Association française pour l’enseignement du français

Université et post-Bac

  • 16
    Mai

    Le sujet de culture générale au BTS

    Risque et progrès
    PREMIÈRE PARTIE: SYNTHÈSE ( /40 points)
    Risque et progrès.

    Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents suivants: Document 1 : Illustration pour un poème de Victor HUGO dénonçant le travail des enfants, Éditions Hetzel, 1880.
    Document 2 : Louis Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, Éditions Denoël,1932.
    Document 3 : « Entretien avec Edgar MORIN », Propos recueillis par A. RAPIN, Label France, magazine d'information, n028, Ministère des Affaires Étrangères, Juillet 1997.
    Document 4 : Jacques MARSEILLE, « Les ratés de l'âge industriel », L'Histoire n0239, 2000.

    DEUXIÈME PARTIE: ÉCRITURE PERSONNELLE ( /20 points)
    Vous répondrez d'une façon argumentée à la question suivante en vous appuyant sur les documents du corpus et sur vos connaissances personnelles:
    Y-a-t-il aujourd'hui des raisons de croire au progrès scientifique et technique?

    Document 1 :
    Illustration pour un poème de Victor HUGO dénonçant le travail des enfants, Éditions Hetzel, 1880.

    Document 2
    Dans les années 1930, le narrateur se fait engager dans les usines Ford à Detroit, aux États-Unis.
    « Ça ne vous servira à rien ici vos études, mon garçon! Vous n'êtes pas venu ICI pour penser, mais pour faire les gestes qu'on vous commandera d'exécuter. .. Nous n'avons pas besoin d'imaginatifs dans notre usine. C'est de chimpanzés dont nous avons besoin ... Un conseil encore. Ne nous parlez plus jamais de votre intelligence! On pensera pour vous mon ami! Tenez-vous-Ie pour dit ».
    Il avait raison de me prévenir. Valait mieux que je sache à quoi m'en tenir sur les habitudes de la maison. Des bêtises, j'en avais assez à mon actif tel quel pour dix ans au moins. Je tenais à passer désormais pour un petit peinard. Une fois rhabillés, nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d'où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l'immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. À mesure qu'on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s'entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d'une machine.
    On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu'on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits qui s'écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu'ils déclenchent autour d'eux comme des espèces de silences qui vous font un peu de bien.
    Louis Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, Éditions Denoël,1932.

    Document 3 : Label France:
    Depuis des années, on s'accorde à reconnaÎtre que nos sociétés traversent une crise économique, sociale et politique. Pourquoi la jugez¬vous fondamentale?
    Edgar Morin :
    Tout ce qui a constitué le visage lumineux de la civilisation occidentale présente aujourd'hui un revers de plus en plus sombre. Ainsi, l'individualisme, qui est l'une des grandes conquêtes de la civilisation occidentale, s'accompagne de plus en plus de phénomènes d'atomisation, de solitude, d'égocentrisme, de dégradation des solidarités. Autre produit ambivalent de notre civilisation, la technique, qui a libéré l'homme d'énormes dépenses énergétiques pour les confier aux machines, a dans le même temps asservi la société à la logique quantitative de ces machines.
    L'industrie, qui satisfait les besoins d'un large nombre de personnes, est à l'origine des pollutions et des dégradations qui menacent notre biosphère. La voiture apparaît, à cet égard, au carrefour des vertus et vices de notre civilisation. La science elle-même, dont on pensait qu'elle répandait uniquement des bienfaits, a révélé un aspect inquiétant avec la menace atomique ou celle de manipulations génétiques.
    Ainsi, on peut dire que le mythe du progrès, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur qu'aujourd'hui, et qui était commun au monde de l'Ouest et au monde de l'Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s'est effondré en tant que mythe. Cela ne signifie pas que tout progrès soit impossible, mais qu'il ne peut plus être considéré comme automatique et qu'il renferme des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaître aujourd'hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique crée autant de problèmes qu'elle en résout. Cette crise ne concerne-t-elle que les sociétés occidentales?
    Cette situation est celle du monde dans la mesure où la civilisation occidentale s'est mondialisée ainsi que son idéal, qu'elle avait appelé le « développement ». Ce dernier a été conçu comme une sorte de machine, dont la locomotive serait technique et économique et qui conduirait par elle-même les wagons, c'est-à-dire le développement social et humain. Or, nous nous rendons compte que le développement, envisagé uniquement sous un angle économique, n'interdit pas, au contraire, un sous-développement humain et moral. D'abord dans nos sociétés riches et développées, et ensuite dans les sociétés traditionnelles.
    L'ensemble de nos anciennes solutions sont aujourd'hui, ainsi, remises en question, ce qui provoque des défis gigantesques pour nous et la planète notamment face à la menace venant de l'économie dite mondialisée, dont on ignore encore si les bienfaits qu'elle promet sous la forme d'élévation du niveau de vie ne vont pas être payés par des dégradations de la qualité même de la vie.
    Cette dégradation de la qualité par rapport à la quantité est la marque de notre crise de civilisation car nous vivons dans un monde dominé par une logique technique, économique et scientifique. N'est réel que ce qui est quantifiable, tout ce qui ne l'est pas est évacué, de la pensée politique en particulier. Or, malheureusement, ni l'amour, ni la souffrance, ni le plaisir, ni l'enthousiasme, ni la poésie n'entrent dans la quantification .
    Je crains que la voie de la compétition économique accélérée et amplifiée ne nous conduise qu'à un accroissement du chômage. La tragédie, c'est que nous n'avons pas de clé pour en sortir. Nos outils de pensée, nos idéologies, comme le marxisme, qui pensait malheureusement à tort qu'en supprimant la classe dirigeante on supprimerait l'exploitation de l'homme par l'homme, ont fait la preuve de leur échec. Nous sommes donc un peu perdus.
    « Entretien avec Edgar MORIN », Propos recueillis par A. RAPIN, Label France, magazine d'information, n028, Ministère des Affaires Étrangères, Juillet 1997.

    Document 4 : « Les ratés de l'âge industriel»
    Le XIXe siècle a vu naître en Angleterre, et s'imposer dans toute l'Europe, une révolution sans précédent: le fer et le charbon sont devenus les moteurs de l'activité économique. Mais l'industrialisation n'est pas forcément synonyme de prospérité. Le siècle de la « révolution industrielle », siècle explosif de la vapeur, du coton et du rail, siècle du machinisme et du capital en majesté, pourrait-il être un siècle de déclin économique?
    Le paradoxe n'est qu'apparent: il ne faut pas oublier que la « révolution» industrielle fut certes synonyme de croissance, mais d'une croissance dont l'exceptionnalité, à l'échelle historique, tient surtout au fait qu'elle a été plus continue que rapide.
    Au total, et par tête, la croissance moyenne annuelle du produit intérieur brut (PIB) de l'ensemble des pays industrialisés n'a guère dépassé 1 % durant ces cent ans, ce qui, dans le court terme, est quasiment imperceptible. D'autre part cette croissance fut incertaine, hachée par de nombreuses crises (celles de 1816, 1825, 1836, 184ê, 1857, 1866, 1873, 1882, 1890, 1900), et une phase de ralentissement marqué, la « grande dépression », qui dura des années 1870 aux années 1900, a donné aux contemporains le sentiment qu'ils approchaient d'un « état stationnaire» considéré comme une « loi de la civilisation ». Cette expression d'« état stationnaire », Paul Leroy-Beaulieu, l'un des économistes les plus écoutés de son temps, expliquait en 1896 qu'elle « ne [devait] pas être entendue dans un sens absolu; elle serait fausse, parCe que les inventions mécaniques et les découvertes scientifiques ne s'arrêteront pas, parce qu'il y aura toujours quelque emploi utile, mais d'une utilité moindre, pour les nouveaux capitaux; mais, ajoutait-il, l'expression « état stationnaire» est vraie dans un sens relatif qui veut dire que cet état ne comporte que des améliorations de détail, lentes et médiocres, au lieu de ces soudaines, générales et prodigieuses applications des grandes découvertes scientifiques comme celles que nous avons eues depuis un demi-siècle. »
    Un pessimisme que partageait l'ancien ministre de l'Agriculture et président du Conseil Jules Méline, écrivant dans un livre fort remarqué, publié au lendemain de l'Exposition universelle de 1900, Le Retour à la terre et la surproduction industrielle: « Sans doute, des besoins nouveaux surgiront, de nouveaux consommateurs viendront au monde qui voudront prendre leur place au Banquet de la vie, et, pour les satisfaire, il faudra une production plus abondante. Mais cela ne prouve nullement qu'il faudra plus de bras pour suffire à ces exigences nouvelles. Plus on avance, plus la concurrence est redoutable pour le travail humain. » LE PROGRES TECHNIQUE EST-IL UN PROGRES POUR L'HOMME?
    C'est bien là, en effet, que réside le paradoxe de la révolution industrielle. La machine qui en a été le moteur et le symbole a aussi réduit les savoir-faire, brisé les solidarités anciennes et imposé des rythmes nouveaux. Dans les grands ateliers de filage et de tissage, «toujours, toujours, toujours, déplorait Michelet, c'est le mot invariable qui tonne à votre oreille, le roulement automatique dont tremblent les planchers » .
    Argumentant, pour fortement nuancer la notion de progrès: «Le travail solitaire du tisserand était bien moins pénible. Pourquoi? C'est qu'il pouvait rêver. La machine ne comporte aucune rêverie, nulle distraction. Vous voudriez un moment ralentir le mouvement, sauf à le presser plus tard, vous ne le pourriez pas. L'infatigable chariot aux cent broches est à peine repoussé qu'il revient à vous. Le tisserand à la main tisse vite ou lentement selon qu'il respire lentement ou vite; il agit comme il vit; le métier se conforme à l'homme. Là, au contraire, il faut bien que l'homme se conforme au métier, que l'être de sang et de chair, où la vie varie selon les heures, subisse l'invariabilité de cet être d'acier. »
    A la fin du siècle, la diffusion du chronométrage et la parcellisation des tâches rendra encore plus mutilante la division du travail et plus aliénante la condition du « prolétaire », ce héros malgré lui de la révolution industrielle.
    Jacques MARSEILLE, « Les ratés de l'âge industriel », L'Histoire n0239, 2000.

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