Association française pour l’enseignement du français

Langue

  • 25
    Fev

    L'orthographe, grande cause nationale ?

    Une lecture recommandée : Orthographe : à qui la faute ? Danièle Manesse et Danièle Cogis, ESF, février 2007

    L'étude magistrale menée par Danièle Manesse et Danièle Cogis sur l'évolution, en vingt ans, des acquisitions orthographiques des élèves du CM2 à la 3ème, aurait tout pour alimenter les thèses d'un retour à l'age d'or d'un enseignement rigoureux de notre belle langue. Mettre en avant de manière aussi patente une baisse de niveau aurait pu accuser nos collègues de pousser au désespoir tous ceux d'entre nous qui ne savent plus comment concilier l'inconciliable en un temps record.
    Sauf que toutes les précautions ont été prises. Le constat très clair d'un affaiblissement du niveau d'orthographe, repris sans autres considérations dans la presse ne vise pas, pour une fois, à accabler la communauté des enseignants de français. Et si leur ouvrage enflamme moins les media que les déclarations ministérielles sur la grammaire, c'est probablement parce que le ton en est à la fois scientifique et conscient des réalités, mesuré et engagé.

    Distribués en quatre parties, les résultats de leur recherche nous permettent de mieux catégoriser les difficultés orthographiques des élèves.
    1. L'orthographe grammaticale, comme on aurait pu s'en douter, constitue la difficulté majeure. Mais Danièle Cogis nous amène à sérier les problèmes, l'acquisition est difficile parce que notre système linguistique est complexe, les erreurs de genre et de nombre tiennent moins à la méconnaissance de ces catégories qu'à la diversité des accords possibles. Et, plus la catégorie est évidente (le nombre d'un nom est plus concret que celui d'un verbe, l'accord est plus facile s'il y a proximité d'un déterminant'), plus la maitrise est rapide. L'accord du participe passé avec avoir tient de l'exercice de style maitrisé par un faible pourcentage de la population adulte elle-même. Et, tout en constatant une dégradation dans le domaine grammatical, elle s'insurge contre l'idée reçue d'une écriture phonétique : les élèves disposent d'un savoir orthographique qu'ils mobilisent, mais qui est insuffisant ; et c'est pourquoi elle conclut sur la nécessité d'un apprentissage prolongé des classes et structures syntaxiques « qui combinerait réflexion et mémorisation, car la seule répétition des règles permet mal d'évacuer les représentations erronées à la source d'erreurs répétitives ».
    2. L'orthographe lexicale, par contre, ne subit pas une dégradation aussi importante. Danièle Manesse montre que son acquisition dépend à la fois de la lecture et de l'apprentissage systématique. Si l'élève ne connait pas le sens d'un mot, il ne peut déduire sa graphie que de la prononciation (peu efficace dans une langue aussi peu phonétique que le français), de sa famille lexicale ou de l'analogie. Les difficultés lexicales les plus nombreuses viennent aussi d'un système arbitraire, comme celui des doubles consonnes par exemple. Les instructions officielles de ces dernières années ayant privilégié l'apprentissage en situation, l'acquisition par la lecture et l'écriture dans toutes les matières est devenu le plus important, ce qui aurait du sens si l'ensemble des professeurs prenait en charge la réflexion sur la forme des mots et ne considérait pas qu'il s'agit du rôle du seul professeur de français. L'acquisition de l'orthographe lexicale se fait par la fréquentation des textes écrits et par « des pratiques d'écrits contrôlés ». Comme Danièle Cogis, Danièle Manesse montre bien le lien entre des activités en situation et une réflexion sur le lexique pour stabiliser son acquisition.
    3. Les mots outils sont source de confusions dont Christine Tallet préconise de trouver l'origine dans la manière dont ils sont enseignés : enseigner les homophones grammaticaux par paires ne donne aucune indication sur le mot lui-même et amène l'élève à confondre a et à, son et sont ; elle propose un enseignement basé sur la catégorie grammaticale et l'analyse syntaxique pour éviter cet écueil.
    4. Les signes orthographiques sont, selon Michèle Dorgans, des acquisitions instables, et elle recommande de distinguer entre les signes diacritiques nécessaires à la compréhension et à la lisibilité (cédille, majuscule, accent grave et aigu) et ceux qui ne sont pas toujours fonctionnels : trait d'union, accent circonflexe. Une simplification admise par tous faciliterait les choses.

    A partir de ce constat, Danièle Manesse émet des hypothèses quant à l'origine de la baisse :
     la diminution des horaires de français, coïncidant avec l'augmentation des tâches à remplir a réduit le temps consacré à l'orthographe et à la langue en général ;
     les programmes depuis une vingtaine d'années ont dévalorisé les exercices systématiques de répétition et mémorisation, or l'acquisition de l'orthographe, si elle met en place des compétences, nécessite aussi des connaissances qui nécessitent un entrainement systématique ;
     les professeurs se trouvent dans une situation critique : soumis à une double contrainte, celle d'une norme linguistique forte et populaire, et celle d'une dévalorisation progressive des codes et normes dans la société. Comment l'école peut-elle continuer à valoriser l'effort répétitif, la concentration et le plaisir différé dans une société du zapping et de l'efficacité immédiate ?

    Les propositions des auteures balaient quelques idées reçues :
     combiner mémorisation, entrainement et approche réflexive plutôt que d'opposer ces trois approches ;
     dissiper des malentendus concernant les programmes : l'attention aux textes n'a jamais signifié qu'il fallait négliger la grammaire de phrase, et un rééquilibrage s'impose ;
     introduire, dans la formation des professeurs des écoles, mais aussi des professeurs de disciplines, un temps d'apprentissage sur le fonctionnement de la langue ;
     appliquer les simplifications orthographiques ;
     replacer la réflexion sur l'orthographe dans des choix à faire pour l'école, et ce n'est pas l'école qui peut faire ces choix, ils sont l'affaire de la société.

    Nous relèverons, pour terminer, un point essentiel sur lequel conclut André Chervel dans sa postface : pourquoi n'est-il pas possible de simplifier notre orthographe. Selon lui, les rectifications de l'orthographe de 1990 ont échoué, elles n'ont jamais été vraiment appliquées, même à l'école. La réforme simple qu'il préconise (généralisation du s au pluriel, suppression des lettres grecques, suppression des consonnes doubles non phonétiques) a-t-elle plus de chances de réussir ?

    Parmi les choix sur lesquels notre société devra se prononcer en matière d'orthographe, la simplification tient une première place. Nos contemporains sont-ils prêts à accepter quelques modifications qui changent leurs habitudes, même si ces changements sont plus rationnels et facilitent l'apprentissage ? Espérons que oui.

    Mais cette simplification, que nous appelons de tous nos v'ux, ne se fera pas sans un grand effort de diffusion ; si l'on déployait tous les efforts dont notre société est capable en matière de publicité pour faire connaitre les modifications, l'imprégnation aurait autant de chance de réussir que pour faire diminuer le nombre d'accidents de la route ou le nombre de fumeurs. Les enseignants de français seront prêts à relayer cette simplification s'ils trouvent eux-mêmes la formation nécessaire, et s'ils n'ont pas l'impression d'être seuls à se débattre avec ce fléau national !
    Viviane Youx

1 Commentaire

  • Faycel B'chir

    22 Mai 2007 à 11:38

    André Chervel :"La réforme simple qu?il préconise (généralisation du s au pluriel". ...

    "cette simplification, que nous appelons de tous nos v?ux"... :

    Voilà comment des professeurs de français s'expriment. C'est très grave. C'est une honte, un flagrant constat d'échec. Je suis vraiment déçu et désespéré d'entendre ainsi parler les gens qui sont censés être les premiers défenseurs de la langue, ceux qui doivent faire de la résistance jusqu'au bout. Ceux qui sont censés être les derniers à se soumettre devant le fait accompli. Le capitaine du bateau ne s'empresse pas de quitter son vaisseau en détresse parmi les premiers : les femmes et les enfants d'abord. Je répète : je suis déçu. c'est un acte de trahison et d'irresponsabilité. Comme quoi,ça se confirme :! on n'est jamais si bien trahi que par les siens. Je suis vraiment déçu.

    Et comme si ce n'était pas suffisant, ces collègues qui font vite de jeter l'éponge (cette métaphore tombe à pic puisqu'il y a bien une éponge, en classe et la classe est un véritable ring, un espace de ...débat )pensent même à utiliser, je cite, la "publicité pour faire connaitre les modifications" puisqu'ils sont convaincus que ""l?imprégnation aurait autant de chance de réussir que pour faire diminuer le nombre d?accidents de la route ou le nombre de fumeurs"" (fin de citation.)

    Utiliser la publicité. Un support moderne et lucratif, le royaume de l'image furtive. Mais c'est justement ça qui a tué le mot et l'écriture. Ton domaine d'action, c'est ta classe. Ta bible, c'est ton manuel scolaire. Tes soldats, ce sont tes élèves. Ton ennemi, c'est l'environnement médiatique et publicitaire.

    Assez pour aujourd'hui. La suite viendra.

    Faycel B'chir - IPEI - Monastir

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