Association française pour l’enseignement du français

Orthographe rectifiée

  • 07
    Déc

    Pour une définition de l'orthographe

    Un article de Jean-Pierre Jaffré dans Le Cahier du Centre du français moderne
    LE CAHIER DU CENTRE DU FRANÇAIS MODERNE - N° 12 - Octobre 2007

    Responsable : C. Gruaz claude.gruaz@wanadoo.fr
    www.wiquid.fr/CFM/

    Il est d'usage de définir l'orthographe comme la "manière d'écrire un mot qui est considérée comme la seule correcte". Cette conception coexiste pourtant avec une autre, plus ouverte, également dans Le Robert, qui s'en tient à "la manière dont un mot est écrit". Or un mot ne dispose pas toujours d'une orthographe unique. Dans un ouvrage malheureusement trop peu connu, N. Catach a ainsi répertorié des milliers de variantes dans les dictionnaires usuels du français. L'arrêté de tolérances de 1901, repris en 1977, et surtout les Rectifications de 1990 en ont ajouté un certain nombre. Toutes les orthographes du monde présentent ainsi des zones d'incertitude et de doute, qui devraient bénéficier aux usagers' si ceux-ci n'étaient pas éduqués dans le culte de la norme unique. Pourtant les situations de digraphie et de polygraphie existent, au Japon ou en Chine, qui utilisent des écritures complémentaires et parfois concurrentes, ou encore en Israël et dans les pays arabophones, qui n'utilisent pas la même orthographe selon que les usagers sont des enfants ou des adultes.
    Comment expliquer que la notion de forme orthographique unique soit si bien ancrée dans l'esprit français ? Au-delà de l'influence scolaire, cela ne tient-il pas, en partie au moins, à la façon dont les usagers acquièrent l'orthographe ? La forme unique semble en effet faciliter la mise en place de routines cognitives, ce qui explique que les problèmes majeurs de l'orthographe du français naissent de la nécessité de choisir entre des formes grammaticales homophones. Or, toutes les orthographes n'ont pas ce genre de problème. En chinois, un caractère tel que ', qui signifie "femme", demeure invariable, au singulier comme au pluriel. Si l'on admet que la variation orthographique génère une surcharge cognitive, un usager expert pourrait donc avoir intérêt à ce que la forme graphique des mots ne varie pas, au moins quand ceux-ci sont fréquents. Quand en revanche ils sont plus rares, la gestion en est d'autant plus aisée que leur structure graphique se conforme à un fonctionnement aussi général que possible.
    Mais ce qui vaut pour un usager ne vaut pas nécessairement pour l'orthographe elle-même. La montée en puissance de la production écrite, sur internet notamment, avec les forums, est ainsi en train de donner naissance à une autre orthographe, plus transparente bien qu'encore peu standardisée. De telle sorte que notre pays se trouve, de fait, confronté à une situation de digraphie, voire de polygraphie, avec les SMS, même si ceux-là sont une autre histoire. Pour toutes ces raisons, un futur orthographique se dessine dans lequel les usagers pourront recourir à des registres graphiques comme ils recourent déjà à des registres oraux. Cela ne les empêchera certes pas de se forger une orthographe personnelle, ancienne ou rectifiée, notamment pour les mots qu'ils utilisent souvent. En revanche, pour des mots plus rares, ils trouveront peut-être un certain intérêt à disposer d'une orthographe plus régulière et donc à écrire évènement avec un accent grave, comme avènement, et à supprimer le "s" de relai, comme dans balai.

    Jean-Pierre Jaffré, CNRS & Université Paris X

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