Association française pour l’enseignement du français

Manifestations et Colloques

  • 03
    Fev

    GFEN - 6èmes rencontre nationales, Pour que la maternelle fasse école

    Compte-rendu de la rencontre du 1er février

     


    "Du faire au comprendre, l'activité, tremplin du développement"

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    Un contexte favorable

    En ouverture, Jacques Bernardin (Président du GFEN) insiste sur le contexte des 6èmes rencontres que le GFEN consacre aux maternelles. Même si l'on peut être déçu de la lenteur de la refondation de l'école, force est d'enregistrer des changements profonds avec l'inscription dans l'article 2 de la loi du postulat pédagogique selon lequel tous les enfants partagent la même capacité à apprendre ainsi que de celui de la coopération. Changement réel encore avec la relance de la scolarisation à 3 ans et de l'intégration de la grande section dans le cycle 2. Ouverture possible encore avec la perspective de nouveaux programmes.

    Le « devenir élève » : axe essentiel de la lutte contre les inégalités
    L'enjeu est dans la tension didactique entre apprentissages et développement. La maternelle a vu s’imposer des apprentissages formels prématurés. Comment dès lors concevoir le "devenir élève" qui demeure une mission de la maternelle? Telle est la question posée à Élisabeth BAUTIER et Olivier BURGER, chercheurs de l'équipe Circeft-Escol.

    E. Bautier distingue préparation aux apprentissages et primarisation avant d’affirmer que l'objectif en est de lutter contre l'installation précoce des inégalités scolaires : "ce qui fait différence, c'est le rapport au monde et au langage pour lesquels la mise en situation ne suffit pas. C'est le langage qui peut le mieux permettre de profiter de l'école et ce rapport doit être accompagné pour certains élèves."

    Un autre regard sur le monde, hors de l’ici, maintenant
    O. Burger démontre que l'objectif est une acculturation au mode scolaire d'apprentissage, qui nécessite un changement de rapport au monde. Plus que vivre ensemble (qui peut s’apprendre dans d'autres cadres), devenir élève, c'est apprendre ensemble. C'est apprendre des choses qui ne sont pas objets de sensation ni d'action. Pour certains ce regard sur le monde, hors de l'ici-maintenant, ne peut s'éduquer qu'à l'école.
    Une situation de classe illustre ce dont il est question : devant une boite de billes et un modèle à reproduire, certains sont en retrait, d'autres sont dans les sensations (toucher, bruit...), d'autres encore sont absorbés par le désir que la table soit bien rangée, pendant que quelques-uns sont dans l'apprentissage d'un savoir (trier, classer, appliquer un modèle...). Dans ce contexte, l'action de la maitresse est d'évaluer le rapport de l'élève aux apprentissages pour lui permettre de se réajuster.
    C'est aussi apprendre à ressaisir pour faire avancer l'activité, apprendre à identifier ce qui est à ressaisir, à focaliser pour n'utiliser que ce qui est utile en prenant appui sur ce qu'on sait déjà (grâce à l'école ou à la maison) de la situation, de ses objets.
    Cela implique de construire ce qui relève du registre scolaire, c'est-à-dire des savoirs, en le déparasitant de sa gangue contextuelle, émotionnelle. Comprendre que dans la situation scolaire, il y a quelque chose à apprendre est indispensable pour se construire un projet d'apprentissage.

    O. Burger insiste sur l'importance du temps pour franchir les degrés de ressaisi : aucun ressaisi, un ressaisi du visible, puis un ressaisi exprimé en cours d'activité, enfin un ressaisi exprimé à distance, dans le cadre d'une construction du rapport au monde. C'est le langage qui permet d'exprimer le ressaisi et de le construire.

    De « parler de » à « parler sur »
    E. Bautier fait observer que bien peu des temps de langage, faute de formation, sont utiles pour rapprocher des apprentissages ceux qui en sont le plus éloignés.

    Selon la chercheuse, l'expressivité a envahi l'école pour développer des valeurs d'autonomie et d'épanouissement et on y a ajouté un empilement d'apprentissages formels. Faire comprendre à un enfant, devant l'aquarium de la classe, qu'il y aura un autre moment pour parler de la mort de son poisson rouge, met les enseignants en difficulté, dit-elle sans prendre de gants. Pourtant il s'agit de passer de "parler de" à "parler sur". Le langage pas un objet d'apprentissage pour lui-même mais pour les autres apprentissages.
    Faisant référence au texte de Viviane Bouysse, « Le langage à l'école maternelle », elle rappelle que le langage a des dimensions sociales, expressives, psychologiques du côté de la subjectivité, et cognitives. C'est cette dimension qui n'est guère présente car elle est difficile à construire, or "le langage construit la pensée, il ne l'exprime pas."

    Quel vocabulaire pour décontextualiser ?
    Quels usages du langage, alors, permettent la construction de la pensée et des apprentissages ? Toutes les désignations ne renvoient pas au même degré de maitrise : ce n'est pas le même travail de parler de Célestine, d'une souris, d'un rongeur. Or, au motif de la jeunesse des enfants, les enseignants utilisent souvent un langage  flou. On voit peu le vocabulaire pour apprendre, celui qui désigne les opérations  mentales : comparer, classer, trier... au lieu de : mettre là, mettre ailleurs... Il en va de même des mots qui construisent des catégories. E. Bautier propose donc de tendre vers la suppression du mot faire du langage de la classe car, en le remplaçant, on s'aperçoit que derrière les mots, toucher, regarder, observer..., il y a des usages scolaires différents de ceux de la maison.
    Ce langage qui permet de décontextualiser n'est réductible ni au langage de l'action ni au langage d'évocation. Il y a des parents qui passent leur temps à "l'enseigner". Pour que l'école remplisse ce rôle auprès des autres enfants, il y a nécessité de systématicité. Initier à l'écrit c'est devenir le passeur des mots qui sont nécessaires aux savoirs : mammifère et  rongeur  ne sont pas plus difficiles que  Célestine, avec Célestine, on n'apprend pas, on a des émotions. Il faut quitter Célestine pour aller aux mammifères.

    La littérature et les albums pour comprendre l’intentionnalité
    En ce qui concerne le champ de la littérature, E. Bautier constate qu'Il y a un problème avec les albums qui sont devenus d'une complexité extraordinaire par l'importance prise par l'implicite. Ils sont beaucoup plus attractifs mais sont faits pour des familles qui lisent beaucoup de littérature pour la jeunesse à leurs enfants. En matière littéraire, comprendre, c'est comprendre l'intentionnalité, des états mentaux, des inférences, ce n'est pas comprendre la succession des évènements. Là est le cœur de la différenciation sociale. Ce rapport au texte qui permet d'imaginer est à construire, certains usages pédagogiques vont à l'encontre.

    Quelles missions pour l’école maternelle ?

    Telle est la question posée par Christine Passerieux, du secteur maternelles du GFEN,  après 3 heures d'ateliers dans lesquels les participants ont expérimenté des démarches permettant de passer du faire au comprendre.

    Qu'est-ce qu'une école sécurisante?

    C’est une école qui valorise les productions des élèves mais les invite à aller plus loin en leur lançant des défis ; qui crée les conditions pour qu'ils osent (raisonner, questionner, poser une hypothèse...) bref, s'engager.
    Pour mettre en actes la capacité de tous à réussir, il faut revenir sur l’idée selon laquelle apprendre viserait à tout savoir, faire que l'erreur soit constructive, qu'oser chercher soit jubilatoire : plus que le plaisir, le gout d'apprendre est une condition centrale. Il faut aussi une évaluation qui ne soit pas le contrôle de productions achevées mais l'observation fine des cheminements, une posture d'enseignant qui ne prenne pas en compte la conformité à la norme mais le cheminement. C’est ainsi que pour permettre aux élèves d’accéder à la capacité à opérer un retour réflexif sur son travail, au début, c'est l'enseignant qui offre un modèle de mise à distance : « j'ai vu que tu faisais comme ceci ».

    Que faut-il apprendre et comment ?

    Le vivre ensemble, certes, mais c'est aussi l'affaire de la crèche et du périscolaire. La confusion créée par la réforme des rythmes révèle la nécessité de mettre à jour les apprentissages, de clarifier les missions de l'école. Celle-ci a beaucoup masqué les apprentissages présentés comme ennuyeux ; pourtant, en apprenant on conquiert du pouvoir sur soi et sur le monde. Comment s'y prendre pour que les élèves identifient les apprentissages derrière le jeu ? Mobiliser et entrainer sur des activités dont ils ignorent l'existence, l'école maternelle est seule capable de permettre aux enfants des classes populaires de passer de l'action à la mise à distance de l'action, de donner à voir des pratiques du langage qu'ils n'ont pas dans la vie quotidienne.
    Il y a nécessité de retravailler sur les objectifs, sans produire un enseignement disciplinaire certes, mais à partir des matrices des disciplines : l'enseignant doit avoir conscience des apprentissages ciblés. Tout n'est pas dans tout.

    Place des savoirs et ce qu'on met derrière culture
    C. Passerieux énonce une idée que, me semble-t-il, sans la prendre comme parole d’évangile, il faudrait mettre en débat : « la transversalité accorde le primat à la construction de compétences sans construction de culture ». Cette phrase invite à mettre en réflexion la définition du mot, si présent dans l’école et dans nos propos, de compétence. La thématique de la journée met en effet en lumière comment les compétences sont du côté de la tâche et de l’exécution et peut s’accommoder du formalisme techniciste.
    La culture renvoie dans ce cadre à une vision globale de ce vers quoi on tend, elle permet de s'inscrire dans quelque chose qui fait projet. Ainsi, en ce qui concerne la littérature, « longtemps on a pensé qu'un bain de lecture permettait de devenir lecteur, mais il faut construire l'intentionnalité, ce qui privilégie certaines façons de lire et le tissage de réseaux qui ne sont pas seulement thématiques ». On doit interroger le choix des objets à transmettre : « pourquoi, comme le montre Stéphane Bonnéry, les contes sont-ils moins utilisés en ZEP ? On y accède directement à des textes complexes, ces contes sont repris en élémentaire et du coup certains n'accèdent pas à la complexité. » L’appel à des spécialistes des disciplines permettra de mettre en évidence ce qui doit émerger comme apprentissages des activités transversales.
    Inscrire les apprentissages dans une logique culturelle c’est en faire une aventure humaine qui transcende l'individu et les inscrire dans une pratique sociale, non dans une accumulation de techniques ; mouvement qui dépasse chacun et le construit, qui produit du commun en s’appuyant sur le travail de groupes conçus non comme une collection d'individus mais comme « un collectif de travail, de pensée, d’élaboration. »

     

                                                                          Dominique Seghetchian





     

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