La journée est présentée et introduite par Viviane Youx : cette journée s’inscrit dans une capitalisation des très nombreux projets déjà menés partout dans les établissements et une valorisation des expériences.
Denis Paget, Conseil Supérieur des Programmes (CSP)
En ouverture de la journée, présente la démarche curriculaire qui a été retenue par le CSP. L’expression « programme curriculaire » rassemble deux mots contradictoires : à l’international on distingue le curriculum du syllabus qui correspond à ce que nous appelons les programmes. L’idée du CSP, en adoptant une démarche curriculaire, était de créer davantage de cohérence entre les différentes approches disciplinaires et d’englober toute l’éducation du jeune dans la classe et hors de la classe.
Le concept de curriculum est complexe car il recouvre beaucoup d’acceptions et la recherche en matière de sociologie du curriculum est assez faible ; on peut dégager trois axes en sociologie de l’éducation, dans lesquels il y a peu de place pour le curriculum :
- Comment les savoirs servent à réduire les inégalités
- Comment les savoirs constitués par les savoirs universitaires et les pratiques sociales de référence se transforment en savoirs scolaires enseignables
- Comment la constitution des disciplines scolaires et leur histoire naturalise ou fait évoluer la forme scolaire
Un grand tournant a été la loi Fillon 2005 sur le Socle commun de connaissances et compétences, même si les notions de socle et de compétences soulèvent des questionnements ; les compétences constituent un champ flou, polysémique ; le socle a posé la question du plancher/plafond (ce terme est apparu comme socle des indispensables dans la commission Thélot). La loi de refondation du 8 juillet 2013 sur la scolarité obligatoire a ajouté l’élément « de culture » au socle.
Les chercheurs considèrent que tout ce qui concerne la scolarité de l’élève relève du curriculum sauf les structures. Mais en France, le curriculum ne chassera pas le terme programme… Selon les systèmes des pays, deux pôles se dégagent dans la construction des curriculums : compétences transversales vs compétences disciplinaires ; le CSP a choisi une voie médiane.
La Charte des programmes élaborée par le CSP donne au socle un rôle de cadrage des programmes ; on ne distingue plus connaissances et compétences ; les programmes, distribués en trois volets, doivent être lisibles par tous ; le programme indique ce que l’élève doit apprendre et non pas ce que l’enseignant doit faire, sans prescription sur les méthodes ; les programmes doivent être raisonnables. Les « éducation à » ont été supprimées et remplacées par des enseignements (moral et civique) ; mais il reste l’Éducation aux médias et à l’information, et l’introduction des parcours par le ministère constitue une structure contradictoire.
La grande nouveauté des programmes de français a été la réintroduction des compétences langagières de l’écrit (les élèves écrivent peu) et de l’oral, rééquilibrées par rapport à la littérature.
Concernant les évaluations, un diaporama a été mis en ligne par le Ministère ; la proposition du CSP est que le Diplôme National du Brevet constitue la validation du socle, mais le document du Ministère ne va pas vraiment dans ce sens.
Isabelle Henry, CA AFEF, enseignante et formatrice de collège, Académie de Caen
Cette intervention revient sur les formations menées depuis la rentrée de toussaint par regroupements de bassins d’éducation dans l’académie de Caen.
Le point nodal des griefs des enseignants est la question du temps, sous différentes formes :
- Un sentiment d’inquiétude devant l’urgence du travail préparatoire pour la rentrée 2016 : les nouveaux programmes sont conçus de manière profondément différente des précédents ; la réforme comporte plusieurs dispositifs entièrement nouveaux ; ils se sentent isolés et inquiets.
- Une interrogation sur les modalités d’organisation du temps collectif dans les établissements : comment travailler en équipe, à quels moments ? En particulier, dans le cycle 3 quels espaces de travail collectif inventer ?
- Une interrogation sur la nécessaire réorganisation du temps : pour l’Accompagnement Personnalisé notamment, les enseignants ont de la difficulté à penser d’autres structures pour l’organisation annuelle. Ils ont besoin qu’on leur ouvre les possibles, qu’on leur propose un grand nombre d’organisation du temps envisageables pour qu’ils puissent se représenter une structuration du temps différente.
- Ces questions sur le temps font ressortir une très forte demande d’accompagnement, de formation. La première journée organisée dans l’académie n’a pas été pensée de manière à les satisfaire : une matinée consacrée à un diaporama et un discours descendant. Devant un cours magistral qui ne répondait aucunement aux inquiétudes et aux interrogations concrètes, même les enseignants qui ne sont pas rétifs au changement finissent par l’être du fait du sentiment de ne pas être entendu ;
- Les enseignants opposent cours et dispositifs et vivent ces derniers comme un temps soustrait au temps d’enseignement ; cette disjonction prolonge celle qui persiste depuis d’existence du socle entre les savoirs et les compétences, encore souvent dissociés ;
- Ils ressentent de la difficulté à gérer la part d’autonomie que comporte la Dotation Horaire Globale des établissements, et manifestent de l’inquiétude vis-à-vis du pouvoir qui leur parait accordé aux chefs d’établissement, sans penser comment ils pourraient s’en emparer.
Yves Zarka, CA de l’AFEF, IA-IPR Vie scolaire, Académie de Créteil
Il ne se propose pas décrire ce qui se passe dans l’académie de Créteil, mais dans le district dont il a la responsabilité en tant qu’IA IPR Vie scolaire, celui de Saint-Denis. La réunion de formation s’est très bien déroulée, 16 collèges sur 19 étaient représentés, 75 enseignants présents, il n’y a pas eu de contestation du cadre contrairement aux craintes. Cette réunion n’a pas imposé un discours descendant mais plutôt un moment d’échange sur les besoins. Les participants se sont dit frustrés par le manque de réponses, mais d’autres réunions sont programmées pour une suite.
Cette expérience fait ressortir un double enjeu de posture et de méthode : on ne peut pas analyser tout ce qui se dit comme une résistance au changement ; il s’agit plus profondément d’une question d’identité professionnelle ; le système éducatif français est construit sur du cloisonnement, on pense la structure avant les contenus que l’on met dans la structure en solitaire, la marge de manœuvre que je me garde me sert à faire ce que je veux dans un cadre. Or c’est le contraire qu’il faut faire : dire où on veut aller, et construire le cadre à partir de cet objectif, de ces finalités. Dans l’esprit de la réforme, on change de logique et nous devons faire la différence entre le technique et le politique ; la ministre a un projet politique de changement de pratiques, de renversement d’approches, notamment par la démarche de projet (dans l’arrêté 19 mai 2015 mais pas dans les programmes) ; au contraire les programmes renvoient à des experts techniques. L’enjeu est la construction d’une liberté pédagogique collective, mais cela suppose de savoir où on va ; il y a des obstacles mais aussi des marges.
Finalement cette réforme du collège ne sera acceptable et acceptée que si elle tient sa promesse de plus-value éducative ; et l’on ne saura pas si cette plus-value est tenue sans faire la réforme.
Michel Dessault, principal de collège REP+ Toulon
Comment en est-on arrivé à la réforme ? Le système scolaire est soumis à des situations d’urgence, ce qui provoque des mal-vécus, une incompréhension du pourquoi confrontée aux pratiques locales. La commande institutionnelle est souvent détournée pour des besoins de confort. La marge d’autonomie existe dans la DHG (dotation horaire globale) de tous les établissements : quand on est enseignant on ne voit pas cette marge d’autonomie ; le chef d’établissement a déjà réparti l’autonomie quand il présente le tableau aux enseignants (dotation globale = heures + missions – heures d’enseignements obligatoires + heures d’autonomie) ; l’autonomie est absorbée par une structure qui a été installée dans l’établissement. La réforme impose l’utilisation de cette autonomie dans une autonomie pédagogique et non structurelle ce qui crée une insécurité. Tant qu’on ne partira pas d’un diagnostic partagé avec la communauté : qu’est-ce que notre établissement, quels leviers…, on ne pourra pas mettre en œuvre la réforme. C’est une réforme qui nous oblige à mettre en place le parcours de l’élève (Rapport Delahaye sur la grande pauvreté et la réussite scolaire) (Rapport sur l’assouplissement de la carte scolaire). Ce diagnostic répond à la question des EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires), et au rapport disciplinaire-interdisciplinaire, pour que la plus grande partie des élèves soient dans la réussite. Un diagnostic partagé nécessite d’organiser des groupes de travail.
La mise en œuvre de l’inter-degrés (cycle 3) est très compliquée : si on parle de commande du 1er degré, la question de la commande est injonctive ; il faut plutôt faire se côtoyer les acteurs pour qu’ils échangent, ensuite naturellement ils pourront travailler ensemble.
La première chose à faire pour un chef d’établissement est de créer un climat sécure pour tous, notamment en installant un leadership comme réseau horizontal, où chacun apporte sa compétence. En tant que chef d’établissement, Michel Dessault a un travail de facilitateur, il assure la cohérence, crée une identité de collège grâce à des actions mises en place : accompagnement d’équipes par des chercheurs, notamment sur l’usage de l’écrit comme construction de la pensée, groupe de parole.
Dominique Bucheton, CA de l’AFEF. (absente, texte envoyé)
Ces nouveaux programmes qui demandent des ruptures importantes dans la culture professionnelle des enseignants s’inscrivent dans les grandes avancées en recherche de l’éducation, l’innovation sur le terrain depuis quinze à vingt ans, et sont porteurs de valeurs qui engagent une autre perception des élèves, une autre conception des savoirs enseignés, des changements de postures et le développement de nouveaux gestes professionnels. Cette rupture vise plusieurs objectifs : le développement d’une pensée singulière des élèves, un pas en avant vers la démocratisation, une conception des programmes comme développement de la pensée des élèves et non comme des contenus quantitatifs, une inscription dans la durée des apprentissages et du développement des élèves.
Une nouvelle professionnalité repose sur un principe simple : « se taire » davantage :
- Ouvrir des espaces de temps et de parole pour que les élèves développent leur pensée et leur parole en discutant, écrivant, lisant, manipulant…
- Modifier concrètement l’emploi de la classe pour le permettre ;
- Être moins dans des postures de contrôle et d’enseignement magistral que dans des postures d’écoute, d’accompagnement, d’observation, de lâcher prise ; et prévoir mieux les moments où un temps d’enseignement magistral est nécessaire ;
- Revisiter les différents dispositifs mis en place depuis longtemps pour observer les postures croisées des enseignants et des élèves pour y trouver des éléments de réponse sans tout réinventer.
Cette nouvelle professionnalité suppose de changer de culture professionnelle, mais on ne la changera pas sur un modèle descendant par injonctions ; c’est dans le collectif, dans la formation, dans les associations qu’on peut le faire. Refonder cette culture professionnelle sera long, couteux et difficile, la penser sur un temps long est obligatoire pour s’assurer de sa réussite.
Retours sur les ateliers
Ateliers 1-2 : Français et EPI - AP. Avant de penser à la structure, il faut penser à ce qu’on veut mettre dedans et ne pas confondre EPI et thématique. Comment organiser un EPI : plusieurs formules sont possibles :
- formule filée, dans l’emploi du temps, toute l’année ;
- formule massée, une journée par ex consacrée à l’EPI. EPI à un niveau de classes (chaque classe de 5ème) ou brasser les élèves (les 5ème)
L’horaire professeur différent de l’horaire élève laisse une marge. Il ne s’agit pas de puiser dans un « Catalogue d’EPI », mais de voir ceux qui sont pertinents pour notre établissement. Un projet déjà existant peut être transformé en EPI à condition qu’il prenne bien en compte l’activité et les apprentissages des élèves.
Atelier 3 : Français et PEAC (Parcours d’éducation artistique et culturelle). On a peu parlé de parcours, surtout d’éducation artistique et culturelle, et d’Histoire des Arts ; les pratiques sollicitées par les textes sont présentes dans les établissements depuis longtemps. On relève souvent des pratiques intéressantes mais à l’écart des apprentissages scolaires : dans les nouveaux programmes un lien explicite est à mettre en évidence dans les pratiques. Des partenariats ont été évoqués : théâtre, cinéma, arts plastiques ; du côté des établissements artistiques et culturels on demande ce type de partenariat, mais sans penser les apprentissages : comment les évaluer en terme d’activités de faire, écrire, parler des élèves ?
Cette éducation artistique et culturelle a besoin de rendre visible, d’institutionnaliser, de laisser une trace dans la durée. Et surtout elle demande de remettre au centre de l’établissement les activités artistiques qui ont tendance à être repoussées en périphérie (et de les inscrire dans la durée.
Atelier 4 : Français et EMC (Enseignement moral et civique), EMI (Éducation aux médias et à l’information), Parcours avenir. Comment à la fois associer ces enseignements à nos pratiques et les dissocier, on n’explicite pas forcément le lien entre ces pratiques et le français. Le support de cet atelier a consisté en la présentation d’un projet en lycée professionnel (section ASSP) par Rémy Collignon : les élèves ont fait un reportage en immersion avec un travail d’écriture et de photo ; par la pratique du média, ils ont été amenés à s’interroger la pratique du média : comment et pourquoi écrire au présent, comment et pour quoi faire des liens hypertextes, quel droit à l’image dans la photo. Ils ont travaillé l’oralisation de leur écrit, puis la réécriture. Ils ont vécu une éducation aux médias, mais aussi morale et civique : apprendre à débattre, respect de l’autre, niveaux de langue dans les échanges, langage normé, pistes pour travailler la langue pour comprendre le monde. Les enseignements transversaux (moral, civique, médias, information) se sont faits à partir d’activités langagières ; la production et de la mise en projet ont travaillé les enseignements disciplinaires et transversaux à partir des compétences langagières.
Atelier 5 : Progressivité entre les cycles. Le groupe a décidé de travailler plutôt sur les progrès des élèves que sur la progressivité déjà indiquée dans le programme. Comment observer les progrès des élèves à partir des processus ? Le groupe a proposé :
- une mémoire des étapes,
- une construction en équipe d’outils d’observation,
- l’évaluation de ce qui est travaillé, notamment par portfolio faisant appel aux outils numériques et travaillé, notamment, en AP,
- une validation en fin d’année, avec une semaine où on revient sur soi, un entretien avec un ou des enseignants pour évaluer la progression sur une ou des compétences, en présence d’autres élèves qui seraient alors associés à l’évaluation des compétences
Denis Paget. Synthèse de la journée
Il revient sur la journée par des réflexions suscitées notamment par les ateliers.
Dans les EPI qu’est-ce qu’on vise ? qu’est-ce qu’on cherche à faire. E. Bautier indique trois figures de l’apprendre : élève capable :
- d’entrer dans des formes relationnelles
- pas seulement de communiquer mais de se débrouiller dans une situation donnée et de la restituer
- de s’approprier un objet de savoir invisible.
Cette troisième forme, qui est visée le plus souvent par l’école, représente une mission difficile voire impossible. Les EPI se rapprochent plus de la résolution d’une tâche complexe que de la situation scolaire d’apprentissage, c’est une situation nouvelle qui se rapporte à plusieurs champs sollicités ; plus l’EPI se détachera d’une situation d’exercice scolaire plus il permettra à l’élève d’apprendre. Si l’EPI c’est seulement mettre en groupe, on va à l’échec.
L’EMC est un des cinq domaines du socle : attention à la captation par les professeurs d’Histoire-Géographie, ils ont une partie à faire ; mais pour la culture de la sensibilité et du jugement, les enseignants de français sont des plus aptes ; chacun doit regarder là où il est le plus efficace. Associer français et EMC, certes, mais comment, là est la question la plus intéressante à creuser. Comment former à la citoyenneté alors que dans les établissements scolaires on n’a pas la culture du conflit (Rapport Delahaye), or si on veut traiter de la citoyenneté, on doit travailler à partir du conflit ; mais à condition de ne pas être toutes griffes dehors, si on n’accepte pas que les élèves disent des mots de travers, on rate son rôle d’éducateur, et on passe à côté de tout. Les enseignants doivent se décontracter, et ne pas être sur la défensive. La conduite de l’écoute, c’est plutôt « travailler avec » que « éduquer à ». Il faut détendre l’atmosphère pour engager un vrai dialogue.
La question de la progressivité dans les programmes de cycle, ce n’est pas qu’on puisse retarder les apprentissages, mais qu’on puisse les reprendre. Les programmes offrent la chance que les profs soient plus sensibles à ce qui a été véritablement appris qu’à ce qui a été enseigné. C’est de la responsabilité du conseil d’enseignement d’étaler les apprentissages, de voir ceux qu’il va falloir reprendre. Dans notre discipline la notion de maitrise n’a pas beaucoup de sens, mais la notion de progression est importante ; il faut rester modeste, mais très attentif à l’accès à de véritables compétences.
Le Parcours d’éducation artistique et culturelle permet de penser sur la longue durée la progression des élèves dans ce domaine, dans l’école, en partenariat avec les spécialistes extérieurs, c’est un dialogue riche pour le professionnel, les élèves et le professeur qui ne délègue pas. Le parcours doit traduire la diversité des pratiques culturelles, l’intégration dans l’école, l’inscription dans la durée.