L’éloignement : nouvelle stratégie pédagogique ?
Comment régler le problème de la violence au collège ? Ou, pour employer les termes des dossiers éducatifs qui définissent les ERS, ou Etablissements de Réinsertion Scolaire (B. O. n°20 du 15 juillet 2010), que faire des "collégiens en difficulté scolaire et sociale", ou "collégiens perturbateurs" ?
Deux solutions sont préconisées d’emblée : éloignement et prise en charge différente. Le fait divers[1] qui vient de défrayer la chronique semble montrer que ces deux solutions n’ont pas été traitées à égalité.
Les ingrédients de l’éloignement sont en place : prenez quatorze adolescents du 93, en bout de chaine de ce qui est supportable dans un collège, saturés des influences néfastes d’une banlieue dont on oublie même que les villes et départements ont un nom, et transportez-les dans la paisible Mayenne, où ils vont pouvoir bénéficier d’un air nettement moins vicié qui devrait les remettre rapidement sur pied, et, on l’espère, dans le droit chemin ! Quels blindages moraux nourris de siècles de rousseauisme ne faut-il pas pour envoyer ces jeunes qui n’ont jamais connu d’autre horizon que celui des "cités", terme dont ils ne connaissent que cet usage connoté fort négativement, dans une toute petite cité du 53, croyant peut-être que la similitude des numéros de départements créerait un peu de familiarité ? Quels moyens a-t-on utilisés pour que leur déplacement, dont on imagine qu’il aurait pu être salutaire, ne se transforme pas en grand écart tant sont éloignés leurs références communes et le cadre dans lequel on veut les inscrire ?
Etonnant projet de réinsertion sociale que celui qui repose essentiellement sur un effet de balancier entre des systèmes de valeurs urbaines et rurales.
L’éloignement, seul, peut difficilement servir de stratégie pédagogique. Surtout quand on en choisit le point de chute sur l’opportunité d’un internat vide et non sur un projet d’insertion dument élaboré.
Car la solution de l’éloignement semble avoir été bien peu assortie de son pendant indispensable : une "prise en charge différente". Quel concepteur d’un "projet pédagogique et éducatif aménagé" aurait pu ne pas prendre en compte le choc qu’allait représenter, pour ces collégiens urbains, leur transplantation dans un univers aux repères fort différents ? Quand on ne sait plus quoi faire, un choc peut certes être salutaire sur le plan éducatif, mais jusqu’à un certain point, à condition que ce choc soit encadré et lesté de bouées de sauvetage. La presse, probablement rapide et excessive, ne fait état ni des "méthodes pédagogiques spécifiques", ni des "parcours de formation personnalisés", ni du "dialogue régulier avec les parents". Mais elle relève unanimement un fait avéré : les perturbateurs ont débarqué dans la cour où ils ne devaient normalement pas entrer le lendemain même de leur arrivée dans le collège de Craon.
Etonnant projet de réinsertion scolaire que celui qui consiste seulement à séparer, sur un espace commun, les élèves transplantés des collégiens locaux.
A vouloir faire vite, à coups d’effets d’annonces qui tiennent lieu de réflexion politique sur l’éducation, les meilleures intentions tombent à l’eau. Si la médiatisation des internats d’excellence a été efficace, celle des établissements de réinsertion scolaire pourrait les plonger dans le ridicule. D’autres créations d’ERS sont annoncées prochainement. Pitoyable obstination.
P. S. Nouvelle situation similaire : à Portbail, dans la Manche, 8 collégiens sont renvoyés en Seine St Denis dès le lendemain de leur arrivée : à lire dans l'actualité de Caen Maville
[1] AFP, Philippe SCHWAB, 10 novembre 2010, Des élèves en réinsertion en Mayenne renvoyés après avoir agressé des collégiens
