CORPUS (Collectif pour Refonder les Programmes Universitaires et Scolaires) organisait le 12 février 2014 un premier séminaire public « à propos du curriculum ».
CORPUS, ainsi qu’on peut le lire sur le site refonderprogrammesscolaires.com, « est un collectif proposant un travail de coordination, d’impulsion de réflexions qui s’inscrit dans le moyen et long terme. C’est un lieu d’échanges, de confrontations qui ne se substitue pas aux organisations qui ont souscrit à son appel mais s’appuie sur elles. »
L’idée de départ était de commencer par un bilan des programmes, d’associer des enseignants et des chercheurs pour mener une réflexion en direction du Conseil Supérieur des Programmes. L’ensemble du processus devait s’étaler sur trois ans. Le calendrier du CSP en ayant voulu autrement, ce premier séminaire était organisé, alors que le bilan n’a pas été fait, afin de clarifier cette notion de curriculum, peu présente dans la tradition éducative française. Les questions suivantes étaient posées aux intervenants : qu’est-ce qu’un curriculum ? Quelles recherches ont été faites sur cette notion ? Comment cela pourrait-il permettre des avancées dans la réflexion sur les programmes scolaires et en particulier sur la question de la démocratisation ?
Les organisateurs, dont Gisèle Jean, membre du SNESUP et cofondatrice de CORPUS, avaient invité pour ce faire Elisabeth Chatel, maitre de conférence honoraire en sociologie à l’ENS Cachan et Bertrand Geay, professeur de sciences de l’éducation à l’Université d’Amiens.
La première intervenante, Elisabeth Chatel, mentionne tout d’abord qu’il existe plusieurs définitions de curriculum : au sens restreint ce sont les contenus d’enseignement et leur évolution au cours du temps ; au sens large, pour les sociologues, le curriculum désigne non seulement les contenus d’enseignement, mais aussi les modalités de leur sélection, de leur organisation et de leur transmission (méthodes pédagogiques, organisation du temps, de l’espace et des relations lors des activités de classe). Il résulte d’une certaine représentation du savoir.
Elle précise ensuite que la première acception de curriculum renvoie à un programme d’étude mis en place par une institution selon une certaine progression. Il y a donc à la fois idée de plan et idée d’intention.
Ensuite, et c’est la seconde acception, il convient de faire la distinction entre curriculum formel (celui qui résulte des programmes et règles institutionnelles) et curriculum caché ou curriculum réel, celui qui est effectivement mis en œuvre par les enseignants en fonction de ce qu’ils jugent utile, nécessaire, possible…Les manuels, les exercices, les évaluations, les examens, etc. seront également pris en considération dans l’étude sociologique. Les manières de faire des enseignants seront plus difficiles à appréhender.
Elisabeth Chatel s’attache « à repérer et comprendre le rôle joué par divers groupes sociaux pour influencer le curriculum en relation avec les formes institutionnelles prises par le curriculum ». Ses travaux s’appuient sur ceux de Jean Claude Forquin (sociologie du curriculum, PU Rennes, 2008) et sur de nombreuses études anglo-saxonnes (Basile Bernstein, Michael Young entre autres). Le point de départ en France de ce type de recherche est à chercher chez Emile Durckheim (L’évolution pédagogique en France, 1904-1905, PUF, 1938). D’autres auteurs bien connus sont cités (Bourdieu, Baudelot et Establet, Charlot, Isambert-Jamati…)
Bertrand Geay, qui s’appuie sur les mêmes bases, développe pour sa part un type d’étude un peu différent car plus restreint quant au domaine, le courant de l’histoire des disciplines scolaires, avec André Chervel (dont l’ouvrage central est bien connu des enseignants de français : et il fallut apprendre à lire à tous les petits Français, Histoire de la grammaire scolaire ; Payot, 1977. NDLR).
L’idée principale chez Durckheim, souligne B. Geay, est que la société, à un moment donné, est structurée, organisée d’une certaine manière qui influence le fonctionnement de l’école. Des choix sont opérés en fonction des cultures, du temps, de ce qui est considéré comme utile, etc. ainsi que le montreront Bourdieu et Passeron.
En conclusion, B. Geay estime que le système scolaire français souffre des incohérences de son curriculum, qui mêle de grandes ambitions et des parcours concrets, individuels, parfois très difficiles.
Dans la discussion, on s’interroge sur les attentes du Conseil Supérieur des Programmes, son président, M. Alain Boissinot, ayant évoqué « une logique curriculaire » : de quelle acception du mot s’agit-il ? Dans une conception anglo-saxonne ayant conduit à la publication de curricula nationaux il y a une vingtaine d’années, un curriculum est un programme très strictement défini des points que le professeur doit travailler avec les élèves, comprenant les exercices à pratiquer ainsi que les évaluations. Un curriculum de ce type peut être un véritable carcan et a été reçu comme tel en Angleterre. Au contraire, certains participants font état de contacts au CSP où la « logique curriculaire » semble plutôt souple, constituée de grandes lignes et d’un cadre général, laissant pour le coup une très (trop ?) grande liberté aux enseignants. La crainte que cette très large autonomie soit à discuter au sein des établissements est également exprimée.
Des travaux d’Elisabeth Chatel et de Bertrand Geay sont disponibles sur le site de CORPUS.