Guide pour l'élaboration des curriculums et pour la formation des enseignants
Les dimensions linguistiques de toutes les matières scolaires.
Jean-Claude Beacco, Mike Fleming, Francis Goullier, Eike Thürmann, Helmut Vollmer, avec des contributions de Joseph Sheils. 2016.
ISBN978-92-871-8366.8
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« La maitrise de la langue de scolarisation est essentielle pour développer chez les élèves les compétences nécessaires à la réussite scolaire et à la réflexion critique. Elle est fondamentale pour la participation à nos sociétés démocratiques, pour l’inclusion et la cohésion sociales. » (p.2)
C’est par ces mots, auxquels l’AFEF ne peut que souscrire, que commence ce gros et important document publié en 2015 après plusieurs années de travail d’un groupe d’experts en didactique des langues sous l’égide du Conseil de l’Europe.
D’autres documents sont déjà parus depuis 2006 sous le nom générique de « Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle »[1]. Ce titre dit bien l’un des objectifs essentiels de ce travail : l’éducation plurilingue et interculturelle. Mais pour que cette éducation ait des chances de réussir, il est nécessaire, comme le disent ces quelques mots de la préface cités ci-dessus, que les élèves, quelle que soit leur origine, aient un accès aussi développé que possible à la langue de scolarisation, de façon à leur permettre de progresser régulièrement dans les apprentissages.
Des travaux du Conseil de l’Europe, on connait le « Cadre européen commun de référence sur les langues », publié en 2000, intégré en ce qui concerne les niveaux d’évaluation au « Socle commun de compétences et de connaissances » en 2005 et aux programmes scolaires quant à la méthodologie.
Dans les années 1975, le « Niveau seuil » est venu modifier profondément les programmes et méthodologies mis en œuvre dans la plupart des pays pour l’apprentissage des langues, largement au-delà de la sphère d’influence du Conseil de l’Europe, sauf notablement dans le nôtre…
Cette « plateforme » et ce « guide » subiront-ils le même sort ? Force est de reconnaitre que l’on voit bien peu d’articles, de notes, d’ouvrages, de prises de position à ce sujet.
Et pourtant, des réponses sont ici proposées à ces questions essentielles pour le développement de nos démocraties : comment faire réussir tous les élèves à l’école dans toutes les matières en améliorant leurs compétences en langue(s) ? Comment tenir compte de leurs compétences déjà là en langue(s) de la maison et langue de l’école comme dans les diverses matières ? Comment concevoir des principes méthodologiques généraux pour la langue comme matière et pour les autres matières et des adaptations au niveau de l’école, voire individuelles ? Comment former les enseignants, en initial comme en continue, sur ces questions ? Comment « sensibiliser les enseignants de toutes matières aux défis posés par la nécessité d’aider leurs élèves à maitriser les compétences langagières exigées par leurs disciplines scolaires » (comme le dit le document p. 9) ?
Le document s’étend sur 12 chapitres, 146 pages et des annexes. Il est accessible en ligne et a été conçu pour être lu en partant de n’importe quel point. Certains principes sont donc rapidement répétés si besoin est d’un chapitre à l’autre. Il est d’une lecture aisée, destiné au plus grand nombre et ne nécessite pas de connaissances techniques particulières.
Une version abrégée d’une trentaine de pages est également disponible. Mais la lecture du guide est préférable, et le renvoi vers des documents de la plateforme concernant l’histoire, les sciences, les mathématiques et la littérature sont très utiles pour bien comprendre comment les enseignements/apprentissages peuvent être organisés.
Le constat de départ est le suivant, bien connu de beaucoup d’enseignants de tous niveaux, mais qui n’ont pas les outils pour y faire face efficacement (p.8) : « Beaucoup d’élèves n’ont pas les compétences requises pour bien construire leurs connaissances lorsqu’ils entament leur scolarité. Or, il peut se faire que, faute de rendre ces pré requis suffisamment explicites, une partie du curriculum demeure « cachée », accroissant ainsi les difficultés linguistiques inhérentes à l’école. C’est un problème pour tous les apprenants, mais tout particulièrement pour ceux qui sont issus de milieux socialement défavorisés ou ceux dont la langue familiale n’est pas la langue principale de scolarisation. La reconnaissance de l’importance de la « langue académique » n’est pas élitiste ; c’est au contraire un aspect essentiel de l’action en faveur de l’équité dans les résultats scolaires. La « langue académique » offre un accès à des modes plus diversifiés de pensée ou d’expression. »
Les auteurs préfèrent en effet parler de « langue académique » comme « autre facette de la langue de scolarisation, qui ne renvoie pas seulement aux différentes langues régionales ou nationales utilisées à l’école, mais à un type d’utilisation de la langue plus spécialisé, plus formel et nécessaire à la réflexion ainsi qu’à la conception et à la comparaison d’idées. »(p.14)Ils mentionnent que « Souvent, l’on considère que ce défi consiste à acquérir un nouveau vocabulaire spécialisé. » Or, si ce point est effectivement une difficulté, d’autant que bien des mots ont une acception en langue courante et une autre dans une matière donnée, il existe beaucoup d’autres niveaux de difficulté. Le premier concerne les différences entre langue orale et langue écrite. Bien souvent, on part« du principe tacite que, dès lors qu’ils [les élèves] peuvent participer aux discussions générales sur le contenu disciplinaire en salle de classe, ils sont capables de transférer tout seuls les compétences mobilisées vers la compréhension/le décodage de textes complexes ou la rédaction. Or, si la communication orale en classe est extrêmement importante pour aider les apprenants à utiliser leurs connaissances préalables et à négocier le sens de nouveaux concepts, c’est généralement à l’écrit qu’ils doivent formuler les nouveaux acquis, et ce, d’une manière de plus en plus élaborée, cohérente et abstraite. »(p.14) En particulier, et ceci dit d’une manière très rapide, la langue orale est très liée au contexte, le locuteur accompagne son propos d’éléments non verbaux, mais certaines phrases peuvent restées inachevées. La langue écrite est plus formalisée et marque davantage la distance entre le locuteur et le propos. Un certain nombre d’états intermédiaires existe entre ces deux pôles. Tout cela doit être travaillé en classe, en fonction des « genres », ce qui renvoie aux catégories de production attendues à l’écrit ou rencontrées en lecture. La notion de « texte » est également importante, conçue comme « un bloc de productions orales et/ou écrites considérées comme un tout ». Mais si l’on demande aux enseignants de matières dites « non linguistiques » de travailler ces points dans leur matière, ils peuvent se sentir à la fois démunis, non préparés, et déclarer manquer de temps.
Pourtant, le rôle de la langue dans la construction des savoirs est primordial. Le document introduit la notion de « fonction linguistique cognitive ». Ce qui signifie que les élèves, les apprenants, sont amenés en classe à des tâches comme expliquer, argumenter, émettre une hypothèse, décrire…, ce qui relève du cognitif, et utiliser, selon les contextes et les attentes, diverses formulations en langue (un compte rendu de la visite d’un musée n’est pas construit ni exprimé de la même manière qu’un compte rendu d’expérience en science ; s’il doit être écrit pour le journal scolaire, sa forme sera également différente de celle d’une production orale en classe.)
Les relations langue- connaissances sont donc complexes. Le document apporte des exemples, renvoie également à d’autres publications qui détaillent les attentes habituelles des systèmes scolaires et ce que l’on peut, pourrait, voire devrait attendre que ces systèmes apportent aux jeunes pour leur permettre de « répondre aux exigences linguistiques nécessaires à leur participation active aux sociétés du savoir modernes et à la vie démocratique » (p.26).
Pour y parvenir, et en résumant très rapidement, il conviendrait de décrire la langue de scolarisation dans les matières, de recenser les fonctions linguistiques cognitives qui apparaissent dans les diverses matières de façon à pouvoir les travailler (ou au moins certaines) de manière transversale, ce qui conduit ensuite à se pencher sur la « littératie » spécifique à chaque matière scolaire, puis sur les répertoires langagiers adaptés aux genres évoqués plus haut, qu’il convient donc de faire apparaitre précisément (chap. 3).
Les chapitres 4, 5, 6, 8 et 9 développent ces points pour les différents niveaux scolaires.
Le chapitre 7 traite de « la langue comme matière » et ses relations avec la langue des matières. Si l’on admet que l’enseignant de langue de l’école n’est pas « au service » des autres matières, en ce sens que son enseignement n’a pas « qu’à être appliqué ensuite dans les autres matières », « Comment faire prendre conscience des liens qui existent entre la langue comme matière et les autres matières ? » (p. 75). Le but ultime, et le plus souhaitable, serait de parvenir au sein d’un établissement scolaire à la formulation d’une politique de la langue par dialogue et négociations entre les enseignants (p.84).
Les chapitres 10 à 12 traitent de l’élaboration du curriculum et de la formation des enseignants pour parvenir à mettre en œuvre ces recommandations.
On aura compris que les implications pédagogiques de ces documents sont évidentes et fortes. Pour dire les choses brutalement : si l’on ne fait que des cours magistraux, on ne se pose aucun des problèmes abordés ici.
Comme il est signalé plus haut, on se reportera aux documents sur l’histoire, les sciences, les mathématiques et la littérature de la « plateforme » pour plus de détails. Un aperçu en est donné sur le site de l’AFEF, dans le dossier « Le français du monde », dans le texte suivant : L’évolution de la didactique des langues étrangères et du français langue maternelle[2].
Ainsi, le document sur l’enseignement de l’histoire, rédigé par JC Beacco[3], est articulé de la manière suivante :
1) inventaire et description des valeurs éducatives visées par les enseignements d’histoire ;
2) inventaire et description des situations de communication sociales dans lesquelles l’histoire est impliquée dans l’environnement social des apprenants ;
3) inventaire et description des connaissances historiques visées ;
4) inventaire et description des situations usuelles de communication scolaire de l’histoire. Les choix à effectuer à l’intérieur de ces possibilités commandent la détermination des finalités et des objectifs des enseignements scolaires. On peut ainsi constituer ensuite :
5) des inventaires et des descriptions des caractéristiques linguistiques, discursives et sémiotiques pertinentes pour les discours impliqués dans les enseignements de l’histoire, qui mériteraient d’être enseignées comme telles dans ce cadre disciplinaire.
On remarque déjà que seul le point 3 est développé habituellement dans nos programmes scolaires. Le travail est donc vaste ! D’autant que, outre les grandes lignes nationales et transversales, des adaptations et compléments ne peuvent manquer d’être nécessaires en fonction des élèves et du contexte scolaire. Le document développe également l’idée de mettre en place dans les établissements ou dans des regroupements des conseillers pédagogiques en littératie (chap. 11). Il renvoie également à un programme européen, EUCIM-TE, auquel malheureusement la France ne participe pas….
Mais ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra prétendre et espérer à la fois réduire les échecs, améliorer le niveau général de la population pour tenter d’assurer l’avenir et permettre une meilleure participation de chacun à la vie sociale et démocratique.
Gérard Malbosc, IEN Honoraire