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  • 16
    Mar

    Compétences en éducation - Conférence-débat de Bernard Rey

    Organisée par le GFEN37, le mercredi 16 mars 2016

    Compétences en éducation

    Conférence-débat de Bernard Rey
     

    Accéder à l'enregistrement sonore sur le site du GFEN

    Le mercredi 16 mars, le GFEN37 avait invité Bernard Rey, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, pour une conférence-débat afin de faire le point sur la notion de compétences dans le domaine de l’éducation[1].

     

    Dans son propos liminaire, Bernard Rey a rappelé que la notion figurait en 1989 dans la loi Jospin à travers un référentiel des compétences pour les cycles de l’école maternelle et élémentaire avant de réapparaitre en 2006 avec le premier socle commun puis sa nouvelle version applicable à la rentrée 2016. Son apparition dans le système scolaire peut être lié à la préoccupation du lien entre ce qu'on fait à l'école et son usage dans la vie, lien qui n’exclut pas le risque de l'abandon de l'accès aux savoirs. Un peu, dit-il, comme si on remplaçait la biologie par la formation à la santé, la prévention de...

    Question de définition(s) : le rapport compétences/savoirs

    Le consensus se fait autour de la définition d’une compétence comme capacité d'un individu, dans un domaine, à résoudre des problèmes nouveaux relevant de ce domaine. La contextualisation renvoie au sens premier du mot, celui de la compétence d'une juridiction.

    Pour devenir compétent dans un domaine donné, un élève doit mobiliser à bon escient des ressources : connaissances et procédures (actions qui peuvent s’automatiser : savoir factoriser, savoir dériver...). Toutefois certaines compétences en début d'apprentissage, telles la lecture de mots, deviennent ultérieurement des procédures. La construction de compétences ne peut se faire sans savoirs. La notion de compétence pointe l'attention sur le problème pédagogique, identifié de longue date, du réinvestissement des acquis dans une tâche complexe qui, comme l’écriture, implique la mobilisation des connaissances et procédures variées.
    À un collègue de lycée professionnel qui l’interrogeait sur les compétences transversales, « s'approprier, analyser, réviser, valider, communiquer, faire preuve d'autonomie », le chercheur a répondu qu’il n’était pas démontré qu’apprendre à analyser un document historique développe la compétence à analyser un phénomène technique. Il craint qu'on se paye de mots même si l'intérêt est de montrer qu'il y a un au-delà de sa propre matière.

    En ce qui concerne les savoirs, Bernard Rey précise que s’il s’agit d’informations du type Rome est la capitale de l’Italie, celles-ci sont disponibles et bien plus chatoyantes sur la toile. Les savoirs de l’école sont en fait constitués d'une multiplicité d'informations reliées entre elles par des relations complexes. Il s’agit de savoirs explicatifs nécessitant une centration sur leurs liaisons. Le problème surgit lorsque ces savoirs explicatifs sont reçus comme une liste d'informations, d'énoncés à mémoriser et non comme un texte à comprendre. C’est l’intérêt de la notion de compétence.


    Le problème didactique et pédagogique de leur acquisition

    Amener les élèves à mobiliser connaissances et procédures acquises est un enjeu de taille : il s’agit de faire accéder à une certaine autonomie intellectuelle et par là cela s'oppose au dressage. Toutefois viser l’acquisition de compétences dans chaque discipline expose au risque d’accentuer la discrimination à l’encontre de ceux qui se limitent à l'acquisition de connaissances et procédures.
    Dans les années 1990, beaucoup de psychologues se sont mobilisés autour du transfert, le concept de schèmes emprunté à Piaget a aussi été exploré. Le concept de familles de tâches développé par Meirieu et Develay dans Émile reviens vite… ils sont devenus fous (1992) semblait très prometteur. Par exemple, en 4ème, l’étude du théorème de Pythagore permet de résoudre tout problème reposant sur le calcul du 3ème côté d'un triangle rectangle. On s'est assez vite aperçu que cela ne permettait pas d'identifier qu'une situation nouvelle relevait de cette famille (par exemple un triangle dans lequel on a tracé des diagonales ou que, au contraire, des élèves dégainent Pythagore dès que « triangle rectangle » figure dans l'énoncé.

    Cela a conduit les chercheurs à s'interroger sur l'interprétation des tâches par les élèves, ceux par exemple qui, au CE1, ne saisissent pas que, dans un énoncé tel que « Victor a 7 euros, il veut acheter un jouet qui coute 12 euros. Combien doit-il demander à ses parents ? » la seule chose qui compte est l'écart numérique.
     

    Spécificité de la demande scolaire

    Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés aux moments où les élèves choisissent les données non pertinentes. Exemple 1 : Un professeur (Algérie) demande d'écrire un texte argumentatif sur la nécessité de ne pas gaspiller l'eau : un élève fait le récit d’une dispute avec son cousin à propos de la façon de prendre une douche. La demande d'argumentation ne lui a pas paru importante.
    Exemple 2 : En terminale, dans un bon lycée de Belgique, suite à la lecture de la rencontre entre Nemours et Mme de Clèves, l’enseignant demande l’avis des élèves sur l’intérêt de cet extrait. Ceux-ci discutent de la possibilité psychologique du coup de foudre alors que l’enseignant attend une analyse de la façon dont le coup de foudre est une dramatisation narrative qui fait avancer l'action.

    Pour certains le problème précédemment énoncé dans lequel Victor veut acheter un jouet, est un problème de famille. Une fillette s’obstine à répondre « Je demande à maman » : dans une situation réelle l'enfant demanderait au parent le plus disposé qui dirait en même temps combien il donne.
    Les élèves produisent ainsi des interprétations acceptables « dans la vie », qui ont leur légitimité, mais ne sont pas scolairement attendues. Il y a un implicite des tâches scolaires qui n'est pas lisible par tous. Les spécificités de la demande scolaire sont d’autant plus difficiles à cerner qu’enseignants, inspecteurs, chercheurs sont habitués à l’interprétation scolaire qui leur parait aller de soi.


    Caractéristiques des attentes scolaires

    1/ L’école attend que l'élève interprète la tâche à travers une grille de lecture empruntée à un savoir scolaire et non une grille pragmatique, ou qui fasse référence à son expérience personnelle, émotionnelle, relationnelle, ou encore ses préférences. La réponse attendue dépend de la (des) discipline à laquelle réfère la tâche et de ce qui a été enseigné. C'est arbitraire, ce n'est pas la seule réponse possible, mais elle a l'intérêt de référer à une certaine rationalité. Or des apprenants peuvent faire preuve de distance dans un domaine mais pas quand ils sont émotionnellement impliqués.
    2/ L’école attend que l'élève pense la situation dans sa globalité et ne cherche pas à accrocher une procédure isolée à un mot de l'énoncé (dans un exercice dont l’énoncé comportait les dimensions d’une pièce en vue du calcul d’une quantité de peinture, 12% des élèves ont vu longueur, largeur, hauteur de la salle et ont calculé le volume). On doit penser en sélectionnant les savoirs scolaires qui permettent de traiter la situation.
    Ces deux caractéristiques se rattachent aux difficultés pointées par le groupe ESCOL : certains élèves ne voient que le sens premier des activités scolaires, pas le sens second, celui des savoirs à acquérir. Concernant ce défaut de secondarisation, Bernard Rey donne l’exemple d’une activité mathématiques consistant à tracer des cercles avec un compas en variant l’écartement des branches : pour des élèves en difficulté, cela devient un entrainement à tracer un cercle sans déraper et non un procédé pour vérifier l'équidistance de tous les points du cercle par rapport au centre.
    La deuxième attitude est un défaut de subjectivation : pour apprendre, il faut s'engager soi-même. C’est le malentendu qui frappe ceux qui pensent qu’il suffit d’être sérieux, d’aller au cours d'anglais pour savoir parler cette langue.
    3/Il y a une "textualité spécifique des savoirs scolaires" : lors d'entretiens avec des élèves de seconde, une jeune fille est mécontente de sa note de physique. Au chercheur qui lui explique qu’elle n'avait pas expliqué ni justifié sa démarche, elle répond « le prof sait cela, c’est lui qui nous l’a expliqué ». Or l'école attend qu'on ne s'appuie pas sur la connivence avec le destinataire, elle demande des textes "universellement valables", dégagés d’une position énonciative. Cette universalité des écrits attendus est incompréhensible pour certains.

     

    Que faire ?

    Que faire ? insiste un collègue. La réponse de Bernard Rey marque l’incertitude des chercheurs. Il commence par relever que la différence des élèves qui comprennent les attentes scolaires recouvre souvent les différences sociales, marquant par là que tout n’est sans doute pas du ressort de la seule école. « La notion de compétence creuse paradoxalement l'écart entre la vie extérieure et l'école ».

    Il propose des leçons dans lesquelles on présente systématiquement des tâches nouvelles et complexes dont la résolution est accompagnée de questions du type « Est-ce que tu as essayé telles choses vues en classe... », « le plus important, dit-il, n'est pas d'expliciter au moment de la consigne mais quand on pointe un dysfonctionnement ». D’expliciter le regard de l'école pour contrer le risque de malentendus liés aux situations concrètes : mettre en évidence qu’on veut qu'ils abordent la réalité avec le détour savant. D’expliciter la nature de l'activité et leur permettre de trouver eux-mêmes les ressources : dans l’exemple cité précédemment ils doivent trouver par eux-mêmes (et demander) ce dont ils ont besoin pour acheter la peinture sans que ce soit à priori donné dans l’énoncé. L’enseignant doit s’emparer du fait qu’en France, contrairement à d’autres pays dont la progression des enseignements est étroitement cadrée, on a encore une vraie liberté d'organisation du temps pédagogique. Les enseignants doivent utiliser cette réelle liberté pédagogique au service des apprentissages des plus en difficulté.
     

    Compte-rendu de Dominique Seghetchian

     

    [1] L’enregistrement audio de cette conférence sera mis en ligne sur le site du GFEN37 : http://www.gfen.asso.fr/fr/les_activites_du_groupe_indre_et_loire

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