Editorial
Une langue dont le lexique n’évoluerait plus serait une langue en train de mourir et inapte à la communication et à l’interaction humaine..
Pourtant les Français montrent traditionnellement une résistance assez forte à la création lexicale et la néologie a mauvaise presse. La méfiance et les condamnations viennent certes de nostalgiques d’un passé idéalisé qui, cependant, emploient sans états d’âme les mots et tours condamnés par les puristes de l’époque précédente (comme paratonnerre ou tomber amoureux), mais elles sont aussi largement partagées par la communauté. « Ce mot n’existe pas, il n’est pas dans le dictionnaire, on ne peut pas l’employer », entend-on souvent. C’est attribuer aux lexicographes un pouvoir de législateur qu’ils ne revendiquent pas, voire qu’ils récusent explicitement. C’est aussi un paradoxe car il faudrait qu’un mot interdit puisque absent des dictionnaires circule suffisamment en hors-la-loi avant d’y être admis !
La situation a évolué et continue d’évoluer de plusieurs manières. D’une part l’État a créé divers organismes chargés de l’aménagement de la langue et l’on connait les travaux des commissions de néologie et de terminologie avec leurs réussites (gazole, sidéen…), leurs faiblesses et leurs échecs (le célèbre bouteur pour bulldozer) ou erreurs de jugement (phishing remplacé par filoutage plutôt qu’hameçonnage, adopté par les Québécois et qui circule bien). D’autre part, les ajouts annuels des dictionnaires millésimés montrent qu’un nombre non négligeable de nouvelles unités lexicales ont une diffusion suffisante pour mériter cette consécration qu’est la dictionnarisation. Mais ce qui est peut-être encore plus remarquable, c’est la fin des tabous qui interdisaient les néologismes dans les échanges quotidiens tels péplumesque ou scarlathon (concert enchainant toutes les sonates de Scarlatti).
Est-ce à dire que tout néologisme est un bon néologisme ? Pas d’angélisme ni de manichéisme. Certaines créations relèvent de ratés de la production ou de méconnaissance du lexique de la langue : des oublis de mots conventionnels font créer des néologismes qui les doublent inutilement comme horribilité ou examination en face de horreur ou examen. Des emprunts se substituent à des mots français sans raison : qu’apporte donc break pour qu’on ne lui préfère pas pause ? Mais le temps se charge de faire le tri.
On remarque également des évolutions dans les modes de formation des mots : la siglaison (CLUF ‘contrat licence utilisateur final’), les mots valises (peopolitique), les termes composés et tronqués (télématique), les conversions (grave adverbe), les aphérèses ([pro]blème), les changements de construction syntaxique (il craint) sont des matrices lexicales beaucoup plus fréquemment utilisées que par le passé.
Aussi bien la créativité lexicale individuelle que l’accroissement du lexique de la langue font de la langue française contemporaine une langue bien vivante. On ne peut que s’en réjouir.
Jean-François Sablayrolles
(Université Paris XIII)
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