Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 29
    Mai

    Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs, de Britt-Mari BARTH, Note de lecture de Monique Jurado

    Retz-Chenelière 2013

     

    BARTH  Britt-Mari (2013), Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs, Paris, Editions Retz- Montréal (Québec-Canada), Chenelière Education inc. (240 p., 21,10 euros).

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    Par Monique JURADO

    Aboutissement de ses recherches antérieures sur le « processus enseigner/apprendre », l’ouvrage s’inscrit dans la lignée de L’apprentissage de l’abstraction (1987) et Le savoir en construction (1993), où l’auteure a analysé les processus d’apprentissage et le rôle de la médiation dans « l’élaboration et la transmission » du savoir. Britt-Mari Barth revient ici sur cette approche pour engager les enseignants à être « plus attentifs à la manière dont les élèves apprennent » (p.10) et à « revoir la conception qu’ils se font de leur rôle » (p.10). Elle les invite à percevoir les transformations dont rend compte l’évolution des sciences analysant le développement de l’enfant : « Qu’est-ce qui a évolué dans nos manières de comprendre l’apprentissage ? Quelles en sont les implications les plus importantes pour la pédagogie ? » (p.10). Composé en deux parties, cet ouvrage a l’intérêt de tisser pratique, théorie et valeurs qui les sous-tendent.

    La première partie offre une description de « la médiation sociocognitive », en en détaillant « les origines, les motivations, les différentes dimensions », qu’elle illustre par la mise en œuvre d’un « scénario » (p.35) détaillé pour « rendre visible le processus interne de conceptualisation » (p.14) suscité chez les élèves. De l’exemple concret, elle dégage le cadre théorique qui en est la genèse et les principes qui permettent de conceptualiser l’approche.

    La deuxième partie présente plusieurs scénarios concrets expérimentés en formation professionnelle, dans des contextes de classes et de publics très différents (au Québec et en France). La description de ces expérimentations permet d’observer ce qui se passe dans la mise en œuvre des principes pédagogiques et outils conceptuels, et d’en induire ce que cela change pour les élèves et pour les enseignants.

    On comprend bien, grâce à l’articulation entre ces deux parties, celle posée dans le titre entre « élève chercheur » et « enseignant médiateur», les liens d’interdépendance ainsi établis entre activité de l’enseignant et activité de l’élève.

     

    On le voit, ce que tente l’auteure, c’est de faire entrer le lecteur au cœur de la formation, dans le « jeu » qui s’effectue au cœur du processus enseigner-apprendre, d’observer l’expérience « pour se créer sa propre opinion » (p. 87). Le but, en effet, n’est pas de prescrire une méthode mais d’offrir un outil conceptuel qui permet de comprendre  « les processus eux-mêmes qui mènent vers la compréhension, vers l’élaboration du sens, vers le discernement » (p. 209), l’interdépendance de l’implication affective, cognitive et sociale dans l’apprentissage, les conditions favorisantes, et le rôle de médiateur de l’enseignant dans cette approche.

    En vue de cet enjeu, bien difficile à mettre en œuvre dans la mesure où tout descriptif de procédure peut être reçu comme une méthode, Britt-Mari Barth prend un double parti :

    1.   Mettre en scène les fondements pratiques et théoriques de la recherche dans des entretiens, où elle répond aux questions que se posent formateurs et enseignants : le premier, en début de première partie, éclaire le concept de « médiation sociocognitive », l’origine culturelle de la pensée en apprentissage et la place, dans la construction des savoirs, de la conceptualisation reposant sur un « rapport interprétatif à la réalité » et la modification des conceptions. Une autre mise en perspective, sous forme d’entretiens, vient couronner, en deuxième partie, les démonstrations offertes dans les expérimentations. L’intérêt des questions de stagiaires d’IUFM, d’étudiants en Master ou de professeurs en exercice est de refléter les préoccupations concrètes des praticiens : comment adapter la conceptualisation à l’apprentissage de la lecture ? Conceptualiser, n’est-ce pas réduire le savoir ? Est-il possible de faire conceptualiser tous les enfants à tous les âges ? Quel est l’intérêt de la métacognition ? Quel transfert en formation d’adulte ? … Autant de questions qui résonnent avec celles que peut se poser le lecteur.

    2.   Présenter l’agir professionnel sous forme de récits d’expérience concrets retraçant le vécu de la classe : elle fait « entrer dans une classe ordinaire » pour « observer comment le sens peut concrètement se construire » …, « nait et évolue grâce à la médiation de l’enseignant » (p. 32).

     

    Pour conclure, l’auteure appelle au « changement de pratiques pédagogiques » : c’est un  plaidoyer pour une transformation du processus enseigner-apprendre, en direction d’une forme collective, active et interactive de l’apprentissage. Mais la motivation à changer ne se décrète pas ; elle se construit. D’où le rôle de la conceptualisation en formation : accompagné, l’enseignant gagnera à conceptualiser ce qu’il fait et ce qui a évolué dans nos manières de comprendre l’apprentissage.

     

    Ce kaléidoscope, qui opacifie l’unité de l’ouvrage, la place importante accordée aux narrations d’expériences, peuvent faire perdre de vue l’idée essentielle. Énoncés du point de vue du professeur en action, les scénarios sont en effet décrits de manière exhaustive, précisant jusqu’aux mots inscrits au tableau, les choix faits (« j’aurais pu… mais ce n’était pas mon objectif à ce moment-là», p. 36), l’agir des élèves et leurs verbalisations. Des commentaires expliquent le rapport des élèves à l’activité, les ajustements progressifs effectués par le professeur, la conscience qu’ont les élèves de ce qu’ils savent. Le récit d’expérience se clôt sur les « outils conceptuels » élaborés par le groupe ; il est suivi d’une « grille d’analyse » visant à en formaliser les conditions favorisantes. Toutes ces strates de démonstration sur le même objet peuvent paraitre redondantes, même si le processus de conceptualisation est visible dans le passage des exemples au « scénario pour apprendre ». De même, l’explication des composantes de la « médiation sociocognitive », sous forme d’entretiens, peut apparaitre comme une justification de « procédures séduisantes mais aussi très modélisantes » (p. 188).

    Mais ce parti-pris n’est pas sans lien avec le plaidoyer final. L’intérêt de l’ouvrage est bien, pour le praticien, de « percevoir » la transformation de la posture enseignante moins comme une procédure que comme un processus : des  "expériences concrètes", le lecteur peut inférer les caractéristiques de l’approche et en généraliser les aspects significatifspour construire le « modèle opératoire du concept » (p.68-72) qu’il peut alors transférer dans sa pratique. C’est une mise en abyme du processus de « conceptualisation » mis au service de la formation professionnelle. À cet effet, l’on apprécie la mise à disposition d’outils pédagogiques prêts à être expérimentés, que ce soient les supports d’activités ou des  illustrations filmées en classe  (en annexe de l’ouvrage ou sur le site des éditions Retzet celui du Canada, Vitrine du français).

    L’autre intérêt, c’est l’illustration et la défense de cette approche pédagogique et des concepts-clés afférents. Illustration : l’analyse des scénarios dessine les lignes de l’approche et de ses enjeux clairement définis (construction de réseaux conceptuels, engagement affectif et cognitif de l’élève, personnalisation de l’évaluation, rôle de la métacognition). Défense : ce qui se joue profondément, c’est la révolution des perspectives dans les conceptions de l’apprentissage, en écho avec la « pensée complexe » (E. Morin) nécessitée par le monde d’aujourd’hui. Ce sont les implications de ces conceptions sur la pratique professorale, la transformation des postures dans le rôle fondamental de l’enseignant-médiateur.

    Dans la lignée de Dewey, Vygotski, Bruner, l’éducation est présentée comme une enquête de sens, où l’expérience est au cœur de l’apprentissage dans une pensée dynamique et créative, où le savoir est un processus de conceptualisation qui ne peut être transmis ou imposé de l’extérieur mais qui se construit pour chacun. C’est à travers les interactions sociales (discussions, réflexions, questionnements) que nos conceptions évoluent et deviennent nôtres. Une telle pensée de l’éducation est au service non seulement de la construction du sujet qui apprend mais aussi d’une société nouvelle, justifiée par « les nouveaux défis de notre temps qui demandent d’autres compétences » (p.23-28). C’est une « visée éthique de l’action pédagogique », que l’auteure souligne tout au long de l’ouvrage.

    Invitant le praticien à un double regard, « rétrospectif en direction du champ pratique, prospectif en direction du champ éthique  » (p. 10), Britt-Mari Barth propose là un vecteur de formation fécond, parce qu’il invite à se trans-former dans ce processus de conceptualisation même qui y est mis en abyme. Penser pour apprendre son métier afin d’apprendre à penser et agir dans son métier.

     

    Présentation sur le site de l’éditeur

     

     

1 Commentaire

  • Gwenaëlle

    27 Oct 2016 à 14:24

    Merci pour cette présentation-note de lecture! Je m'apprête à le lire, votre travail m'aidera à bien saisir la pensée de l'auteure (dont l'écriture semble dense)!

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