre à mal sa propre « industrie » cinématographique, et ce pays résiste par la poésie.
A Chiraz, le 20 mars, jour du printemps, c’est sur la tombe de Hafez – auteur du Divân qui vécut dans cette ville au quatorzième siècle – que les habitants se sont réunis pour fêter dans la liesse le passage à l’année 1393[4].
Ce peuple sait qu’il doit sa survie à un poète, Ferdowsi (935-1020 ap.JC), auteur du Shâh-nâmeh, le Livre des rois. Dans un pays arabisé, plus de trois siècles après la conquête, celui-ci a retrouvé auprès des villageois méprisés la langue que « l’élite » avait oubliée et a pu écrire sans utiliser un mot d’arabe la grande épopée persane[5]. Depuis, les enfants apprennent des vers de Ferdowsi, Khayyam, Roumi, Nizami, Saadi, Baba Taher et d’autres, en même temps qu’ils apprennent à parler, Hafez rythme la vie de famille… Imaginez que nous apprenions à lire dans la Chanson de Roland…
Imaginez un instant que notre pensée soit forgée par l’usage de la métaphore plutôt que par le raisonnement cartésien et il vous sera facile de comprendre que tout un peuple, au-delà des mouvements de Résistance, puisse exprimer son humanité en récitant « Couvre-feu », et ses aspirations en apprenant « Liberté »[6].
Il me semble impossible que toutes les personnes appelées à enseigner le français traitent la littérature et la poésie comme des Écritures exclusivement vouées à un culte, des Écritures qui excluraient tout commerce intime aussi bien que tout implication citoyenne ou sociale, qu’aucune n’ait rencontré un texte qui ait pris une place particulière dans sa vie. C’est la saveur de ce(s) texte(s) que vous êtes invité(e)s à partager en écrivant à contact@afef.org pour qu’ensemble nous construisions une « Défense et Illustration de la Littérature ».
[1] Voir par exemple cet article sur Djafar Panahi : http://www.contreligne.eu/2014/02/au-coeur-du-cinema-iranien-djafar-panahi/
[2] Pegah Ahangarani
[3]Marzieh Vafamerh
[4] http://news.gooya.com/didaniha/archives/2014/03/177220.php ; la république islamique n’a jamais réussi à imposer le calendrier lunaire arabe (actuellement 1435), le calendrier officiel iranien est donc un compromis : il prend comme point de départ l’Hégire et non la naissance du Christ mais respecte le rythme annuel solaire.
[5] Si les mots et la syntaxe sont persans, l’alphabet est arabe (avec quelques petites différences), l’utilisation de l’alphabet est plus « efficace » que l’écriture cunéiforme !
[6] Paul Eluard, 1942