Association française pour l’enseignement du français

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  • 22
    Juin

    L'AFEF peut-elle laisser passer la stigmatisation des enfants d'immigrés au plus haut de l'Etat ?

    Un article de Dominique Seghetchian

     

    L’AFEF, qui, depuis son assemblée générale de décembre 2009, a exprimé clairement son choix d’affirmer ses positions dans le domaine de l’école, ne peut laisser passer sans réagir la stigmatisation des enfants d’immigrés, particulièrement lorsque celle-ci est le fait d’un des plus hauts personnages de l’institution. 

    La Rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, Mme Marie Reynier, s’est exprimée à plusieurs reprises dans les colonnes de La Nouvelle République du Centre  ou celles du Berry Républicain. La présentation, ces derniers jours, du nouveau projet académique a été l’occasion de déclarations selon lesquels les enfants d’immigrés, leurs parents et particulièrement leurs mères, seraient responsables de piètres statistiques. Ces déclarations sont dans le droit fil de celles du Ministre de l’Intérieur.

    Il y aurait beaucoup à redire au sujet de ces déclarations. Son discours par exemple sur le maternel entaché de laxisme et la violence légitime du paternel a déjà, en soi, de quoi faire frémir. Lorsque le sexisme sert une xénophobie militante, le révoltant devient insoutenable. En tant que citoyens nous devons réagir ; en tant que professionnels, notre devoir est de nous placer fermement aux côtés des plus faibles, des plus fragiles. Sans quoi il n’y aurait plus de discours didactique et pédagogique qui tienne.

     

    Claude Guéant ministre de l’Education nationale :

    Enfin une politique éducative cohérente !

     

    « … les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés », assénait, sûr de ses statistiques, le ministre de l’Intérieur le 23 mai 2011 sur l’antenne d’Europe 1 -. Les plus établies des statistiques ont beau mettre en évidence le solde économique largement positif de l’immigration (voir L’Etat de la France, La Découverte 2009) ; les plus documentées des études sociologiques sur la réussite et l’échec scolaires ont beau montrer que ce qui compte, dans ces résultats, ce n’est pas l’origine géographique des familles, mais la catégorie socioprofessionnelle des parents (voir l’article de Lucie Delaporte qui montre qu’à catégorie sociale égale les enfants de parents immigrés réussissent un peu mieux que ceux de parents français, http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article4711), ces données vérifiées importent peu au ministre de l’Intérieur. Ces propos n’auraient-ils d’autre fin que de  mieux légitimer les quotas d’expulsion ?

    Mais, si l’on peut comprendre que le ministre en charge de la politique d’immigration (c’est-à-dire aujourd’hui de la politique d’expulsion), n’ait pas à s’embarrasser de la vérité des faits et de la rigueur des raisonnements ; bref, s’il semble en somme « normal » qu’il soit condamné à proférer des sottises pour masquer l’inhumanité de ce qu’il ordonne de commettre, ne doit-on pas attendre des plus hauts responsables de la gestion du système éducatif que sont les recteurs d’Académie un peu plus de sérieux dans leurs raisonnements, un peu plus d’honnêteté intellectuelle et d’objectivité scientifique dans leurs références chiffrées ? Un recteur d’Académie, n’est-ce pas d’abord un universitaire de haut niveau rompu à la critique, et peu enclin à colporter les fables que l’on se raconte au café du commerce ?

    Répondant aux questions du bureau d’Orléans de La Nouvelle République du Centre-Ouest du 17 juin 2011, page 7 (annexe1), Marie Reynier, Rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, dévoile ses ambitions pour cette Académie qu’elle dirige depuis le 13 avril 2011. Ses premières remarques sont pour épingler l’esprit routinier et peu innovant des enseignants qu’elle a désormais sous ses ordres. Cette appréciation peu flatteuse repose sur la seule observation que les 2/3 des enseignants sont en poste dans leur établissement depuis plus de 6 ans. De la part d’une universitaire au parcours scientifique hors pair (voir http://www.ac-orleans-tours.fr/academie/recteur/) on aurait pu s’attendre à une démonstration un peu plus étayée... L’idée qu’elle se fait de l’innovation pédagogique ? « L’Education nationale est trop maternelle et pas assez paternelle pour donner quelques coups au derrière ! On doit pousser les jeunes pour qu’ils aillent plus loin, plus haut. » Donc, si on comprend bien, il faut les pousser à coups de pied au cul. Et déjà à ce stade de l’interview, on se dit que ça a bigrement l’air d’être du Claude Guéant.

    Et la suite nous montre qu’en effet, le ministre de l’Intérieur est bien son maître à penser. A une question sur le niveau scolaire des élèves, elle répond : « Si on enlève des statistiques les enfants issus de l’immigration nos résultats ne sont pas si mauvais ni si différents de ceux des pays européens. Nous avons beaucoup d’enfants de l’immigration et devons reconnaître notre difficulté à les intégrer. Commençons par combattre l’illettrisme de leurs parents. »

    La première chose que révèle cette phrase, c’est qu’il n’est pas besoin d’être une victime de l’illettrisme présumé de ses parents pour proférer des âneries. Dans ces quelques lignes, en effet, on peut en relever au moins 4 :

    1°/ Si Mme la Rectrice avait dit quelque chose comme : « si on enlève des résultats scolaires ceux des mauvais élèves, on aurait des statistiques bien meilleures », tout le monde aurait ri de ce trait d’humour au second degré – tout en reconnaissant la vérité incontestable d’une telle tautologie. Mais au lieu d’enfoncer une porte ouverte, Mme Reynier s’expose à parler sans savoir, car elle ne peut pas savoir.

    2°/ Comment fait-elle pour enlever des statistiques les résultats des élèves « issus de l’immigration », dont elle nous dit, sans autre forme de démonstration, qu’il y en a « beaucoup » ? A partir de quand, et jusqu’à combien de générations est-on « issu de l’immigration » ? Et si on a des parents qui sont français, comment sait-on que l’on est « issu de l’immigration » ? Les statistiques de l’Education nationale font-elles la différence entre une famille qui serait française depuis Charlemagne, et une famille qui serait française par naturalisation ? Si l’Education nationale possède des fichiers aussi précis, nul doute qu’ils sont à la fois illégaux, et forts susceptibles d’être convoités par le ministère de l’Intérieur. Pour les futures dénaturalisations qui ont été envisagées, ça peut aider…

    3°/ A lire notre scientifique de haut vol présentement rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, les pays européens compteraient sensiblement moins d’immigrés que la France. Il est possible que même une rectrice ne sache pas tout. Mais quand on s’aventure es-qualité sur un terrain que l’on connait mal, il vaut mieux se renseigner préalablement. N’importe quel manuel d’éducation civique de classe de seconde donne la proportion d’étrangers dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Allemagne, Royaume-Uni, pays du Bénélux ont des taux de population étrangère comparables, voire supérieurs, à ceux de la France.

    4°/ La raison de ces faibles résultats présumés, corrélés arbitrairement à l’origine géographique ? L’illettrisme des parents ! Solution : « Commençons par combattre l’illettrisme [des] parents. » À qui Mme la Rectrice s’adresse-telle ? Aux enseignants  routiniers et si peu innovants qu’ils n’ont pas encore compris que c’est aux parents qu’ils devraient dispenser leurs cours ? Il y a, a priori, un distinguo, entre les missions d’un Recteur et celles d’un Préfet.

     

    Ce qu’il faudrait à Mme Reynier et à l’Académie d’Orléans-Tours pour améliorer les performances scolaires des élèves, ce serait donc une police aux frontières enfin efficace, qui empêcherait vraiment d’entrer sur le territoire français toute personne « illettrée » ?

    Ce qu’il faudrait à Mme Reynier pour lui permettre d’optimiser les performances de l’Académie qu’elle dirige et de doubler sa prime, ce serait d’enlever des classes les enfants issus de l’immigration, - et peut-être les enfants des classes populaires, les enfants pauvres, en somme ?

    En effet, en fin d’interview lui est posée la question suivante : « Etes-vous étonnée que l’enseignement privé refuse du monde ? »
    Réponse :  « Ce qui m’étonne, c’est que, quand il y a grève dans une cantine privée, les parents s’organisent pour assurer la surveillance. Donc ils paient et s’impliquent davantage que dans le public. Comment faire pour susciter cette implication dans le public ? »

    La réponse est les prémisses : qu’ils paient ! Et que ceux qui ne peuvent pas payer dégagent ! Et qu’ils dégagent aussi, les profs qui sont là depuis plus de 6 ans ! Et qu’ils dégagent enfin, les trop maternels qui ont peur de flanquer des coups de pied aux fesses à leurs élèves !

    Ainsi dirigés par une émule de M. Guéant, les enseignants de l’Académie d’Orléans-Tours se retrouveront peut-être devant des choix éthiques dont ils auront à rendre compte devant l’histoire : ainsi les surveillants du baccalauréat général et technologique (annexe 2) pouvaient-ils lire dans leurs instructions : « Certains candidats peuvent être de nationalité étrangère. En cas de doute sur la valeur du document d’identité présenté, il pourra en être effectué une photocopie à fin de certification par les autorités consulaires du pays concerné. » Certes l’énoncé indique qu’une telle pratique reste encore de l’ordre de la possibilité, mais les choses évoluent très vite… Combien de temps faudra-t-il pour que cela relève des obligations du « fonctionnaire éthique et responsable » ? Combien de temps faudra-t-il pour qu’un enseignant qui ne repèrerait pas le caractère suspect de papiers d’identité, ou ne le dénoncerait pas du fait d’un « léger » décalage entre son éthique et celle des dirigeants de l’État, commette une faute professionnelle, ou pire.

    Aucune ressemblance avec des faits antérieurs dans l’histoire de France, Nous songeons bien entendu à ce qu’a révélé par exemple le dépouillement des archives de la Stasi est-allemande quelques années après la réunification.

     

    Dominique Seghetchian
    Professeure de français en ZEP/ZUP/RRS à Joué-lès-Tours, et fière de l’être.

    Chantal Beauchamp
    Professeure d’histoire 

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