Association française pour l’enseignement du français

Les précédentes

  • 17
    Mar

    Rencontre-débat du 7 mars

    "Enseigner la littérature de jeunesse"

    Enseigner la littérature de jeunesse : rencontre-débat du 7 mars 2009

     

     

    L’AFEF a organisé sa deuxième rencontre-débat de l’année scolaire sur le thème de la littérature de jeunesse. La première avait eu lieu à Paris en décembre sur l’utilisation des TICE dans l’enseignement du français.[1]

     

    Elle a saisi l’occasion de la sortie récente du premier hors série de la revue Le Français aujourd’hui, revue de notre association qui, en  revisitant un sujet, cherche à le mettre en perspective.

     

     

    C’est ce que Max BUTLEN, Jacques DAVID, Pierre BRUNO et Serge MARTIN, tous les quatre membres du comité de rédaction, ont souhaité faire dans un contexte scolaire défavorable à cette littérature bien qu’elle soit florissante économiquement.

     

    Jacques DAVID, rédacteur en chef du Français Aujourd’hui, explique ce qui a guidé la composition de ce premier hors série : d’abord balayer près de quarante ans de travaux publiés de façon disséminée dans différents numéros ; resituer les débats autour de la littérature jeunesse et réaffirmer les propositions didactiques ; envisager le point de vue des auteurs et des illustrateurs jeunesse ; enfin,  poser les questions littéraires que soulève cette littérature. L’ouvrage se termine par une bibliographie sélective qui est déjà dépassée par de nombreux ouvrages en cours de parution (dont certains portant le même titre que notre Hors-Série), sans oublier l’exposition qui a   lieu à la BNF  jusqu’au 11 avril 2009 sur Babar, Harry Potter et Compagnie [2] .

     

    La littérature jeunesse est-elle menacée ?

    Tout prouve le contraire, dit Max BUTLEN, qui  s’exprime sur l’offre de lecture faite aux jeunes.  Elle représente 15% du chiffre d’affaires des libraires, plus de 10 000 titres par an,  5 000 nouveautés et 5 000 rééditions. C’est devenu un phénomène social, économique. L’industrie du livre est prospère.

    C’est l’histoire d’une légitimation. L’Ecole et la littérature ont  toujours été un couple agité mais remarquable. Et il y a toujours eu des textes pour la jeunesse : Le Tour de France de deux enfants a a été tiré à  6 millions d’exemplaires. La place de la littérature  a toujours été discutée. On en a l’exemple avec Rabelais, Montaigne. Ce dernier s’interroge sur l’intérêt de lire Lancelot du lac plutôt qu’Ovide. La lecture des jeunes a toujours été encadrée. Une statue Sud-Américaine de Santa Anna montre déjà la mère de Marie (et grand-mère du Christ) en train de s’interroger sur ce qu’il est bon de lire, et comment il faut lire.

                La massification a renversé ce rapport : il ne s’agit plus de surveiller les lectures mais de faire lire. L’offre a donc été renouvelée. L’école va devoir évoluer mais sous influence : les partenaires (ministère de la culture, médiateurs culturels…) critiquent l’Ecole qui dégouterait  les jeunes de la lecture. Des influences internes également se sont fait sentir : des gens s’interrogent sur l’offre faite aux élèves. Elle  se résume dans les années 70 à vingt auteurs. L’Institution confirme le manque de lecture. Les mouvements pédagogiques, dont l’AFEF, vont dans le même sens. Les suivis de cohorte, les évaluations nationales, internationales, comme PISA, pointent une faiblesse des élèves français dans l’aptitude à réagir et à interpréter un texte : les élèves n’osent pas donner leur point de vue, ils préfèrent se taire plutôt que de se tromper.

     

    La place de la littérature jeunesse dans l’Ecole

    1975 : pour la première fois, les textes officiels demandent de faire une place à une culture adaptée. Mais rien ne changera entre 80 et 85, sauf dans les CDI et les BCD (les centres de documentation au collège et les  bibliothèques à l’école primaire). Les résistances au collège et au lycée sont manifestes mais elles sont moins grandes à l’école primaire.

    1985 : les textes officiels ne prononcent pas l’expression « littérature de jeunesse » mais y font référence.

    1995 : une liste indicative d’ouvrages de littérature de jeunesse est intégrée aux documents d’accompagnement. Cette liste a été soumise aux associations. 750 références apparaissent. Et on invente un nouveau concept associé à la littérature de jeunesse : la  lecture cursive. On distingue alors la lecture cursive (lecture individuelle, faite sans étude particulière) de la lecture analytique (lecture d’extraits ou d’œuvre intégrale, qui se fonde sur une analyse et  sur une méthode)

    2002 : véritable légitimation qui bouscule. La littérature jeunesse est intégrée aux apprentissages à l’école primaire.

    Pour les nouveaux programmes 2008 à l’école, on en reparlera dans le débat. Mais tout laisse craindre un retrait un recul de la littérature jeunesse.

     

    Le renouvellement de l’offre est pourtant manifeste et irréversible, y compris dans l’Education nationale, quoiqu’en disent certains. Le vrai problème est ailleurs : on a pensé que le renouvellement de l’offre allait se suffire à lui-même. Il n’en est rien : la multiplication des objets, des lieux de lecture, des livres, n’abolit pas la barrière qui existe pour certains jeunes. La médiation est toujours  - encore plus ? - nécessaire.

     

     

    Pierre BRUNO s’intéresse, quant à lui, à la sociologie de la culture. Mettre en perspective les textes sur la littérature jeunesse permet de valoriser des textes qui ont disparu et de regarder les discours et les représentations sur la littérature jeunesse.

    Deux doubles discours s’opposent. D’abord y a-t-il un mouvement continu ou discontinu (progression puis  régression) du savoir ? Ensuite est-il légitime de parler de « champ » pour la littérature jeunesse ? Y a –t-il évolution puis autonomisation de la littérature jeunesse ?

     

    Dans le discours dominant – le plus répandu et le plus proche du pouvoir –, les plus critiques sur la marchandisation de la littérature sont les commerçants eux-mêmes. Les Québécois sont d’ailleurs plus critiques que les Français.

    Les  méthodes d’approche de la littérature jeunesse évoluent : on passe d’une conception alternative à une conception intégrative. Et la reconnaissance de la littérature jeunesse n’est-elle pas due à une récupération ?

     

    La notion de champ est ambivalente : la culture est une lutte interne. Le mot champ est utilisé pour la littérature jeunesse. On a aussi utilisé le mot réseau.

    La littérature jeunesse fait l’objet maintenant, comme toute la littérature générale, de luttes de pouvoir intellectuel et économique. On constate l’existence, dans le domaine de la recherche, d’un pôle concentré à Paris, lieu de conflits d’intérêts potentiels entre éditeurs, critiques et revues.

     

     

     

     

    Serge MARTIN  commence par noter un fait remarquable pour une revue ancienne : le Français aujourd’hui a très tôt ouvert une chronique Littérature jeunesse et  son supplément a   orienté son travail didactique vers  la littérature jeunesse.

    Même si l’historicité du numéro Hors-Série est très importante, il choisit de s’interroger sur la poétique de la littérature de jeunesse. Et d’ailleurs pourquoi en parler au singulier ? C’est un concept flou, poreux : faut-il parler des bébés lecteurs aussi bien que d’objets pour les plus de 35 ans, les Tanguy qui lisent Babar ? Le juridique viendrait alors définir le littéraire, puisque l’âge de 35 ans est considéré comme délimitant la fin de la jeunesse.

     

    En fait avec la littérature jeunesse, tous les problèmes redoublent : elle pose aussi la question de la paralittérature, la post-littérature……

     

    Le problème didactique de la littérature de jeunesse est la question de l’initiation. Elle a toujours été considérée comme une pratique initiatrice à une autre littérature. En maternelle, ce serait naturel mais aussi au-delà, y compris à l’université, cette légitimation est un peu perverse. Que ce soit de l’initiation ou non, il y a des pratiques qui ont fait œuvre.

     

    La littérature de jeunesse en fait engage le rapport lecture/oralité, notamment par le biais de l’image. La littérature dejeunesse est un espace-temps global (texte/image, couleur, graphisme….). D’ailleurs les pratiques de lecture les plus savantes intègrent  l’oralité aussi.

     

     

    La littérature jeunesse est prise dans la dichotomie plaisir/travail

    Avec la littérature de jeunesse, on est en implication et en distanciation : tout le monde dit ce qu’il pense mais en dernier recours, le maitre dit les limites, dit l’autorité. Si dans la littérature patrimoniale, on est plutôt dans l’immobilisme (approche analytique), dans la littérature jeunesse, on est plutôt dans le bougisme (approche cursive), pour reprendre un terme en vogue. Toute lecture analytique ne doit pas devenir un modèle enfermant.

    Aujourd’hui on assiste à une déscolarisation de la littérature, jusqu’au discours présidentiel : pourquoi enseigner la littérature, nous dit on ?

    Avec la littérature de jeunesse, on perd ses complexes : la question des traductions ne se pose plus, la question de l’identitarisme non plus. On est souvent dans un altruisme vide.

    Or si, dès le plus jeune âge, on n’interroge pas la traduction, si l’on se confine dans l’altruisme, on est alors dans une mondialisation ratée.

    Avec la littérature de jeunesse, s’est aussi déplacée l’opposition entre lecture de morceaux choisis et lecture intégrale.

     

    Débat

    Un débat avec la salle s’est engagé. Beaucoup de questions sont posées.

    Sur  les nouveaux programmes 2008 à l’école et 2009 au collège, l’inquiétude est partagée : on peut sans doute encore faire ce qu’on veut, surtout à l’école élémentaire, mais en collège, cela risque d’être plus difficile et complexe.

    Une auteure fait part de son étonnement face à la marchandisation de la littérature jeunesse et aux conflits économiques qu’elle crée. C’est une vision très parisienne dont elle n’avait pas conscience, mais sans doute très réaliste.

     

    La littérature jeunesse ne détourne-t-elle pas de la littérature ? ne fait-elle pas l’objet d’un enseignement mécanique, répétitif ( 1ère de couverture, hypothèse de lecture…) ? Des enseignants d’IUFM reconnaissent que la diminution du nombre d’heures de formation sur la lecture ne permet plus de former les jeunes enseignants comme il faut, que le contexte pressant sur la maitrise de la langue pousse les jeunes à diminuer les temps d’approche littéraire. En collège, les enseignants qui ont souvent 20h de cours, 5 classes  avec 4h de français ou au mieux 5h peinent à faire un travail de littérature digne de ce nom. Ce sont les pratiques pédagogiques qu’il faut interroger et non la littérature de jeunesse. On ne peut pas opposer le patrimoine littéraire qui serait mort et la littérature jeunesse qui serait vivante.

     

    La littérature est effectivement de l’art vivant : il y a une sortie de la littérature de la discipline littéraire. Le nouveau but de l’école est la sélection. La littérature s’enseigne ailleurs : dans les ateliers d’écriture ? en prison ? dans l’accompagnement éducatif ? mais pas en français. Elle est devenue une nomenclature. Et cela repose la question de la durée de l’expérience littéraire. Le temps de lire est trop court.

    Il faudrait refaire un manifeste de Charbonnières : reposer la question de la culture commune car c’est une clé démocratique. Il faut faire travailler sur l’implicite, l’allusion, la connivence. Or cela nécessite une autre formation des enseignants.

     

     

Aucun Commentaire

Commenter cet article

  • Nom *
  • Email
  • Site Web
  • Message *
  • Recopiez le code de sécurité *
  • ???
  •