Un cinquantenaire qui se projette résolument dans l'avenir avec le
Lancement du marathon d'écriture collaborative : "Utopie éducative 2068" :
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Remerciements, Viviane Youx et Discours d'introduction, Jean-Louis Chiss
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Retour des ateliers - CR Atelier Enjeux
Discours de clôture, Viviane Youx à lire ci-dessous
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Conclusion de Jacques David - vidéo
Cinquante ans... déjà ! éditorial du n° 200, Jacques David
Les rédacteurs en chef du FA : Daniel Delas (1982-1985), Jacques David (1996-2018...), Jean-Verrier (1975-1982), Jean-Louis Chiss (1985-1996)
Cinquantenaire de l’AFEF et du FA – 17 mars 2018
Viviane Youx
Cinquante ans ! Un demi-siècle. Comment rendre compte du parcours de l’AFEF durant une période qui peut nous paraitre aujourd’hui à la fois aussi longue et aussi courte ? Immédiatement, comme probablement chacune et chacun d’entre vous, l’annonce de cette durée me fait plonger dans ma mémoire, m’évoque ma première rencontre avec cette association qui depuis me colle à la peau. Rassurez-vous, je ne vais pas me mettre à égrener mes souvenirs, je ne suis qu’un moment de cette histoire, même si ce moment dure depuis longtemps… C’est probablement ce qu’est cette histoire de l’AFEF pour chacune et chacun de nous, nourrie de moments, de rencontres, de sensibilité ; mais au-delà du cumul de nos expériences sensibles, son plus grand intérêt réside dans les valeurs et les engagements qu’elle porte. Cette trajectoire, que je vais parcourir rapidement, prend un sens tout particulier aujourd’hui, tant les luttes que l’AFEF a menées semblent fragiles, toujours sur le fil, et susceptibles d’être balayées d’un revers de main pour le plus grand plaisir de celles et ceux qui se verraient bien revenir aux années 60, avant que mai 68 passe par là, avec son grand vent d’utopies sociales, de désirs de justice et d’égalité dont l’école portait l’espoir.
Un an avant cette année-jalon de 1968 naissait l’AFPF (Association française des professeurs de français), de la conjonction de deux ambitions, deux lignes directrices pour son avenir :
- rénover l’enseignement du français dans notre pays,
- et rassembler les professeurs de français du monde entier.
Un plan de rénovation de l’enseignement du français, en préparation depuis quelques années, était entré en expérimentation ; des travaux universitaires commençaient à l’accompagner ; l’instruction obligatoire s’étendait à l’école secondaire et elle devait se réformer pour accueillir tous les élèves et répondre à l’utopie sociale de justice et d’égalité ; les professeurs cherchaient comment modifier leur enseignement pour mieux répondre aux besoins de leurs élèves dans un monde en mutation ; l’AFPF allait leur donner un espace de rassemblement, de parole, de co-formation. En mars 68, le congrès d’Amiens étendait cette dynamique. La lame de fond de Mai 68 allait bientôt bousculer les rapports d’autorité et déplacer les rapports au savoir. L’AFPF était dans le mouvement, avec sa revue le Français Aujourd’hui dont le numéro 1 paraissait en mars 68 pour porter sa parole associative.
En même temps (l’expression n’est pas nouvelle), émergeait l’idée d’une fédération internationale de professeurs de français, à l’initiative des Belges ; on allait se réunir à Québec en septembre 67 ; il fallait une association française « moderne » (il n’existait qu’une franco-ancienne), elle fut créée en aout 67 sous l’égide du recteur Antoine et de Pierre Barbéris sous le nom d’association française des professeurs de français. La FIPF, fédération internationale des professeurs de français, sortirait des limbes deux ans plus tard, et le destin de notre association et de la fédération resteront liés, l’AFEF lui donnera deux présidents, Raymond Le Loch, et Jean-Pierre Cuq ; et un vice-président, Michel Le Bouffant, qui nous quitta hélas peu après avoir tant œuvré pour l’organisation de l’immense congrès de la FIPF, Paris 2000. L’histoire de l’AFEF est ancrée dans une francophonie vivante, et est-ce un hasard si nous fêtons son cinquantenaire le jour de l’ouverture de la semaine de la francophonie 2018 ?
Donc, l’AFPF était née, des groupes de travail se créaient un peu partout en France pour chercher ensemble et se co-former ; on n’avait pas encore pensé que les enseignants pourraient être formés, les balbutiements d’une « science » de l’enseignement en révélaient la nécessité ; de ce fourmillement émergeraient peu à peu des dispositifs de formation des enseignants (jusqu’à ce qu’on les oublie et supprime !). De ce bouillonnement émerge aussi, en septembre 69, un texte fondateur, le Manifeste de Charbonnières[1], dont la déclaration préliminaire résonne, à quelques mots près, d’une étrange actualité :
« Les difficultés que rencontrent les maitres de français dans leur travail quotidien,
- La complexité et l’étendue des connaissances désormais nécessaires à l’exercice correct de leur fonction,
- Le faible développement, ou la diffusion insuffisante des recherches pédagogiques sur l’enseignement du français,
- L’inadaptation aux besoins actuels des modes de formation et de recrutement des enseignants,
Ont conduit les maitres de tous les degrés à se réunir autour du Bureau de l’AFPF… »
« De la maternelle à l’université », cette devise qui postule la continuité des apprentissages durant toute la scolarité, conduit au changement de nom pour prendre en compte les enseignants du primaire, et l’AFPF devient AFEF, le mot professeurs étant remplacé par enseignants. À partir de 1975, on se presse aux congrès de l’AFEF, pour y retrouver Roland Barthes, Pierre Bourdieu, Antoine Prost, Albert Jacquard… Sa revue, le Français Aujourd’hui, prend une nouvelle impulsion, moins associative mais plus scientifique. Et, pour accompagner la revue, une deuxième publication est créée, le Supplément, qui relaie les actions de l’association, des expériences de classe, et des articles pédagogiques.
L’AFEF renforce au fil des années son engagement politique, en 1977 elle publie un nouveau manifeste, 1977, Aujourd’hui le français[2] :
« Parce que nous sommes convaincus que la réflexion et la lutte collectives sont les seuls moyens que nous avons de faire échec à une politique fondée notamment sur l’isolement des maitres, sur la division entre ordres et disciplines d’enseignement, sur la marginalisation ou le dénigrement de la recherche. »
Mais aussi son engagement pour la littérature, que de mauvaises langues l’accusaient de négliger au profit des textes et documents divers. En 1986 parait Nous enseignons la littérature dont l’introduction insiste sur le changement de public, et fait remarquer que si « nous avons souhaité travailler sur TOUS les textes », « nous n’avons jamais cessé de travailler sur ces « textes qu’on appelle littéraires ».
Et son engagement politique consiste d’abord à prendre en compte tous les publics qui fréquentent l’École, à tous les niveaux de la scolarité ; les premiers numéros thématiques de la revue en sont le reflet : le français dans le technique, littérature enfantine, des enfants d’immigrés ; et à ouvrir le champ de la discipline, d’autres titres en témoignent : éducation permanente, pouvoir lire, les belles images, enseigner l’oral, lecture de textes contemporains, pratiques interdisciplinaires…
L’AFEF, pendant ces cinquante ans, travaille sur ces problématiques, elle en fait émerger de nouvelles au fur et à mesure que le travail dans les classes se croise avec les apports de la recherche et s’en enrichit. Mais il est plus difficile de retracer l’histoire précise des équipes qui se sont succédé pour en tenir les rênes, tant les personnes qui y ont contribué sont nombreuses, certaines sont restées proches de l’AFEF, d’autres s’en sont un peu éloignées, comme Serge Lureau qui a été la cheville ouvrière de l’AFEF pendant de longues années.
Depuis quinze ans, l’AFEF a souffert, la baisse continuelle des adhésions la mettait dans une situation financière plus que délicate, il ne lui était plus possible de continuer comme avant, d’avoir un local à Paris, de publier elle-même sa revue ; une solution a été trouvée pour le Français Aujourd’hui, éditée depuis 2005 par Armand Colin.
Pour l’association, après une période de flottement, elle a redémarré plus modestement, à la fois virtuellement, par voie électronique, avec un blog, puis un site[3], et une liste de diffusion pour les contacts ; et en présence, par l’organisation de rencontres-débats, la première avec Tzvetan Todorov, dont nous avons regretté le décès récent, interrogé par Jean Verrier. De nombreux chercheurs se sont succédé depuis dix ans dans ces rencontres de l’AFEF, pour faire connaitre à nos adhérents les avancées de la recherche en didactique qui leur permettent de nourrir et faire évoluer leur travail dans leurs classes. J’ai essayé de les inviter, certains sont parmi nous aujourd’hui, d’autres s’excusent d’être indisponibles, il est probable que d’autres aient été oubliés, et j’en suis désolée.
Depuis une dizaine d’années, l’association a travaillé régulièrement sur différentes problématiques qui, sans être nouvelles, ont connu une nouvelle actualité, comme si les discussions devaient toujours être reprises, et les progrès fort instables. De nouvelles équipes se sont mises en place pour porter ces discussions auprès des membres de l’AFEF, et je voudrais remercier chaleureusement toutes celles et ceux qui s’y sont engagés, d’abord au sein d’une équipe très réduite, uniquement féminine, qui a tenu le cap à la fin des années 2000. Puis un conseil d’administration plus large s’est constitué, s’est renforcé, et a fait de l’AFEF ce qu’elle est aujourd’hui, une association dont l’audience s’est confirmée, même si elle aimerait voir le nombre de ses adhérents grimper en flèche ! Récemment, le nom de l’AFEF a changé, en conservant le même sigle, elle est devenue l’association française pour l’enseignement du français, afin de représenter mieux ceux qui ne sont pas des enseignants de français, notamment dans l’élémentaire.
Alors, s’il faut toujours reprendre les mêmes problématiques, ne se serait-il donc rien passé en un demi-siècle ? Aurions-nous travaillé pour rien ? Certes non. L’AFEF et le Français Aujourd’hui ont participé d’une aventure collective où on a vu se mettre en place – et reconnaitre, espérons-le –, une recherche en sciences humaines, en didactique du français, dans ses différentes composantes, langagières, linguistiques, littéraires, en sciences de l’éducation, en pédagogie. Elle s’est engagée dans des combats de haute lutte qu’il serait long de lister tous, juste quelques-uns :
- faire reconnaitre l’importance de la compréhension dans l’apprentissage de la lecture ;
- faire entrer la littérature de jeunesse en classe, au primaire mais aussi au collège ;
- donner à toutes les filières une reconnaissance égale, mettant l’enseignement professionnel et technologique au niveau qu’ils méritent ;
- travailler la langue et les langages dans une perspective large, impliquant les différentes disciplines et situations scolaires et extrascolaires ;
- faire sortir l’enseignement de la littérature d’une vision compassée en ouvrant largement les démarches et les corpus, notamment en synergie avec les autres arts ;
- faire écrire, imposer l’idée d’une écriture pour penser, comprendre, lire, apprendre ;
- faire reconnaitre le rôle de la créativité, du sensible dans les apprentissages :
- faire reconnaitre la professionnalisation des enseignants impliquant le droit à une formation longue et de qualité.
Nous avons cru gagner certains de ces combats, nous avons cru que la situation de l’École allait s’améliorer, qu’elle serait enfin moins inégalitaire, que les besoins des élèves les plus démunis seraient pris en compte, que tous auraient des chances égales de réussir. L’institution s’est même servi de ces combats, les reprenant à son compte, les phagocytant et les utilisant comme vitrine ; après tout, pourquoi pas si c’était pour le bien des élèves, pour leur réussite collective ? Des progrès ont eu lieu, l’AFEF a réussi, à plusieurs reprises, à influencer les programmes, à y faire entrer la littérature de jeunesse, l’écriture créative, à y ouvrir les corpus et diversifier les démarches ; plus récemment à accompagner et amender l’écriture des programmes des cycles du socle commun. Mais pointer ces progrès, c’est, en même temps, hélas, mettre le doigt sur les régressions en cours.
Car si des avancées ont été patentes, et si nous les avions cru assurées, nous sommes bien obligés de déchanter. Déjà, à la fin des années 2000, un vent de régression avait soufflé ; la formation, pourtant encore bien insuffisante avait été démantelée et pratiquement supprimée. Et les programmes de l’école et du collège de 2008 avaient connu un retour en arrière inquiétant. Les polémiques sur la grammaire et sur les méthodes de lecture connaissaient leur acmé, et l’AFEF, dans la période la plus faible de son histoire, avait du mal à faire front aux demandes des journalistes. Seul le lycée était épargné par cette vague régressive, un projet novateur avait même été avancé avant d’être retiré.
Et maintenant, après quelques années d’espoir, où une refondation, une reconstruction commençait à porter ses fruits, une deuxième vague régressive s’installe, méthodiquement, et de manière perverse. Sous des prétextes scientifiques et pragmatiques, le ministère démantèle une à une toutes les avancées fragiles de ces dernières années. Certains problèmes sont de notoriété publique, l’insuffisance de la formation, le dédoublement arbitraire des CP au détriment des classes rurales, la réduction scandaleuse de la semaine à quatre jours pour de nombreux enfants, la disparition des cycles du vocabulaire ministériel, l’installation d’un conseil scientifique de l’éducation dominé par les neurosciences… Et pour le français, la réactivation de polémiques régressives non argumentées dont on sait qu’elles marchent à tous les coups, sur l’apprentissage de la lecture, sur la chronologie en littérature, sur la terminologie grammaticale, sur les épreuves de français du bac…
D’autres sont moins connus, et la politique du secret est intéressante à observer. Par exemple, sur l’organisation des assises de la maternelle confiée à Boris Cyrulnik, sans aucune information publique, et un programme tenu secret accessible aux seuls invités, programme là encore fortement marqué par les neurosciences.
Par exemple sur le français au bac, personne ne s’est étonné que ce soit la seule discipline dont le ministre ait donné des précisions sur les épreuves à conserver ou supprimer, comment sait-il ce « qu’il faut faire » ? C’est simple, il consulte, de manière ciblée, uniquement les associations les plus conservatrices qui se disent « littéraires », quant à nous, il ne répond pas à nos sollicitations, puis fait organiser une pseudo consultation par le CSP dans laquelle l’entre soi majoritaire nous ramène aux années soixante.
Avant mai 68. Un demi-siècle de recherches, d’évolutions balayées si brutalement.
J’avais prévu de faire un discours prospectif, dynamique, mais j’ai eu du mal. Nous pouvons rêver de lendemains qui chantent, de l’imagination au pouvoir, notre marathon d’écriture collaborative[4] nous transporte dans le prochain demi-siècle avec son « Utopie éducative 2068 ». Rêvons pour l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants.
Mais en attendant, ne rêvons pas trop ! La passivité générale est inquiétante. Certes, nous sommes passés maitres dans l’art de surfer sur les programmes et de les contourner si l’intérêt des élèves est en jeu, notre créativité d’enseignants reste entière. Mais que faire si elle sert de vitrine, de caution moderne à un projet inégalitaire, au service d’une vision du monde où les chances sont bizarrement réparties ? Que faire quand une École se préoccupe des exercices que doivent faire les élèves plutôt que ce qu’ils ont besoin de connaitre et de savoir faire pour réussir leurs études et leur vie professionnelle, personnelle, citoyenne ? Nous pouvons rêver. Nous pouvons rester impassibles, et continuer à travailler tranquillement comme si tout allait bien.
Nous pouvons aussi nous réveiller, nous rassembler, et retrouver cet élan de révolte qui a éclaté il y a cinquante ans. Le texte-manifeste[5] sur lequel nous avons travaillé doit rassembler, nous avons besoin d’être nombreux pour le faire connaitre et faire porter nos voix, nous avons besoin que beaucoup de nos collègues rejoignent toutes celles et ceux qui nous font déjà confiance en adhérant à l’AFEF. Nous ne le ferons pas seuls, c’est en nous rassemblant avec les associations qui croient aux mêmes valeurs que nous que nous pouvons avoir des chances de nous faire entendre.
Merci à toutes et à tous pour votre présence à ce cinquantenaire qui nous confirme que nous devons continuer à défendre les valeurs sociales et éducatives auxquelles nous croyons !