Association française pour l’enseignement du français

Langue

  • 28
    Mai

    Le vocabulaire : un enseignement / apprentissage fondamental mais complexe, par Dominique Seghetchian

    Dossier lexique

     

    Le vocabulaire : un enseignement / apprentissage fondamental mais complexe 

    Par Dominique Seghetchian

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    Un jour, un Ministre de l’Éducation nationale, grand chasseur de mammouths, s’en vint en Charente, sur les terres de sa consœur  Ministre de l’Enseignement scolaire, afin de sacrifier à un rituel médiatique à l’occasion d’une rentrée scolaire. Il advint qu’il fut filmé dans une classe de CE1 et proposa aux potaches intimidés de faire la preuve de leurs acquis de l’année précédente. Un volontaire, peut-être intimidé, lut "bâton" en lieu et place de "ballon" et le célébrant perdit tout contrôle de soi, haranguant le garçon : « Un bâton c’est long, un ballon c’est rond… ». Allez savoir pourquoi, le reportage ne fut, chose fort inaccoutumée, pas rediffusé au Journal de 20 heures. Peut-être ses conseillers lui avaient-ils glissé quelques mots de « l’arbitraire saussurien du signe », peut-être l’un d’entre eux, visionnaire, lui avait-il annoncé que deux décennies plus tard ses successeurs fonderaient une partie de leurs discours sur la thématique de la « bienveillance à l’école », peut-être même y en eut-il un, plus averti, qui lui parla des travaux de Jacqueline Picoche dont traite le billet de Philippe Normand dans la présente lettre, éminente linguiste pour laquelle il faut partir des mots et non de la chose.

    La mission de l’école, en matière d’apprentissages langagiers, est en effet bien plus complexe que ne le laisse supposer l’ « idéologie des apprentissages fondamentaux » dont était victime ce jour-là le Ministre.

    Un apprentissage complexe

    Il ne s’agit pas simplement d’enseigner un code grâce auquel on ferait correspondre un ensemble de mots à des référents imagés. Mettre des mots sur des images, cela ne pose guère problème, semble-t-il. Encore que…

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    Tous quatre sont bien des oiseaux, mais comment définir cette catégorie sémantique et comment rendre compte des spécificités de chacun ? Pourquoi les « volatiles » ci-dessous sont-ils des intrus dans la série ci-dessus ?

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    Alors suffit-il d’ « enrichir son vocabulaire », d’être capable de désigner par des termes précis ? Qu’est-ce qui différencie les éléments des paires suivantes ?

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    Apprendre le vocabulaire implique d’apprendre aussi le genre, les relations de la partie et du tout…

    Qu’est-ce qui rapproche les référents des images ci-dessous ? Quels autres mots pourraient, de façon pertinente, prolonger la série des petits ou le champ lexical de la campagne ?

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    Il faut également également apprendre à comparer et catégoriser en rapprochant, distinguant, opposant… C’est indispensable à toute conceptualisation.  

    Lorsque l’on entre dans l’univers des mots les relations se complexifient : avoir bonne ou mauvaise mine, tailler la mine de son crayon, les mines du Nord, le combat contre les mines anti-personnelles… La polysémie joue bien des tours, y compris à l’école où les parallèles sont assorties d’une détermination masculine en géographie et féminine en mathématiques. Le mot ne suffit pas à appeler « l’image ». En contexte plurilingue les correspondances se complexifient encore :

    En persan :

    [fil] = File written by Adobe Photoshop® 5.0 ; [magas] (la bien nommée) = File written by Adobe Photoshop® 5.0 ; [muʃ] = File written by Adobe Photoshop® 5.0

    Lorsque l’on se penche sur les problèmes liés aux correspondances grapho-phonétiques, puisqu’après tout c’est de l’illusion de leur simplicité et de leur transparence que le ministre a aussi été victime dans notre exemple liminaire (l’accentuation du [t] de bâton et du [l] de ballon le révélaient), la complexité est aussi au rendez-vous :

    -        le / ils président 

    -        (se) fier à / fier (de)

    -        les /nous notions

    A noter que ces problèmes complexifient singulièrement l’usage du dictionnaire : « président » renverra automatiquement au nom, « notions » – sous quelque prononciation que ce soit – ne figure sous cette forme dans aucun d’entre eux.

    On le voit, contrairement à ce que pourrait laisser supposer le recours à des dessins aux traits schématiques et (plus ou moins) mimétiques d’un référent concret, l’apprentissage du lexique  ne peut être pensé comme un parcours linéaire du simple au complexe ou à travers le paradigme spatial de « l’élargissement » ou celui, matériel, de l’enrichissement.

    Comment alors, le travail des professeurs de français, de la maternelle au lycée, est-il organisé par les prescriptions officielles ?

    Les prescriptions

    Le panorama de ces prescriptions appellerait de nombreuses remarques et interrogations, par exemple, sur la représentation du curriculum qu’elles dessinent, que sur le lexique / vocabulaire lui-même :

    -        Les objectifs de chaque cycle sont explicitement dictés par l’échelon supérieur.

    -        Dans le premier degré les connaissances et compétences linguistiques apparaissent comme des objectifs en soi. Dans le second degré, elles sont intégrées aux domaines du Lire, Écrire, Dire.

    -        Dans les programmes du premier degré on parle de vocabulaire, de lexique dans ceux du collège et du lycée.

    -        Dans les programmes du premier degré, le vocabulaire est le premier domaine de la maitrise de la langue, dans les programmes du collège, le lexique arrive en troisième position après la grammaire et l’orthographe.

    -        En maternelle on parle d’acquisitions, puis on rentre dans des apprentissages.

     

    Autant d’indices renvoyant sans doute à une conception d’un parcours partant d’un enseignement / apprentissage où domineraient l’informel et l’implicite, où l’erreur aurait sa place, à un enseignement / apprentissage de plus en plus formel et explicite, normalisé et normatif. Ainsi peut-on lire dans le programme pour la maternelle : « L’enseignant veille par ailleurs à offrir constamment à ses jeunes élèves un langage oral dont toute approximation est bannie; c’est parce que les enfants entendent des phrases correctement construites et un vocabulaire précis qu’ils progressent dans leur propre maitrise de l’oral. » Quant au programme du collège, sa perspective normative est claire : « La maitrise de la langue française, c’est-à-dire la capacité à exprimer sa pensée, ses sentiments et à comprendre autrui, à l’écrit comme à l’oral, suppose une connaissance précise du sens des termes utilisés, de leur valeur propre en fonction des contextes et du niveau de langue auquel ils appartiennent. »L’élève, qui aura en CM1 « commencé à identifier les niveaux de langue », devra, à compter de la Sixième, maitriser cette « notion lexicale ». Cette place attribuée à une norme-cible, inviterait à s’interroger sur le caractère lexical ou idéologique de la notion de niveau de langue.

    Cette représentation du curriculum des apprentissages lexicaux est à questionner tout comme celles-ci, qui sous-tendent également les programmes :

    -        Au départ l’objectif est l’élargissement et l’enrichissement du vocabulaire avec un objectif essentiel de mémorisation : « En relation avec les activités et les lectures, l’enseignant veille à introduire chaque semaine des mots nouveaux (en nombre croissant au fil de l’année et d’année en année) pour enrichir le vocabulaire sur lequel s’exercent ces activités. » Avec l’entrée dans le cycle des apprentissages fondamentaux, va s’ajouter le souci de la précision et dans le cycle des approfondissements (cycle 3) la correction.

    -        Au départ, les acquisitions concernent le langage oral. A partir du cycle des apprentissages fondamentaux,  l’accent est mis sur la lecture et donc « le décodage et l’apprentissage des mots », et un apprentissage visant la compréhension grâce à une structuration d’un stock lexical « par une initiation à l’usage des synonymes et des antonymes, par la découverte des familles de mots et par une première familiarisation avec le dictionnaire. » Au cycle des approfondissements, l’approche de la langue se fait moins sémantique : « Cette étude repose, d’une part, sur les relations de sens (synonymie, antonymie, polysémie, regroupement de mots sous des termes génériques, identification des niveaux de langue), d’autre part, sur des relations qui concernent à la fois la forme et le sens (famille de mots). Elle s’appuie également sur l’identification grammaticale des classes de mots. » Celase prolongera, au collège, par une approche grammaticale de la langue et, dans le domaine lexical, une centration sur les visées et les genres littéraires. Autrement dit on va d’un apprentissage où le vocabulaire est constitué par sa fonction référentielle à un apprentissage de plus en plus linguistique qui instaure la langue comme système. Pourtant, des travaux ont montré l’intérêt d’activités méta-phonologiques dès la petite section, et la nécessité de la construction précoce d’une conscience de la langue en tant qu’objet d’échanges et de savoirs.

    -        Au départ, les acquisitions sont centrées sur le discours narratif, à travers les histoires que lit le maitre,  et la communication. Dans le cycle des apprentissages fondamentaux, il va s’agir de découvrir et décrire le monde : « En étendant son vocabulaire, il accroit sa capacité à se repérer dans le monde qui l’entoure, à mettre des mots sur ses expériences, ses opinions et ses sentiments, à comprendre ce qu’il écoute et ce qu’il lit, et à s’exprimer de façon précise à l’oral comme à l’écrit. » L’attention sera focalisée sur les noms. La progression des apprentissages attendus au cycle 3 est révélatrice de cette représentation d’une progression lexicale comme lente ascension vers l’abstraction : au CE2 il s’agira d’ « Utiliser à bon escient des termes appartenant aux lexiques des repères temporels, de la vie quotidienne et du travail scolaire », au CM1 d’ « Utiliser à bon escient des termes afférents aux actions, sensations et jugements », au CM2 de « Commencer à utiliser des termes renvoyant à des notions abstraites (émotions, sentiments, devoirs, droits) ».C’est comme un mouvement d’ascèse au cours duquel le sujet devient capable de s’abstraire pour s’élever au royaume des idées, mouvement qui se poursuit au collège où se développe le lexique méta-discursif : « Le professeur s’attache particulièrement, dès la classe de Quatrième et surtout en Troisième, à élargir progressivement le vocabulaire abstrait, en relation avec le maniement des idées et la structuration de la pensée, afin de faciliter la transition du collège au lycée. » La Sixième sera consacrée au vocabulaire des émotions, la Cinquième à ceux des sensations et des valeurs, la Quatrième ceux des sentiments et du jugement, la Troisième celui du raisonnement. Ce processus connait sa finalisation au lycée où « l'on fait acquérir aux élèves un lexique favorisant l'expression d'une pensée abstraite ». Une telle représentation est-elle fondée sur des connaissances scientifiques concernant la psychologie de l’enfant et de l’adolescent ? On peut en douter puisqu’elle recoupe le type de progression que le Cadre européen pour les langues (CECRL) prévoit pour l’apprentissage des langues étrangères, y compris par les adultes.

    L’enseignement / apprentissage du lexique est un axe problématique dans les pratiques de classe pour des raisons multiples. Il nécessite que l’enseignant lui-même surmonte l’illusion de la transparence et du sémantisme. Il est porteur de représentations concernant la langue, le monde et les relations humaines, les  apprentissages, représentations au fondement desquelles les idéologies ont leur part…  Il est à l’articulation du cognitif, du sociologique et de l’affectif-émotionnel, et en ce sens au cœur de la relation pédagogique comme de la relation de l’école à la société. Dans son enseignement / apprentissage chaque enseignant, comme chaque élève peut se trouver – consciemment ou non – englué dans des tensions sur lesquelles il serait utile d’apporter les éclairages de recherches croisant les apports des différents domaines. 

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