Idée reçue n° 5 : français et mathématiques sont deux disciplines étanches voire antinomiques
Lu dans le Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008, rapport de l’Inspection Générale sous la direction de Philippe Claus, daté de juin 2013 :
« Il a fallu aussi revisiter la notion de « situation - problème » en rappelant que des énoncés relativement épurés étaient eux aussi des « situations problèmes » pour les élèves et qu’ils présentaient l’avantage de mettre la focale sur la modélisation conduisant à la résolution mathématique, facilitant l’acquisition de méthodes sûres de résolution. Ainsi cette situation (Évaluations CE1, 2012) : « un fleuriste a composé 17 bouquets de fleurs. Dans chaque bouquet il y a 5 fleurs. Combien a-t-il utilisé de fleurs pour composer l’ensemble de ces bouquets ? » est bel et bien une « situation problème » présentant un haut niveau de complexité et de difficulté pour les élèves ; d’ailleurs, seulement 40 % des élèves de fin de CE1 donnent la bonne réponse. Pour cet exercice, comme pour tout problème, les étapes à franchir pour la résolution sont : comprendre l’énoncé (la situation : 17 bouquets de 5 fleurs), s’engager dans une démarche adaptée (opération 17 + 17 + 17 + 17 + 17 + 17 ou 17X5), mettre en œuvre, techniquement, cette démarche (effectuer l’opération) et communiquer son résultat. La capacité à modéliser (transporter le problème dans le monde mathématique) est une des clés de la réussite en résolution de problème : ici, l’élève qui tente de trouver la solution par simple comptage à partir d’un dessin représentant les bouquets de fleurs perd beaucoup de temps et a, de plus, peu de chances de réussir. » (p. 37)
Dans cet exemple, la dimension mathématique réside dans la démarche et le savoir qui la sous-tend : la commutation 17X5 = 5X17 qui rend l’usage de l’addition plus aisé et diminue le risque d’erreur de calcul. Mais, si la première étape que doivent franchir les élèves est bien de se représenter la situation pour comprendre l’énoncé, alors (pour imiter les formulations mathématiques, sans les parodier parce qu’elles ont l’intérêt éminemment didactique de mettre l’accent sur les articulations logiques d’un raisonnement), alors, donc, ce problème est linguistique. Reprenons :
« un fleuriste a composé 17 bouquets de fleurs. Dans chaque bouquet il y a 5 fleurs. »
Cette présentation des données du problème est reformulée ainsi par les inspecteurs pour en exprimer la compréhension :
« la situation : 17 bouquets de 5 fleurs » sans doute serait-il d’ailleurs plus explicite de dire : 17 bouquets de 5 fleurs chacun.
C’est sans doute ce travail de reformulation auquel il conviendrait d’entrainer les élèves. La « capacité à modéliser (transporter le problème dans le monde mathématique) » qui « est une des clés de la réussite en résolution de problème »repose autant et conjointement sur la complexité des représentations du monde construites par le développement de la compréhension à travers un travail linguistique et sur l’apprentissage de propriétés et démarches mathématiques.
Il repose par conséquent sur des savoirs linguistiques que les enseignants doivent maitriser : progression thématique, nominalisation et pronominalisation, autant de savoirs indispensables POUR enseigner. Les prendre pour des savoirs À enseigner serait au mieux vain, au pire facteur d’aggravation des inégalités par le temps (donnée pédagogique si précieuse !) dilapidé, par le découragement provoqué par un niveau d’abstraction inaccessible avant longtemps pour les élèves, par la désaffection pour les apprentissages linguistiques qui naitrait d’un enseignement aussi technique.
Dominique Seghetchian