Association française pour l’enseignement du français

Lecture Littérature

  • 06
    Mar

    Quels lecteurs pour quel enseignement du français ?

    De l’horrible danger des lecteurs ! En paraphrasant Voltaire, nous pouvons nous questionner sur les peurs dont on affuble régulièrement la lecture.

    La focalisation sur les méthodes est pour le moins étonnante, comme s’il suffisait d’introduire un antidote miracle et égalitaire pour effacer d’un coup de gomme les difficultés d’apprentissage ; les petits (et grands) Français auraient la chance, enfin, de tous savoir lire ! L’option du déchiffrage imposé est évidemment très populaire ; les parents et grands-parents, déçus des soi-disant piètres performances en lecture de leur progéniture, se sentent tout à fait rassurés par des méthodes couleur sépia qu’ils ont la chance de comprendre, de pouvoir répéter à la maison ; et si leur petit n’apprend pas à lire assez vite, c’est bien sûr la faute aux nouvelles méthodes ; attention à bannir le mot « global » de votre vocabulaire, bien trop sulfureux ; comme les mathématiques n’auraient jamais dû être modernes, la lecture, si elle tente d’associer le mot et à la phrase à leur signification, est immédiatement disqualifiée. La seule solution serait de dissocier les étapes ; après avoir mis en place un b-a ba solide, dans un deuxième temps on pourrait enfin se préoccuper de ce que cela veut dire. Le trait est forcé, certes, mais comment ne pas penser à ce constat d’un instituteur du Sénégal : "Ils savent tous lire, mais ils ne comprennent rien. Que faut-il faire? Comment faites-vous?" Quand les enseignants de français en collège déplorent les faibles compétences en lecture d’une partie de leurs élèves, il ne s’agit pas de déchiffrage ; ces mêmes élèves peuvent en général déchiffrer ; ce qu’ils ne savent pas, c’est faire sens et inscrire leur décodage dans un contexte de référence.

    A une époque où le contact avec l’écrit est à la fois fragilisé et renforcé par une approche multimodale, il serait peut-être temps de réintroduire la globalité ; lire des informations sur Internet, des périodiques pour adolescents sur les sujets les plus divers, des romans de longueur très variable (combien de jeunes peuvent à la fois rechigner à lire un roman court indiqué par leur professeurs et avaler 600 pages d’un autre qu’ils auront choisi) demande des compétences diversifiées. Le « blog » et le « chat » font hurler les traditionalistes, mais les parents commencent à voir dans ces techniques, au-delà des économies téléphoniques, l’émergence d’une nouvelle forme de lecture et d’écriture ; le code y est peut-être un peu mis à mal, mais superficiellement puisque l’objectif est bien de se comprendre par l’écrit, ce qui nécessite des règles communes. Cette diversité des compétences et des approches nécessite de savoir très tôt circuler entre les mots et les phrases, contextualiser un énoncé pour comprendre ses références.

    Nous croyons plus à la fréquentation précoce de l’écrit sous toutes ses formes qu’au déchiffrage pour atteindre ces objectifs. L’introduction de la littérature, de jeunesse ou patrimoniale, dès l’école maternelle et élémentaire, est essentielle pour préparer les futurs lecteurs du collège et du lycée. Nous avons assez insisté, depuis quelques années, sur la nécessité de fonder le sens d’un texte sur une analyse réflexive et non copiée-collée, une analyse systémique et non systématique pour croire que le déchiffrage décontextualisé soit la voie royale pour former de meilleurs lecteurs. Nous croyons plus à des approches variées et convergentes qu’à une démarche unique pour former des lecteurs capables, à terme, d’entrer dans la réflexivité, la connivence et l’intelligence que suppose la compréhension de la littérature.

    Mais, peut-être ces vrais lecteurs, s’ils voulaient se préparer décemment, auraient-ils besoin d’un plus grand nombre d’heures de formation…
    Mais, peut-être ces vrais lecteurs, s’ils étaient soudainement trop répandus, représenteraient-ils un horrible danger…

    Viviane Youx

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