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Le Français aujourd’hui n° 163, Genre, sexisme et féminisme
PRÉSENTATION
Pierre BRUNO, IUT de Dijon
Max BUTLEN, Université de Cergy-Pontoise, IUFM - Centre de recherche textes et francophonies
Sexisme et féminisme dans la littérature et dans la classe... La question est-elle toujours d’actualité ? En quels termes d’ailleurs pourrait-elle encore se poser après tant de luttes passées ? Pour les tenants de l’universalité des valeurs du système scolaire, il importe d’attribuer à l’école fonction et mission de lutter contre le sexisme du corps social, à tout le moins de constituer un rempart contre certaines de ces composantes (souvenons-nous de la très médiatique question du port du voile). Pour d’autres qui remettent en cause ce prétendu universalisme, pour les tenants d’une « nouvelle sociologie de l’éducation »1, le système éducatif n’est plus perçu comme le correcteur plus ou moins impar- fait de l’environnement social mais au contraire comme une des composantes mêmes du problème. Aussi faut-il s’interroger sur les ségrégations dont le système éducatif est porteur et notamment sur les ségrégations sexistes.
Car le sexisme demeure, hors l’école mais aussi dans l’école. Les programmes et manuels d’histoire littéraire n’accordent qu’une portion congrue aux auteurs féminins. Pour ne prendre qu’un exemple tiré des travaux de Chris- tine Planté, (responsable de l’équipe des dix-neuvièmistes à LIRE-Lyon 2), l’index final de l’Histoire littéraire française du XIXe siècle publiée en 1998 chez Nathan ne comprend que 21 femmes sur 400 à 500 écrivains, journalistes et éditeurs. Sans doute, l’école n’est-elle pas seule responsable et ne fait-elle que reproduire des modes de fonctionnement sociaux et les valeurs de l’institu- tion littéraire : non seulement les femmes ne représentent que 15 % des 600 prix littéraires décernés depuis le début du XXe siècle mais ce taux se réduit encore avec l’honorabilité du prix (9 % pour le Goncourt, 5 % pour le Nobel)2. Inversement les pratiques de lecture restent fortement sexuées : le lecteur de littérature est plus souvent une lectrice. On pourra en inférer une impuissance de l’institution ou bien une responsabilité dans la reconduction des habitus. À tout le moins les faits sociologiques témoignent de la difficulté éprouvée par l’école pour contrebalancer le poids des variables sexistes dans l’accès à la culture et à la lecture.
Force est de constater aujourd’hui la permanence des stéréotypes et discriminations sexistes dans la société et ceux-ci continuent à se refléter pour une bonne part dans l’offre de textes à lire, y compris dans la littéra- ture de jeunesse. Mais il y a plus troublant : comment ne pas s’interroger sur un mouvement régressif caractérisé par exemple par le retour en force de collections pour filles et pour garçons qui avaient temporairement disparu (sous leur forme les plus visibles et les plus contestées du moins) ? Dans un tel contexte, on comprend qu’il ait pu nous sembler utile d’initier une réflexion sur Genre, sexisme et féminisme dans la littérature.
L’objectif de ce volume pourra paraitre modeste compte tenu de l’impor- tance de la question, cependant, dès les premières réflexions sur le sujet, il est vite apparu que nous nous heurterions à deux difficultés majeures liées à l’état (inégal) des besoins d’information et à celui (parcellaire) des savoirs. Face à l’impossibilité, dans un premier temps et dans le cadre de ce seul volume, de réaliser un état des lieux ordonné et objectif de la situation, nous avons cherché à susciter des interrogations, à donner des pistes de lecture, à proposer des exemples des différentes perspectives possibles, à sensibiliser en fait les personnes qui ne s’étaient jamais posé de questions sur ce sujet tout en fournissant aux autres des éléments concrets de débats et d’argu- mentation. Surtout il nous a semblé utile de permettre une meilleure diffu- sion et une mise en perspective de travaux issus de disciplines différentes.
Dans une première partie, nous avons éclairé les manifestations et expres- sions du sexisme dans les trois principaux maillons de la chaine du livre : auteurs, lecteurs et textes. Christiane Chaulet Achour s’interroge sur la place des écrivaines francophones dans le patrimoine littéraire ; Christine Détrez et Fanny Renard témoignent du poids du genre sur les pratiques de lecture à l’adolescence ; Isabelle Smadja et Pierre Bruno traitent de la nécessaire et difficile question de l’évaluation du degré de sexisme d’une œuvre.
La deuxième partie propose des témoignages sur les diverses manières de prendre en compte les interrogations et revendications nées du constat de la permanence des inégalités liées au sexe dans l’école, les textes et la langue.
Parce que l’appellation adéquate constitue un facteur primordial d’iden- tité, Michèle Lenoble-Pinson analyse les résistances culturelles et sociolin- guistiques face au droit de nommer au féminin les noms de métier. Christine Mongenot passe la littérature et son enseignement au crible du sexe ou du genre et se demande pourquoi la dimension sexuée est largement, voire totalement absente de la didactique de la littérature et de la recherche dans ce domaine. Brigitte Riera propose un exemple concret de travail en classe de seconde de lycée technologique sur les représentations de la femme dans Le Rideau cramoisi de Jules Barbey d’Aurevilly, et Séverine Depoilly initie une réflexion sur l’influence du genre sur la différenciation des parcours scolaires et des rapports aux savoirs chez les filles et les garçons.
Pour finir nous tentons de replacer la question du sexisme dans le cadre plus large des études de genre. En effet si, concrètement, la prise en cause des ségrégations sexistes dans l’enseignement du français peut paraitre bien parcellaire, bien contrastée et sans cesse menacée, la réflexion universitaire n’a cessé quant à elle de se développer mais tout en restant aux marges du système. Anne E. Berger et Marie-Madeleine Bertucci établissent, chacune à leur manière, un bilan de l’évolution des revendications féministes et appré- cient leur reconnaissance universitaire et leur influence sur la recherche.
Pierre BRUNO & Max BUTLEN
1. MarieDuru-Bellat,LesInégalitéssocialesàl’école:Genèseetmythes,Paris,PUF,2002,pp.18-19.
2. « Des prix littéraires très masculins » , site de l’Observatoire des inégalités : http://www.inegalites.fr/
