"La formule a fait florès : « enseigner est un métier qui s’apprend ! », ressurgie dans un contexte polémique lié à la mise en place de la mastérisation sous le ministre Xavier Darcos à partir de 2010, puis revue et corrigée dans la mandature présidentielle suivante avec la loi de refondation de l’École de la République de 2013 initiée par le ministre Vincent Peillon. Point n’est point besoin d’y revenir. Pour autant la question de la formation des maitres demeure et reste vive. Or le plus souvent elle est traitée d’un strict point de vue technique, le débat se résumant à une querelle de nature ou de proportions entre les différents ingrédients qui doivent la composer. En effet, il semble bien qu’à ce jour, tout ou presque a déjà été inventé en matière de dispositifs, de structures et de modalités de formation des enseignants, si bien qu’il sera difficile de faire du neuf. À moins de se donner la peine d’inscrire la réflexion dans une perspective plus large sur le métier et sur l’École, en s’interrogeant sur ce que la société en attend. Est-il possible alors d’espérer faire changer le scénario de leur formation, pour qu’il cesse de préparer les maitres au métier d’avant-hier dans une école d’hier ?
Quel métier dans quelle École ?
Dépositaire d’une culture dont il doit à juste titre s’employer à assurer le transfert intergénérationnel, le système éducatif est victime d’une double obsession politique. D’abord il doit satisfaire tout le monde, et en particulier les parents, électeurs de poids : il faut qu’ils puissent se retrouver dans ce qui est enseigné à leurs enfants ; sinon, on dira que les jeunes d’aujourd’hui « ne savent plus rien ». Si l’antienne ne se répétait depuis l’Antiquité, on pourrait s’y laisser prendre. Ensuite, il doit conforter l’autorité des maitres devant des élèves accusés d’être, chaque année, plus ingérables que l’année passée. En ce sens l’École est dans sa nécessaire fonction de conservatoire.
Cependant, il lui arrive accessoirement de tester des voies alternatives : des prémisses de l’éducation nouvelle au moins dès la fin du XIXe siècle jusqu’à la « pédagogie différenciée », en passant par les méthodes actives, les différentes écoles nouvelles, les pédagogies de la médiation, ou plus récemment des programmes (au sens international du terme) et des opérations tels que « La main à la pâte1 » ou les « Bâtisseurs de possibles2 ». Ce rôle de laboratoire est tout sauf spontané et doit beaucoup au combat de certains acteurs, porteurs d’un véritable projet de société. Or ces pédagogies, même lorsqu’elles sont reprises par l’institution, peinent à étendre leur périmètre, leur diffusion ne s’effectue que très lentement, au risque de la dilution et du dévoiement. Sans compter la remise en cause périodique de leur efficacité ou de leur faisabilité et leur confrontation à une recherche en éducation davantage professionnalisée. Elles demeurent ainsi suspectes car elles sont avant tout des pédagogies critiques, ne dépassant guère les bornes d’une utopie scolaire pourtant indispensable à l’évolution qui ne peut qu’être lente du système éducatif, même si on la souhaiterait plus rapide devant les enjeux qui l’attendent."