Association française pour l’enseignement du français

Notes de lecture

  • 03
    Oct

    Approche par compétences et réduction des inégalités d’apprentissage entre élèves. De l’analyse des situations scolaires à la formation des enseignants

    BECKERS Jacqueline, CRINON Jacques, SIMONS Germain (sous la direction de) (2012), note de lecture de Isabelle Henry

     

    BECKERS Jacqueline, CRINON Jacques, SIMONS Germain (sous la direction de) (2012), Approche par compétences et réduction des inégalités d’apprentissage entre élèves. De l’analyse des situations scolaires à la formation des enseignants, éditions De Boeck (252p)

     

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    Par Isabelle HENRY.

    Cet ouvrage s’inscrit dans un contexte pédagogique de plus en plus centré sur le développement des compétences des élèves qui est au cœur des problématiques d’enseignement actuelles, en France depuis la mise en œuvre du socle commun, en Belgique comme en témoignent certains chapitres. L’instauration des compétences comme élément de pilotage de la pédagogie a pour visée affichée de permettre à tout élève de devenir un citoyen capable de s’intégrer et de faire face à la complexité du monde en mobilisant et transférant les compétences acquises dans différentes situations de son existence.

    Les travaux de recherche présentés par les contributeurs s’appuient sur l’observation de pratiques enseignantes censées reposer sur l’approche par compétences, à différents niveaux de la scolarité (primaire et secondaire), dans différents contextes d’établissements et différentes disciplines, en Belgique et en banlieue parisienne. Ces pratiques sont envisagées du point de vue de leurs effets sur les apprentissages afin de mesurer si l’approche par compétences permet, ou non, de réduire les inégalités entre les élèves auxquelles certaines pratiques professionnelles contribuent pourtant sans le vouloir.

    L’introduction de Jacqueline Beckers pose le cadre théorique et met en perspective les valeurs qui doivent présider à l’approche par compétences afin d’éviter qu’il ne s’agisse de ‘’pédagogies invisibles’’, implicites, qui ne favorisent pas la réussite des élèves en difficulté. L’ouvrage présente des observations de classe à différents niveaux (fin de scolarité primaire et secondaire), dans différents champs d’apprentissage (compétences discursives, résolution de problèmes mathématiques, langues étrangères). Il s’intéresse aux tâches, aux activités des élèves, et à ce qu’ils apprennent. Il s’appuie également sur les pratiques professionnelles, les discours des enseignants, et présente des dispositifs de formation (initiale et continue). Ainsi, les différentes contributions permettent de mettre au jour un certain nombre de « principes »  dans la conception des situations d’apprentissages qui tendraient à favoriser la réduction des inégalités d’apprentissages entre les élèves : rendre clairs et explicites les objets de savoir ; proposer des situations d’apprentissage ouvertes mais néanmoins cadrées et étayées par l’enseignant ; favoriser la verbalisation par les élèves : situation d’interactions et de collaboration dans la réalisation de la tâche ; revisiter la posture de l’enseignant et le statut de l’élève dans la classe ; différencier, s’appuyer sur des outils de diagnostic précis pour permettre à tous de progresser,  entre autres éléments.

     

    A travers l’exemple de deux chapitres, nous détaillons certains de ces points.

    Dans le premier chapitre, « Rendre visibles les objets de savoir dans l’acquisition de compétences discursives », (Jacques Crinon et Brigitte Marin, Universités Paris-Est Créteil et Paris 8), huit classes de CM situées en banlieue parisienne, en ZEP pour certaines, ont été observées. Les élèves doivent produire un écrit référé à un genre textuel (texte explicatif scientifique ; texte fictionnel). Les séquences articulent des temps d’écriture et des temps de révision de texte, ceux-ci intégrant des interactions entre pairs par la mise en place d’un tutorat où un élève propose des conseils écrits à celui dont il relit le texte. Dans les classes où l’organisation de la révision du texte a bien reposé sur une collaboration entre pairs, celle-ci a permis de créer au sein de la classe une « communauté de pratiques », a favorisé l’appropriation des savoirs et savoir-faire attendus, a développé la réflexivité des scripteurs et des progrès ont été constatés chez les élèves en difficulté. L’enseignant, lui, organise la situation d’apprentissage, procède aux appariements pertinents d’élèves et assure l’institutionnalisation des savoirs qu’il a permis de faire émerger.

    Ce premier exemple offre à lui seul quelques réponses à des difficultés rencontrées depuis la mise en œuvre du socle commun en France. Les compétences discursives travaillées ici sont larges et ne reposent pas sur une atomisation en de nombreux items. Les apprentissages langagiers se situent à la fois dans le champ de l’écriture et dans celui de l’oral et participent pleinement de l’appropriation par l’ensemble des élèves de savoirs et savoir-faire dès lors que l’enseignant propose l’explicitation et l’étayage qui permettent à tous d’avancer dans les apprentissages. Son rôle est central et montre qu’il doit maitriser des gestes professionnels identifiés, accepter une nouvelle posture dans la classe pour lui et pour les élèves, ce qui pose la question de la formation des enseignants à cette ‘’logique des compétences’’, comme préfère la nommer Marcel Crahay en conclusion de l’ouvrage.

     

    On retiendra également une notion centrale qui traverse l’ensemble des chapitres : la notion d’équité. En effet, si notre école est fondée sur un idéal d’égalité des acquis des élèves, il s’avère que tous ne sont pas égaux face aux apprentissages. C’est notamment l’enjeu de l’un des chapitres consacré à la formation des enseignants : « Former des enseignants à une approche par compétences efficace et équitable » (Jacqueline Beckers et Anne Campo de l’Université de Liège). On y retrouve un certain nombre d’invariants évoqués dans les autres chapitres quant aux situations d’apprentissage à proposer tout en tenant compte notamment des apports de la psychologie cognitive pour faire émerger les savoirs et permettre leur appropriation par les élèves. Mais surtout, les enseignants doivent ‘’intérioriser la volonté de travailler avant tout pour les élèves qui ont le plus besoin d’étayage sans pour autant négliger les autres’’. Belle façon d’engager les enseignants à différencier en prenant davantage la mesure des écarts entre les élèves et à participer à leur réduction plutôt que de s’appuyer sur un principe d’égalité qui, dans les faits, contribue paradoxalement à renforcer les inégalités. 

     

    Ce n’est pas le lieu de détailler ici tous les travaux de recherche présentés, néanmoins, on retrouve des invariants qui traversent les disciplines et les dispositifs de formation des enseignants présentés, en même temps que des spécificités disciplinaires subsistent et qu’il faut prendre en compte. L’ensemble de l’ouvrage ouvre des perspectives pour tout enseignant et formateur et donne des pistes de travail, expose des situations propices, ou non, à aider les élèves à progresser. Il rappelle aussi et surtout que l’approche par compétences ne relève pas prioritairement d’une méthode systématisée mais la situe dans le champ axiologique. Si elle nécessite une professionnalité, la logique des compétences engage les valeurs que l’École se doit de défendre, l’équité notamment, tout en mesurant le chemin qu’il reste à parcourir pour former les enseignants à une telle approche qui nécessite de grandes remises en cause des pratiques professionnelles et qui, mal maitrisée, peut tout à fait contribuer à renforcer les inégalités.

     

    Présentation sur le site de l’éditeur.

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