Association française pour l’enseignement du français

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  • 04
    Nov

    Compte-rendu du Colloque organisé par le GFEN le 11 octobre 2014 - Construire le goût d’apprendre à l’école maternelle

    Construire le goût d’apprendre à l’école maternelle

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    Le colloque organisé  le 11 octobre 2014 par le GFEN a réaffirmé le rôle de l'école maternelle. La réflexion a porté sur une conception des contenus et de leur transmission qui permette à tous les enfants de s'engager dans les apprentissages et sur ce que cela signifie quant à la professionnalité des enseignants. 

    L'école maternelle doit éviter un double écueil : celui d’une conception rousseauiste de la « nature » enfantine où il suffirait de mettre les enfants en présence d'éléments de programmes et celui qui combine une approche techniciste des programmes et une conception mécaniste des apprentissages.

     

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    D’une logique des prérequis à la prise en compte des pré-acquis ou « Contre une logique des prérequis : quels fondements aux "apprentissages fondamentaux" (J. Briand, M.T. Zerbato-Poudou) »

    MT Zerbato-Poudou s'attache à distinguer pré-acquis et pré-requis.

    Les pré-requis sont posés comme condition pour aborder un apprentissage. De ce point de vue il importe de distinguer ceux qui sont liés à la discipline et les fonctions liées à la maturité, compétences minimales permettant d’aborder un apprentissage (motricité, mémoire et attention volontaires, capacité à discriminer, comparer...).

    La centration sur des fondamentaux ainsi conçus, du simple au complexe, conduit, dans la pratique enseignante, à une pédagogie par objectifs (PEI : programme d’enrichissement instrumental, ARL : ateliers de raisonnement logique). Dans cette optique l'expérience concrète suffirait à permettre les apprentissages, le maitre doit savoir s’effacer, chercher à susciter un conflit socio-cognitif... Oui mais... l’expérience a montré qu’on butte sur une absence d’automaticité du transfert.

    Dans une logique des pré-acquis l'enseignement prend appui sur les compétences que les enfants ont construites dans le cours de leur développement. Cela conduit à une centration sur les processus et non les performances en veillant à apporter des techniques en fonction des besoins des enfants, quand ces apprentissages prennent sens, et non avant.

    Par ailleurs, poser les objets d'apprentissage comme objets historiques, sociaux et culturels, permet d’éveiller la curiosité du monde. Il s’agit d’objectiver les objets d'apprentissage en les nommant, en les différenciant de la tâche à travers laquelle ils sont approchés, en les inscrivant dans une histoire et des usages sociaux. Il s’agit de passer du « faire » au « dire le faire », par une organisation verbale de l'action, co-construite par le maitre et l'enfant pour que ce dernier parvienne à « penser le faire ». La classe devient alors un milieu culturel.

    J. Briand montre ensuite, à partir d’exemples sur les savoirs pré-numériques, comment, pour rentrer dans les mathématiques, les enfants doivent mettre en œuvre des connaissances non enseignées. Penser en termes de pré-requis suggère que l'organisation des savoirs est intangible et valorise l’organisation institutionnelle de ces savoirs or les pratiques sociales familiarisent les enfants avec un environnement numérique mais la manipulation ne suffit pas à comprendre le sens des nombres. Pour distinguer comptage et numérotage, il faudra convoquer des connaissances telles que la collection et l’énumération, proposer des situations qui mobilisent intellectuellement en supprimant l’appui sur le contrôle perceptif permanent. Une entrée dans l'écrit, en proposant des écrits intermédiaires, permet d'abandonner le numérotage pour la cardinalité. Ainsi les enfants se voient confier le matin des cartes représentant des voitures. Ils vont devoir écrire combien ils en ont reçu pour demander ultérieurement le nombre de garages correspondant. Pour s’en souvenir, l’un va écrire 9 fois le signe 9 car il a 9 voitures et devra demander 9 garages, d'autres font des traits, tous parviendront à terme à une utilisation du nombre comme cardinal.

    La discussion fera une large place aux problématiques liées à l’inscription des apprentissages dans la temporalité longue propre aux processus. Comment en construit-on (ou pas) la représentation en formation ? Comment l’accompagner d’une formation qui permette d’anticiper les obstacles prévisibles ? Comment gérer la frustration liée au temps et à la répétition nécessaires avant de pouvoir nommer ce qui a été appris ? Quid des enfants qui n'ont pas la sécurité affective pour gérer la frustration liée à la non immédiateté inhérente à une pratique anthropologique de l’approche des savoirs ? Cela explique en partie la pollution par les problématiques de gestion de classe qui font obstacle à l’entrée dans les contenus.

     

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    Le deuxième axe a porté sur la façon dont les concepts sont masqués, même aux yeux des enseignants par les activités. D’abord parce que les enfants se satisfont de jeux formels mais également du fait de l’envie des enseignants de se faire plaisir avec des mises en scène, de l'animation. Bien sûr le jeu peut permettre un apprentissage par familiarisation, mais il y a souvent confusion avec une simple adaptation.  
    Il y a nécessité de poser ce qu'il faut savoir, de distinguer information, connaissance, savoir. Cela passe par un travail fondamental sur l'épistémologie et nécessite de construire sur des périodes, d'organiser la classe, de travailler entre enseignants.

    Agir, oui mais après ? L'activité des élèves en question. (J. Bonnard –technologie, C. Pontais –EPS)

    En 2011, l’Inspection Générale attire l’attention sur le fait qu’on assiste à une raréfaction des activités d'observation et de manipulation au profit d'activités formelles.

    Pourtant il est possible de concevoir l'activité comme un processus de découverte et d'appropriation du monde et de la relation avec les autres en prenant appui sur les éléments d’une posture de recherche telle que l’enfant l’a construite dans le cadre de la culture familiale où il a manipulé, expérimenté, répété, questionné, catégorisé. Pour cela il convient de se souvenir que l’arrivée à l'école maternelle se caractérise par une rupture du fait de l’introduction dans l'activité d'un élément extérieur : le savoir.


    Quelles activités permettent dès lors de susciter le désir de découvrir le monde ? Prenant l’exemple d’un travail sur les objets à manivelle, Jacqueline Bonnard suggère des activités de catégorisations structurées pour permettre à l’enfant de passer de sa perception et de son expérience à des critères liés à la fonction d’usage ; de les accompagner de représentations graphiques : représentations schématiques, représentations intermédiaires et de traces d'activités : affiches, cahier de photographies, représentation, relevé de ce qu'on a appris.

    Pour que l’activité permette la conceptualisation, il est incontournable d’identifier en amont les concepts scientifiques ou technologiques abordés (par exemple pour travailler sur les fruits il faut penser à mettre des courgettes et des tomates dans les séries présentées), il faut identifier manipulations et expériences dans une progressivité, prévoir des moments de réflexivité individuelle et collective avec passage par la trace écrite, prévoir aussi des temps de structuration. On voit bien comment ce colloque pouvait constituer une excellente entrée dans les préoccupations de l’université d’automne organisée dix jours plus tard par l’AFEF.

    C. Pontais également va s’appuyer sur un exemple très clair d’activité, le « cochon pendu », pour montrer les enjeux des activités d’EPS. Les enfants peuvent pratiquer cette activité dans trois cadres. Au parc, la motivation en est la recherche de sensation, chaque enfant gère sa sécurité, apprend par imitation, ne se pose pas de question, cette situation est caractérisée par une autonomie maximale et beaucoup d’enfants ne la font pas. Au club babygym (un équivalent des bébés nageurs), le cochon pendu devient pratique sociale plus codifiée, une sécurité rapprochée est assurée par les parents, l’enfant n’est pas autonome. A l’école, la même activité est insérée dans un projet de classe (un spectacle), elle est exercée pour apprendre, les enfants sont 30 pour 1 ou 2 adultes : ils doivent acquérir de l’autonomie, apprendre l’attente, sont confrontés à l’obligation de faire et de se poser des questions. Une même action ne recouvre pas toujours la même activité. L’école vise l’acquisition de références culturelles : le saut de gymnastique n’est pas le saut athlétique, le lancer du jonglage n’est pas celui de l’athlétisme, etc.

    A contrario de la gymnastique de militaire, avec ses parcours, qu’on pratique le plus souvent à la maternelle, l’activité corporelle doit s’inscrire dans un projet culturel de la classe et simultanément poser des problèmes identifiés comme la représentation de son corps la tête en bas qui permette au gamin de se situer (un « poulet rôti » est différent du « cochon pendu »…). L’enseignant est nécessaire pour faire se poser des questions, gérer le temps indispensable et garantir que l’enfant apprend dans le jeu (des stratégies...) mais n’est pas là pour apprendre le jeu.

    Donner à l’activité physique une résonnance sociale et culturelle, implique de s'éloigner d'une conception techniciste du sport : agir c'est penser, l'enseignant permet que l'élève se pose des questions… C’est porteur d’un plaisir qui est aussi intellectuel, pas seulement affectif et émotionnel alors que centrer sur le résultat élimine le sujet.

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    Le gout d'apprendre l'écrit ? Pratiques d'écriture et construction culturelle (Bernard Devanne)

    Prenant appui sur une critique du sujet 3 du concours 2014, l’orateur démonte la conception phonographique de la langue écrite qui le sous-tend – la mascotte s'appelle Pipo – il n’est alors pas étonnant qu’un élève puisse écrire « ve tu teve nir mon ami ». Il dénonce les modalités d’apprentissage sous-jacentes lorsque la question 3 est ainsi formulée : « Quelle différenciation mettriez-vous en œuvre au sein de la classe pour ces 5 élèves, en fonction de leurs besoins ? » Sachant que la situation proposée est censée correspondre à la grande section au mois de novembre, on demande de la remédiation sans médiation.

    Pour B. Devanne, ne pas partir de pratiques d'écriture par les enfants, c'est comme si on enseignait le foot en mettant les élèves devant des extraits de match sur écran, projection qu’on accompagnerait de fichiers d'exercices. La production d'écrits, appuyée sur une culture acquise par la fréquentation d'imagiers, de vidéos, etc., organise et dynamise les apprentissages. Elle permet de "se poser", d’apprendre la patience et la persévérance. Articulée à la construction d'une culture générale par la fréquentation d’ouvrages de fiction aussi bien que de documentaires, par les incitations à penser qui accompagnent ces lectures, par des activités linguistiques comme des catégorisations, l’exploration des codes de la langue écrite, la construction d’une conception orthographique de la langue, la production d’écrits construit les élèves comme sujets de culture écrite.

    Les questions ont porté sur la prise de repères dans l'écrit qui se fait d'abord dans les livres et sur les affichages ; l'essentiel est dans la complexité des situations à gérer : il faut amener l’enfant à passer de l'activité à la réflexion sur l'activité – il apprend vers quel document(aire) aller selon l'info recherchée.
    En ce qui concerne le graphisme aussi, B. Devanne proscrit les fiches au profit d’activités de calligraphie, au sens esthétique ; l’enfant doit sentir la gestuelle sur le tableau, éprouver le plaisir du geste : il faut privilégier le geste avant le tracé, cela peut être un mouvement abstrait.

     

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    Entrer dans la culture ou changer le rapport à la culture: le langage dans les apprentissages (E. Bautier)

    Comme les orateurs précédents, E. Bautier promeut une logique d'exigence qu’elle explicite à travers l’exemple d’un affichage. Pour apprendre le temps, on trouve dans deux classes la même frise représentant un petit train avec les jours de la semaine et un dessin : lundi cartable, mercredi maison. Dans la première classe, on se satisfait que l'enfant dise « Il y a une maison », alors que l'enfant de la seconde dit : « C'est pour nous dire que le mercredi il n'y a pas école ». Il a déjà compris la dimension symbolique du langage, que le langage ne dit pas que ce qu'il dit, il est dans les apprentissages.
    Le premier doit apprendre à l’école ces connaissances sur le langage car le langage est un des premiers outils cognitifs qui fait penser pour construire le monde et ne sert pas seulement pour communiquer ou s'exprimer.

    La transparence de la langue est une illusion qui peut durer tout au long de la vie, c'est même parfois, dans les milieux populaires, une valeur. Or la signification, comme objet à construire, est rarement travaillée alors que les représentations familiales des langages sont peut-être des obstacles plus importants que les problématiques d'enrichissement de vocabulaire. Devenir élève c'est comprendre qu'il y a quelque chose à apprendre quand on fait et pourtant on a des consignes de faire mais pas de consignes sur ce qu'il faut apprendre en faisant.

    Le discours scolaire doit éviter le piège de l’adaptation : les besoins sont d'apprendre des mots des savoirs : il y a des circonstances où on a absolument besoin du mot « mammifère », or les échanges de la vie ordinaire fondés sur l’intercompréhension prennent trop de temps.
    Il n'y a pas deux mots équivalents, le langage n'est pas un code : à la différence du code de la route, invariant quelle que soit la situation, il faut une situation pour le comprendre car il y a toujours une signification sociale ou cognitive qui fait que c'est différent. En apprenant du lexique on apprend une opération de l'esprit : il n’est pas intéressant de connaitre tous les noms de fruits mais de connaitre la différence entre fruit, orange, agrume (inclusion, embranchement, classe...)

    Les mots du travail scolaire doivent aussi être travaillés : que signifient « regarder », « chercher » à l'école, regarder des banquises sur un imagier diffère de les regarder dans un documentaire. Ce travail est celui sur la construction sur une posture réflexive. Sans ce travail certains cherchent à comprendre tandis que d'autres se contentent de voir. Il faudrait aussi se pencher sur le mot « travail » que les enseignants n'utilisent que quand il faut écrire.

    Parmi ce qui manifeste la hausse du niveau d'exigence de la maternelle, E. Bautier compte les albums contemporains qui manifestent une représentation d'enfants capables d'activités de pensée d'une très grande complexité. Comprendre un album, c'est comprendre comment la successivité construit le sens, mettre en relation la page 1 et la dernière pour reconstituer l’histoire, s’interroger sur l’intentionnalité, sur ce qui n'est pas dit : les albums actuels ne sont pas explicites, les images n'illustrent pas. De même que les manuels, ce sont des ouvrages plurisémiotiques. C'est avec le langage qu'on va aider les enfants à faire les inférences : pourquoi, comment... Pas seulement qui a fait quoi et dans quel ordre : le sens est dans la relation et plus dans la successivité. Cela implique d’apprendre aussi les mots de la mise en relation.

    Le langage permet de construire le monde comme objet d'interrogation, pas seulement d'expérience, de vie. Ce questionnement ne se pose pas seulement en termes de « qu’est-ce que c'est » mais aussi « pourquoi » et « comment » ? Il y a nécessité de faire redire aux élèves ce qu'ils ont appris, leur permettre de mettre en mots ce qu'ils ont appris, c'est nécessaire pour « stocker » mais plus il y a d'individualisation de l'enseignement plus il est difficile à l'enseignant d'utiliser un langage explicite qui formalise ce qu'il y a à retenir, on oublie de verbaliser, d'expliciter.

    Dans le débat qui a suivi Jacques Bernardin est revenu sur la distinction entre ce qu'il faut faire au service de la formalisation, pour « penser le faire » et l’ « enseignement explicite » : il y a certes des éléments à expliciter au lancement mais d'autres sont à faire expliciter par les élèves. E. Bautier a précisé que l’enseignant devait veiller à ce que cela ne se résume pas à prélever les bonnes réponses de certains mais pousse l'exigence jusqu'au travail sur la verbalisation, en veillant à ce qu'une formalisation soit travaillée jusqu'au bout, en évitant le flou et l'inachevé.

    Dominique Seghetchian


     

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