F.G. Le livre de D. Manesse et D. Cogis révèle un réel problème. Etes vous d'accord avec le diagnostic ?
V.Y. Il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas ; cet ouvrage pose un diagnostic, que nous aurions mauvaise grâce à renier ou à dénigrer. Le danger serait, devant ce constat, de vouloir le minimiser, ou de chercher à nous justifier et à nous disculper. Cela signifierait alors que nous ne voudrions porter aucune responsabilité, choix inadmissible, puisque les élèves qui ont été évalués dans cette étude ont bien eu, tous, des cours de français à l'école et au collège, nous ne pouvons nous défausser aussi facilement.
Mais, a contrario, nous ne pouvons pas non plus porter toute la responsabilité, les horaires ont diminué dans les classes depuis 1987 ; et surtout la tâche est devenue plus difficile, plus confuse ; la charge de travail est importante du fait de programmes lourds et opaques, et les choix laissés à l'initiative des enseignants créent des disparités importantes : un élève peut durant sa scolarité voir se succéder des conceptions assez différentes, voire antinomiques de l'enseignement du français, sans que ces conceptions soient en réel désaccord avec les programmes. La diversité peut être profitable aux élèves les plus à l'aise, qui peuvent compléter d'une année sur l'autre le puzzle auxquels ils sont confrontés, mais très déroutante pour ceux qui peinent le plus. L'étude de Danièle Manesse met en évidence, en 20 ans, un retard de deux ans dans l'acquisition de l'orthographe, nous devons en prendre acte et trouver les moyens d'y remédier si nous ne voulons pas entendre à nouveau les sirènes de la baisse de niveau.
F.G. La tentation sera forte de préconiser le retour aux programmes et méthodes traditionnels pour retrouver le niveau de 1987. Qu'en pensez vous ?
V.Y. Evidemment, mais ne peut-on pas critiquer la situation actuelle sans retomber dans l'illusion qu'un retour en arrière suffirait à y remédier ? Déjà en 1987, les programmes et les méthodes n'étaient plus très " traditionnels ". Nous avons déjà vu combien l'opinion publique s'est focalisée sur la grammaire à l'occasion de la publication du rapport Bentolila. Peu de disciplines suscitent autant de remous que le français quand on touche aux programmes. Il est certain que les parents ont été fortement déroutés par l'introduction dans les manuels et cours de français d'une terminologie savante, jargonnante, qui donnait trop de place à des préoccupations formelles. Mais revenir à un état antérieur, âge d'or de la dictée, serait-il suffisant pour sauver la situation ? La dictée n'a jamais constitué un exercice d'apprentissage, mais un exercice de contrôle d'une orthographe déjà acquise, tant est qu'elle est bien réussie par les élèves les plus doués qui y voient un jeu intellectuel fort séduisant, alors que les plus faibles restent indéfiniment sur le carreau sans y trouver de voie de progrès.
F.G. Alors que faire ?
V.Y. - Fixer des priorités dans les programmes pour que les choix ne se fassent pas arbitrairement : si une priorité est donnée à l'orthographe, elle doit apparaître clairement, et ne pas disparaître dans des objectifs flous.
- Etablir dans les programmes la proportion nécessaire aux différents domaines : maîtrise de la langue, approche des textes et 'uvres, production écrite, production orale.
- A l'intérieur même de l'orthographe, fixer une progression en fonction des difficultés constatées et de la fréquence d'emploi.
- Simplifier le vocabulaire grammatical pour qu'il soit une aide à l'apprentissage et non pas une gêne à la compréhension.
- Combiner les exercices de découverte de la langue avec des apprentissages systématiques, répétitifs, indispensables à une acquisition progressive.
- Dans le socle commun de connaissances et compétences, réserver une place suffisante à l'orthographe et fixer des seuils d'acquisition contrôlables (il est assez paradoxal que la circulaire de janvier sur la mise en 'uvre du socle se focalise sur la grammaire, et ne fasse qu'évoquer l'orthographe, comme si le sujet était trop difficile')
- Développer l'interdisciplinarité autour de l'orthographe en en faisant un objectif prioritaire de tous les enseignants au collège.
- Renforcer la formation des enseignants débutants, particulièrement à l'école élémentaire où ils doivent être polyvalents, et dont l'orthographe n'est pas toujours suffisamment fixée.
F.G. L'orthographe prend une place importante dans l'opinion publique. Est ce justifié ? Sa place doit-elle augmenter à l'école ?
V.Y. Nous sommes un pays paradoxal, fier d'une langue difficile, à cheval sur son orthographe, où il est impossible de changer le moindre accent sans que cela devienne un drame national. La simplification de l'orthographe recommandée de 1990 n'a jamais pu être véritablement appliquée. La dictée de Pivot est devenue un véritable monument, symbole de notre attachement à la précision. Conjointement, les coquilles s'accroissent, de nombreux documents qui circulent aujourd'hui véhiculent une orthographe approximative.
La demande sociale sur l'orthographe est énorme, elle constitue même une des premières barrières à l'embauche. Dire si elle est justifiée, c'est difficile, d'autres pays n'ont pas ce même attachement atavique. Mais la critiquer, c'est mettre en difficulté les élèves les plus démunis. Le souci de l'orthographe, s'il doit avoir sa place évidemment dans le cours de français, doit aussi être l'affaire de tous ; l'enseignant de français ne peut pas seul prendre tout le problème en charge, et devant une exigence aussi forte de l'opinion publique face à l'orthographe, il serait beaucoup plus efficace de montrer aux élèves que c'est l'affaire de tous, que l'ensemble de l'équipe enseignante s'en préoccupe.
François Jarraud, Café pédagogique, Viviane Youx, AFEF