Association française pour l’enseignement du français

Revue Le Français Aujourd'hui

  • 27
    Oct

    Entretien F. Jolly - J.M. Baldner, Photoroman

    Complément FA 182 : Histoire des arts : de la notion à la discipline

    Entretien de Francis Jolly par Jean-Marie Baldner à propos de la collection Photoroman (Francis Jolly - Jeanne Benameur ; éditions Thierry Magnier)

     

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    Photoroman organise une rencontre entre la photographie et l’écriture. La photographie a souvent été associée à l’écriture, mais vous avez créé un appariement bien spécifique. Est-ce que vous pouvez expliquer comment vous avez conçu le projet? Comment vous opérez les choix et les appariements entre le photographe et l’écrivain ?

    La collection « PHOTOROMAN » est née sur une terre de photographie à Arles… Je coordonnais un séminaire interministériel (Éducation/Culture) et je souhaitais inviter un écrivain qui puisse proposer un autre regard sur la photographie, le thème de cette formation était « La photographie comme lien social ». Jeanne Benameur était notre « grand témoin », elle devait assister à toutes les interventions et provoquer débats et échanges. Loin des discours institutionnels, la pertinence de ses interventions, les nouveaux territoires d’interprétations poétiques notamment, qu’elle nous a proposé d’explorer ont tout de suite séduits et trouvé résonnance chez les stagiaires, les soirées Arlésiennes ont fait le reste. Nous avons travaillé l’idée d’une collection pour la jeunesse où texte et image dialogueraient et participeraient à la construction d’un récit, d’une fiction. Le dynamisme et l’enthousiasme de l’éditeur Thierry Magnier ont permis la concrétisation de ce projet

    Très vite nous nous sommes interrogés sur la mise en place de cette « rencontre » ; écrivain et photographe complices avançant ensemble dans l’élaboration du récit ? texte comme déclencheur d’images ? images comme source première ? Nous avions chacun des expériences différentes.

    Bien que n'étant pas particulièrement adeptes des contraintes, nous avons opté pour « le mariage forcé », pensant qu'un univers photographique pouvait trouver échos dans l'imaginaire d’un écrivain.

    Trois écrivains ont donc reçu par courrier et sur leur ordinateur 15 images, non signées, non datées, vierges de tous commentaires de toutes informations, « ovnis » photographiques offerts à tous les fantasmes et toutes les interprétations, pouvant échapper totalement aux intentions de leurs auteurs.

    Dans un premier temps je demande au  photographe de composer une « série »avec 15 de ses images, série intime et secrète.   Une fois cette sélection effectuée, Jeanne s’en imprègne, nous en discutons, et ces images sont envoyées  aux écrivains de son choix. L'écrivain a l'entière liberté concernant l'ordre des images. Il ne s’agit pas  de « coller » à l’univers de l’écrivain mais peut être de l’intriguer,  de le provoquer. La photographie est la plus expressive par ce qu'elle ne « montre » pas, c'est  ce fameux « hors champ » que nous proposons aux écrivains d'explorer.

     

     

    Par le choix de laisser l’écrivain dans l’ignorance et de n’organiser la rencontre qu’après coup, est-ce que vous ne pratiquez pas une double distorsion du texte et de la série photographique. Pourriez-vous expliquer comment les choses se passent, ce qui a bien fonctionné et pourquoi, ce qui a mal fonctionné et pourquoi ?

    Si l’on accepte la définition de la distorsion comme « la déformation d’une image provoquée par la courbure d’un miroir ? » la question est pertinente !! Déformation des photographies par la courbure du texte, et lecture du texte transformée par la présence des images,  nous revendiquons cette double distorsion qui, nous l'espérons à chaque volume, ouvrira aux jeunes lecteurs de nouveaux paysages.

    Comment les choses se passent ? Généralement très bien, tout d’abord le photographe doit accepter que ses images vivent une autre vie que celle qu’il avait peut être imaginée pour elles, ce qui peut paraitre évident mais peut se révéler peu confortable, je pense notamment à un écrivain qui bien que détestant les images que nous lui avions proposées a accepté d’écrire. La place et le statut des photographies dans son récit n’étaient pas particulièrement flatteurs pour ces dernières. La réaction du photographe a été assez dure. Mais c’est aussi ça qui s’est révélé passionnant dans cette aventure, l’image a cette faculté formidable de nous séduire, de nous émouvoir mais aussi de nous provoquer de nous agresser, il faut pour l'artiste photographe intégrer ces réactions, les accepter..

    Je pense également au photographe qui n’a pas du tout apprécié que l’auteur de ses photographies soit, dans le roman, un enfant… Il aurait pu aussi le prendre pour un compliment…

    Mais en règle générale tout se déroule parfaitement bien, les surprises sont nombreuses, les concordances, les « hasards » sont souvent incroyables ; des prénoms de fictions qui sont bien réelles chez le photographe, des situations, des lieux décrits par l’écrivain trouvant des similitudes troublantes dans l’intimité du photographe, prouvant si besoin en était que la photographie révèle beaucoup plus sur ses auteurs qu’ils ne le pensent.

    Je vous invite d’ailleurs à lire attentivement les textes que les photographes produisent une fois qu’ils ont lu les romans et que nous publions en fin de volume.

    Sinon pas de mariages et pacs à signaler mais quelques collaborations régulières sur d’autres projets

     

    En quoi était-il important pour vous que ce projet soit mené par un écrivain/une écrivaine et un photographe ?

    C’est fondamental. C’est avant tout une rencontre humaine et artistique, Jeanne se confronte quotidiennement à l’écriture, elle y puise son énergie et sa profonde empathie de l’autre y prend source, en ce qui me concerne je n’envisage pas de vivre sans « faire des images » que ce soient des couvertures du FA ou des créations plus personnelles !!!

    Cette connaissance que nous avons du milieu artistique, de ses pièges de ses richesses aussi, nous aide dans les échanges que nous avons avec les écrivains et les photographes.

     

    Quel bénéfice pensez-vous que les professeurs de lettres peuvent tirer de cette expérience pour aborder l’histoire des arts et les partenariats avec des artistes ?

    Les bénéfices sont à mon sens nombreux. En ce qui concerne l’histoire des arts la balle est si j’ose dire dans le camp des enseignants. Mes partis-pris dans le choix des artistes photographes sont assumés, je souhaite que cette collection vagabonde dans la création contemporaine tous « genres » et « chapelles » confondus, des artistes « vivants » revendiquant de multiples influences et s’inscrivant dans  des « histoires » diverses. Aux pédagogues  de rechercher, d’approfondir de sensibiliser les jeunes au fait que tout artiste n’a pas la « création infuse » mais puise son inspiration dans toute l’histoire de sa discipline et bien au-delà de cette dernière, les photographes créateurs s’inscrivent dans des « courants » des lignées mêmes si certains déclarent les ignorer. Je sais par expérience et observation dans nombre de collèges et lycées que cette collection est connue et appréciée des professeurs, même si malheureusement les achats sont souvent remplacés par des photocopies !!!! Nombre de classes ont mis en place des ateliers d’échanges entre écriture et image sur le mode ou inspiré par cette collection. Je fais largement confiance aux enseignants pour inventer des suites à cette collection, et je me réjouis qu’elle puisse contribuer, même modestement, à l’introduction de la photographie contemporaine dans le système éducatif.

    Et si en plus ces volumes peuvent allumer de véritables désirs de travail avec des artistes et d’explorer ainsi les complexités et les bonheurs de la démarche artistique partagée avec l’artiste et l’enseignant, mon bonheur sera presque parfait. J’ai la conviction qu’un véritable travail de recherche et de réflexion doit pouvoir s’appuyer sur une pratique artistique accompagnée, quand cela reste possible, par un artiste.

    La force indéniable d’un enseignant de lettres est de pouvoir proposer, en s’appuyant sur sa discipline, un travail transdisciplinaire riche et surprenant et d’insuffler le désir de créer. La photographie est à mon sens une entrée formidable,  elle s’insinue, se fond dans nombre de pratiques amateurs. Son utilisation par les jeunes peut paraitre boulimique et désordonnée mais c’est à nous éditeurs, enseignants et artistes à lui donner du sens, le temps de la « peur des images » n’est plus d’actualité ; il faut au contraire multiplier les chemins afin de mieux les connaitre, les maitriser tout en acceptant les doutes, les impasses.

    L’image reste subversive, son hybridation avec les autres arts et notamment l’écriture ne fait que renforcer cette subversion.

     

    D’une certaine façon, le projet de photoroman, correspond à certaines propositions du rapport Joutard et des textes de 2002, instituant notamment les Pôles Nationaux Ressources, et de 2008 sur l’histoire des arts. Votre projet dialogue-t-il avec ces textes ? Si, oui, comment ?

    L’éducation du regard, aux images, à l’image… Les textes en parlent depuis plusieurs années. Pour avoir, tout à fait modestement, participé aux réflexions entre 2000 et 2002 au sein de la Mission Arts de Culture comme conseiller photographie au ministère de l’éducation nationale, je serais de mauvaise foi de nier cette parenté. Ayant également contribué à la mise en place des PNR photo sur le territoire dans ces mêmes années, les démarches « photoroman » et « institutionnelles » peuvent effectivement se rejoindre. L'idée centrale dans la création des pôles nationaux ressources était bien de provoquer, je devrais dire d'instituer, des lieux d'échanges et de partages entre le monde éducatif et le monde culturel, échanges et partages qui devaient peut être ouvrir de nouvelles voies de nouvelles perspectives. Tout comme les rencontres «textes/images» ces échanges ne sont pas  jamais «tranquilles»...   

    Depuis toutes ces années je m'interroge d'ailleurs sur la place de la création artistique dans le système éducatif; les contraintes horaires, la mise en place de «niches artistiques» dans un système somme toute assez rigide, rien n'est gagné d'avance, artistes et professeurs ont encore matière à construire et inventer...

     J’ai trouvé dans la rencontre et le partage avec Jeanne Benameur ainsi que dans l’engagement et la confiance régulièrement renouvelée de Thierry Magnier, un  véritable bonheur de «construire» autour de cette collection exigeante et encore fragile. 

     

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