Association française pour l’enseignement du français

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    Avr

    Compte-rendu des journées du GFEN : Réussir du collège au lycée

    5-6 avril 2014

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    Réussir, du collège au lycée :
    Quelle approche des savoirs ?

    Samedi 5 et dimanche 6 avril 2014

    Ces journées, organisées par le Groupe Français d’Éducation Nouvelle, dans le prolongement des rendez-vous annuels sur l’aide, sont les premières spécifiquement consacrées au secondaire. Pendant un jour et demi, des ateliers étaient proposés aux participants pour leur permettre de vivre des situations pédagogiques relevant de différentes disciplines et de réfléchir à la façon dont elles permettent la construction de savoirs. Ceux-ci ont été ponctués par trois conférences.

    Compte-rendu de Dominique Seghetchian

    Yves Chevallard[1] : Pour une approche anthropologique du savoir

     

    Cette première conférence était l’occasion de vérifier l’altérité, voire l’étrangeté des usages que les disciplines font de la langue et comment, à travers leur langage, se construit une vision du monde (pédagogique) qui n’est ni tout à fait la même ni tout à fait différente de la nôtre. C’est un bel exemple du modèle discursif de la démonstration appliqué au débat sur la refondation.


    1- Du rapport au savoir 

    1-1- Chacun entretient un rapport personnel à un objet qui peut être de toute nature : ce que le sujet sait, croit savoir, ses fantasmes...  

    Il n'y a pas de rapport R(x,o) mais R(x1, o) ou R(x2,o) etc. qui sont différents (traduction : il n’existe aucun rapport général, neutre, à un objet de savoir mais autant de rapports individuels qu’il y a d’individus –expression moins synthétique !)
    1-2- R(z), R(x1,o)) est impossible (le jugement sur le rapport au savoir d'autrui est impossible).
    1-3- L'univers objectal et cognitif d'une personne évolue avec le temps.


    2- Personnes et institutions

    2-1- Dans une institution (une classe, un couple, une famille... ), il y a des positions (professeur, élève, fayot, guignol...) et une personne est toujours assujettie à une position.

    2-2- L'institution définit toujours le rapport idéal de la personne à l'objet –le fameux R(x,o) introuvable. C'est crucial, car ces rapports institutionnels déterminent nos rapports personnels par le jugement de conformité.
    2-3- Une institution ne voit qu'une partie du rapport personnel d'un sujet à un objet, dans une institution, on a tendance à réduire les personnes à des effigies.

    3- Le changement cognitif et didactique
    3-1- Le didactique est une dimension essentielle des sociétés humaines dont le but est de créer les conditions pour une modification des assujettissements des personnes à des objets.
    3-2- La didactique est la science des assujettissements institutionnels visant à changer les rapports des sujets à des objets. Ce changement est de nature cognitive.

    3-3- Il y a une normativité inhérente à la didactique : il existe certes des écoles informelles, mais les apprentissages ne sont pas leur raison d'être, au contraire des écoles formelles.

    4 écoles : la fêlure originelle
    4-1- Le premier biais est de faire comme si les rapports des différentes positions (professeurs, élèves, direction, inspection, etc.) pouvaient être identiques. 
    4-2- Le second est de faire comme si le changement  du rapport à un objet ne modifiait pas le rapport aux autres objets. Or les blocages viennent souvent de ces rapports à d'autres objets, construits ailleurs. Par exemple, un garçon de milieu populaire qualifiait de "poofy things!" (trucs de pédés) les savoirs que le maitre s’évertuait à lui inculquer… Cela pose la question de savoir comment les écoles formelles s'autorisent à taper dans ces « monstres » sans savoir ce qu'il y a derrière.
    4-3- On appellera contrainte, une condition qu'une personne occupant une position P ne peut pas abattre. Or, l'école croit pouvoir accomplir son œuvre en oubliant que son cadre n'est pas une contrainte empêchant l'accomplissement de la mission. Ainsi, s’il y a besoin de 2h pour un apprentissage, l’unité « heure de cours » ne dit pas y faire obstacle.


    5 Changement de paradigme?
    5-1- En ce qui concerne le code de la route, il y a conservation des acquis car on a conscience du caractère fonctionnel de cet apprentissage. Or, en ce qui concerne les savoirs généraux, s'est instauré un rapport poubelle/vider poubelle, comme régime épistémique : les savoirs sont  perçus comme caducs. Il y a aussi, à l’inverse, un rapport thésaurisateur.
    Le programme pour l’évaluation internationale des adultes (PIAAC)  de l'OCDE, concernant les 16-65 ans, met en évidence l'échec à fabriquer des gens qui aient un rapport fonctionnel à la littératie et la numératie.
    5-2- On appelle œuvre toute production humaine fabriquée pour avoir une utilité. Toutes les œuvres humaines ont ou ont eu une raison d'être. Yves Chevallard dénonce ce qu’il nomme l'assujettissement au « paradigme scolaire de la visite des œuvres », une monumentalisation des œuvres enseignées qui occulte leurs raisons d'être. Le savoir y est « un truc à savoir » indépendamment de toute utilité. Ce paradigme de la visite des œuvres n’est acceptable que par les élites pour lesquelles cela servira un jour.
    5-3- Un contre rapport est instauré par internet.

    6- Il faut remplacer le paradigme de la visite des œuvres par un paradigme du questionnement du monde
    6-1- Des apprenants, entourés d'aides, sont placés face à une question dont la réponse provisoire permettra d'avancer. Alors le rapport de d’une personne à un objet de savoir (R(x1,o)) sera supérieur à celui de d’une autre (R(x2,o)) s'il permet d'avancer dans une situation définie.
    6-2- Or, dans le cadre scolaire, on n'étudie pas une question mais on traite un sujet : cela a souvent été le cas des TPE.
    6-3- Derrière cet état de fait se trouvent des attitudes :
    - de problématisation,
    - procognitive (on n'a pas encore les ressources pour répondre),
    - exotérique, marquée par l’ouverture à la nouveauté,
    - d'encyclopédiste ordinaire (on entretient les savoirs déjà là),

    Yves Chevallard propose de promouvoir l’attitude herbartienne (le questionnement) comme modèle pour une nouvelle didactique permettant de construire une approche anthropologique des savoirs.

    7 Pour une pédagogie de l'enquête
    7-1- Le programme ce ne sont pas des œuvres mais des questions. Par exemple : les bulletins météo donnent classiquement, en divers points du territoire, la température ressentie. Qu'est-ce que cela signifie? A quoi cela correspond-il ? On peut répondre à l'aide de Google, y compris pour le traitement des calculs complexes
    7-2- Cela ne signifie pas qu'il faut confronter les élèves aux questions qui leur plaisent ou sont adaptées à eux. Les vrais problèmes sont ceux qui nous « tombent dessus ».
    7-3- Cela ne signifie pas non plus un désinvestissement des œuvres, on y retourne autrement.

     

     

    Denis Paget[2] : Sur la question des programmes

     

    1- Faiblesse de l'école française en matière de prescription
    Le constat de départ est sévère. La France conçoit d'abord les réformes structurelles et se pose ensuite la question des contenus d'enseignement. Ils ont de surcroit peu de place dans la formation initiale. Quand on sort de sa discipline, on ignore les programmes généraux, ceux des autres disciplines, des autres degrés, des autres niveaux. C’est une vraie lacune dans la culture professionnelle des enseignants français.
    Les programmes sont négligés par les universitaires et laissés à des groupes d'experts cooptés, peu soucieux de ce que savent réellement les élèves et de leur modalités d'apprendre, peu soucieux de débats et qui sont à la fois prescripteurs et évaluateurs.
    Des notions problématiques (comme celle de développement durable) entrainent un traitement approximatif dans les manuels. Des polémiques médiatiques masquent les enjeux culturels de l'enseignement, jamais suffisamment éclairés par la recherche (genre, lecture...)

    2- Le C.S.P. une réponse? Pas sûr.
    La structure est originale : le conseil national des programmes donnait des avis alors que le CSP jouit d’une indépendance assez forte et a des missions plus larges (formation des maitres et concours de recrutement).
    Mais le temps des programmes n'est pas le temps politique tant pour l’élaboration que parce que, pour se rôder, ils demandent 10 ans. Il importe de dissocier la définition de la culture scolaire et la fabrication des programmes qui doivent être des documents plus évolutifs.

    3- Qu’est-ce qu’un programme d'enseignement ?
    Ce n'est pas une liste d'objets : il faut penser la cohérence d'ensemble. Le socle commun a voulu rompre avec la tradition de juxtaposition de disciplines sans y renoncer ce qui aboutit à une forte hiérarchie des savoirs, il faudra donner le sens d'une culture commune, la culture générale scolaire, plutôt que de viser des savoirs juxtaposés.
    Cela implique de croiser des visées liées aux savoirs savants et d'autres qui sont liées à des besoins éducatifs complexes : visées professionnelles, civiques, culturelles, identitaires. Il y a aussi des demandes externes (les éducations à) et un besoin d'enseignement de savoirs pratiques. Cela finit par poser la question de ce qui relève de l'école, la famille, les associations...
    La spécificité d'une culture scolaire commune, selon Forquin, est de constituer un corps commun de catégories ou de schèmes de pensée qui remplissent une fonction d'intégration logique. Cela amène à réfléchir sur l'effet des programmes sur les inégalités, de l'idéal prescrit aux savoirs réellement appris.

    De la notion de curriculum :
    Si les curriculums renvoient à une vision idéale, la moyenne devient l'idéal, même si ce qui permet de penser n'est pas acquis ; le temps scolaire est saturé en ne laissant aucune marge aux enseignants et aucune place aux démarches de recherche ni aux transformations pédagogiques. Cet idéal laisse place à des curriculums latents fondés sur des implicites, des attendus jamais enseignés.
    Les curriculums peuvent être fixés sur des réalisations des élèves.

    Il y a aussi des curriculums sériels/intégrés qui prennent en compte l'éducation, la religion, le raisonnement…

     

     


    Jean-Yves Rochex[3] : Processus de différenciation et inégalités scolaires


     La (mais y en a-t-il une seule ?) pédagogie nouvelle en question
    Selon Bourdieu et Passeron[4] les pédagogies invisibles ou implicites sont un des principaux principes de reproduction sociale en ayant les mêmes attentes pour des enfants qui ne sont pas tous identiquement construits. Face à cette « indifférence aux différences », la pédagogie différenciée serait une réponse. La question est de savoir quelles caractéristiques des élèves prendre en compte pour en faire quoi?
    On constate une pérennité de l’ignorance de certaines caractéristiques et parallèlement des adaptations qui aggravent.

    L'observation du mode de traitement des tâches et de leurs enjeux de savoir par les enseignants et leurs élèves permet d’observer la fabrication des inégalités dans les pratiques ordinaires.

    Deux modes de différenciation facteurs d’inégalités sociales
    1- A la suite de Bourdieu on appelle différenciation passive, la mise en œuvre de situations et de modes de gestion de situations présupposant ce qui est à faire (par exemple l’utilisation de fichiers).
    Les vulgates des pédagogies actives aboutissent à des séquences canoniques découverte-mise en commun-institutionnalisation où le lien entre les différentes tâches et l'objectif en termes d'apprentissage est largement délégué aux élèves.
    Ce sont toujours les mêmes élèves qui ont conscience des enjeux. Ils font de la classification, de la comparaison de propriétés ou tout autre opération intellectuelle attendue. Les autres restent dans la manipulation ; comme ensuite, l'institutionnalisation fait l'objet d'une pure transmission, ces élèves ne font pas le rapport entre activités et enjeux de savoir.
    Cela commence dans les ateliers de maternelle mais il en est de même en philosophie où les textes ne sont jamais étudiés pour leur structure langagière avec des activités de paraphrase partagée qui aident à la compréhension du contenu par la plupart. Donc ce seront encore les mêmes élèves qui auront des problèmes pour l'écriture de textes en philosophie.

    2- La différenciation active se niche dans les modes de régulation plus individualisés : la proposition de modes de faire différents, par exemple le morcèlement en micro tâches, aboutit à une mise à l'écart de toute activité intellectuelle. Le souci de la réussite des tâches, masquant le lien avec les enjeux de savoir qui les relie, peut se développer au détriment des apprentissages. On constate ainsi que les élèves de ZEP sont surentrainés pour les opérations de bas traitement cognitif (identifier l’information), et sous entrainés pour celles de niveaux cognitifs plus exigeants. L'enseignant prend à sa charge l'essentiel porteur d'activité cognitive, l'élève joue aux devinettes. Or si les principes dont l’apprentissage est attendu ne président pas au découpage de l'activité, ils ne seront pas à l’arrivée.
    On observe aussi des contrats didactiques différentiels dans une même classe. Certains élèves sont confinés dans des interactions peu porteuses d'apprentissages. Par exemple, en grammaire, lors d’une leçon sur l'imparfait associant repérage et catégorisation en 2 usages (habitude, durée), les bons élèves lisent et effectuent le travail sur de longs passages, les plus en difficulté ne sont confrontés qu’à un seul imparfait dans le passage qui leur est dévolu.

    Pendant leur scolarité, les élèves n'ont pas géré les mêmes enjeux. Les uns sont « utilisés » pour faire avancer le cours de la classe avec des enjeux de savoirs tandis que d’autres voient leur activité publicisée sur des actions marginales. Cette différenciation produit des effets de fausse réussite qui sont mis en évidence par les changements de cycles. La prise de conscience est vécue comme une grande violence pour élèves et familles.



    [1]Professeur des universités (IUFM d'Aix-Marseille) en didactique des mathématiques,  directeur de l’IREM (Institut de Recherches sur l’Enseignement des Mathématiques) de 1984 à 1991, il a développé la théorie anthropologique de la didactique.

    [2]Ancien co-secrétaire général du SNES, chargé de recherche à l’Institut de recherche de la FSU, Denis Paget a participé à la définition d’une « culture commune » par cette centrale syndicale. Il fait partie du Conseil supérieur des programmes (CSP).

    [3]Co-auteur avec Jacques Crinon, de «La construction des inégalités scolaires», professeur de sciences de l'éducation à l'université de Paris 8.

    [4]Pierre Bourdieuet Jean-Claude PasseronLa reproduction. Eléments pour une théorie du système d'enseignement. Paris, Editions de Minuit, 1970.

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