Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 13
    Avr

    Décès d'Henri Meschonnic

    Rendons hommage au poète et linguiste qui compta beaucoup pour notre revue et notre association

    Henri Meschonnic[1], né le 18 septembre 1932 à Paris, est mort le 8 avril 2009 à Villejuif des suites d’une longue maladie. L’ensemble du comité de rédaction, les membres du comité scientifique et du comité de lecture de la revue Le Français aujourd’hui ainsi que les membres du Conseil d'Administratin de l’AFEF tiennent à lui rendre hommage et assurent Régine Blaig, sa femme, ainsi que ses proches de toute leur sympathie.

    Serge Martin qui travaille actuellement avec ses archives à l’IMEC et prépare un dossier pour la revue Europe lui rend hommage ci-dessous pour nous tous ainsi que Daniel Delas en citant quelques mots du combattant Meschonnic.

          Jacques David, rédacteur en chef - Viviane Youx, présidente de l’AFEF

                                                             

    Henri Meschonnic, la rime et la vie

    Les lecteurs du Français aujourd’hui connaissent Henri Meschonnic non seulement pour sa participation régulière à la revue mais également pour son amitié intellectuelle avec nombre de ses rédacteurs depuis les débuts de la revue jusqu’à aujourd’hui. Rappelons tout d’abord ses contributions à notre revue :

    1980, n° 51 : « Questions à Henri Meschonnic » par Jean Verrier ( repris dans Les États de la poétique, PUF, 1985) ;

    1986, n° 75 : « Le moderne et le contemporain aujourd’hui » ;

    1990, n° 92 : « Baudelaire plus moderne que les post-, plus présent que jamais mais méconnaissable » (repris dans Modernité Modernité, Gallimard, « folio », 1988) ;

    1991, n° 94 : « Entretien avec Daniel Delas » ;

    1992, n° 98 : « La notion de point de vue, entretien avec Anne-Marie Hubat » ;

    1996, n° 114 : « Pour une poétique négative » ;

    1998, n° 124 : « Génie de la langue et génie des écrivains » ;

    2000, n° 130 : « Un plan d’urgence pour les lycées » ;

    2002, n° 137 et 138 : « Henri Meschonnic, le rythme du poème dans la vie et la pensée », chronique poésie (entretien et extraits de livres de poèmes).

    Agrégé de Lettres classiques, Henri Meschonnic enseigne d’abord à l’Université de Lille en compagnie de Jean-Claude Chevalier avant de participer à la fondation du Centre universitaire expérimental de Vincennes en 1969, devenu Paris VIII dont il devient l’un des principaux animateurs jusqu’à la fin de sa carrière d’enseignant en 1999. Son œuvre est considérable et ne peut être séparée en traductions, poèmes et essais car des uns aux autres c’est une pensée du continu qui ne cesse de « vivre poème[2] » dans et par le rythme comme activité de subjectivation langagière. Tout part de ses traductions de la Bible qui, les premières en français, font entendre l’oralité de l’hébreu biblique et en particulier de son système d’accents disjonctifs et conjonctifs[3]. Mais c’est parce que l’expérience de l’écriture poétique et de la pensée du poème s’est conjointement engagée qu’une telle traduction a été possible : Henri Meschonnic est un poète qui a su, par-dessus le mallarméisme des années soixante et contre les formalismes académisants des années soixante-dix et quatre-vingts, trouver une voix qui défait le dualisme lyrisme-épopée. Cette écriture à contre-époque vient s’inventer également dans les essais dont le registre formulaire aux pointes humoristiques souvent géniales, met la pensée dans l’écoute du dire autant que dans le dit. C’est justement parce que pour Meschonnic, contrairement aux habitudes à la fois universitaires et intellectuelles françaises, le rythme du discours comme mouvement de la parole est une utopie[4] : un levier pour que l’écriture et la lecture se fassent d’abord écoute de ce qui vient plus que de ce qui est déjà là, de l’inconnu qu’on a sans qu’aucune maîtrise n’assure et savoir et pouvoir. Une telle attitude défait nombre d’habitudes et engage une vraie jubilation dans l’aventure humaine où le langage et les arts du langage refont au quotidien et pour tous et chacun les conditions d’un humanisme radicalement historique. C’est à ce point que l’enseignant que je suis tire son chapeau au linguiste[5] qui non seulement a su tenir le pari de Jakobson vite abandonné par presque tous liant littérature et linguistique, mais a également combattu avec rigueur et vigueur les scientismes successifs qui ont désancré l’attention aux langues d’une anthropologie historique du langage que, dans la lignée de Humboldt, Saussure et Benveniste, Meschonnic a permis de tenir ensemble. Aussi, avec Meschonnic, jusque dans la classe de français, les apprentissages dits techniques et le fait que « le langage sert à vivre », comme disait Benveniste et que Meschonnic conceptualise avec son « vivre poème », peuvent-ils se conjuguer et même le doivent-ils. Car de didactique des textes en didactique du sujet, n’a-t-on pas cessé de tanguer au gré des coteries du signe, quand la poétique avec Meschonnic demandait et demande toujours l’attention maximale au sujet du poème. « En entendant par poème tout récitatif du continu dans le langage comme invention d’un système de discours par un sujet – le sujet du poème – et invention de ce sujet par son discours, soit en vers soit en prose, à travers tout récit  du discontinu, c’est-à-dire du signe, du sens[6] ». Tout un programme pour enseigner le français, langue et littérature…

    Mais pour redire l’amitié qui continue, ces quelques lignes d’un poème de Henri Meschonnic avec toute la physique du langage qui emporte dans son rythme : « notre vie un / récit qui ne commence chaque fois qu’à / la prochaine phrase / […] / nous pouvons reprendre nous / écoutons une histoire / nous en connaissons / la voix » (Légendaire chaque jour, Gallimard, 1979, p. 81), et le titre de son avant-dernier livre de poèmes qui fait le programme de ce qui continue avec Henri Meschonnic : Parole rencontre[7].

                                                                 Serge Martin, le 11 avril 2009

     

    Une touche brève, plus "intellectuelle", pour ne pas rester dans le "senti" : la dernière phrase d'un de ses derniers livres : Pour sortir du postmoderne (Hourvari, Klincksieck, 2009)

     « Vous voulez sortir de cette mascarade: pensez rythme. Au sens où je le dis, bien sûr.  Pas celui des dictionnaires. »

     On entendra un peu ainsi la voix du combattant…

                                                                 Daniel Delas, le 11 avril 2009

     

     



    [1] La formule qui accompagne le nom dans le titre est prise au livre La Rime et la vie, Verdier, 1989 (repris en folio/Gallimard).

    [2] Vivre poème, Dumerchez, 2002.

    [3] Des premières, Les Cinq Rouleaux (Gallimard, 1970) aux dernières traductions parues, Dans le désert, traduction du livre des Nombres (Desclée de Brouwer, 2008), il faut d’abord mentionner la traduction des Psaumes : Gloires (Desclée de Brouwer, 2001) et ne pas oublier outre Poétique du traduire (Verdier, 1999), le récent Éthique et politique du traduire (Verdier, 2007).

    [4] Il faut signaler la publication récente en poche/Verdier du monumental Critique du rythme, Antrhopologie historique du langage, 1982.

    [5] On ne peut oublier Des Mots et des mondes, Dictionnaires, encyclopédies, grammaires, nomenclatures (Hatier, 1991) malheureusement introuvable sauf en occasion, et surtout De la Langue française, Essai sur une clarté obscure (Hachette, 1997) dont une édition de poche est disponible. Le dernier essai dans cet ordre est indispensable : Dans le Bois de la langue, Laurence Teper, 2008.

    [6] Pour sortir du postmoderne, Klincksieck, 2009, p. 137.

    [7] Avec six dessins de Catherine Zask, l’Atelier du grand tétras, 2008. Le dernier livre de poèmes : De Monde en monde, Arfuyen, 2009.

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